Pages

samedi 1 février 2020

Un George Dandin d'aujourd'hui

Mon image
Michel Niquille – L'écrivain fribourgeois Michel Niquille s'est concentré sur le canton de Fribourg pour ses deux premiers courts ouvrages, et "Coucherie au Guintzet", son troisième opus, ne fait pas exception à la règle. Après le boulevard de Pérolles et le Moléson, voilà que l'écrivain cale son action du côté du Guintzet, c'est-à-dire sur les hauteurs de la ville de Fribourg. C'est près de chez moi, donc forcément, ça me frappe. D'autant plus que "Coucherie au Guintzet" offre une intrigue noire brève mais adroite.


Voyons: tout tourne autour de Jean-Pierre Tombez, agent d'assurance pas très net qui a épousé une femme qu'il a cru d'un niveau social supérieur au sien. Voilà un personnage qui a tout du George Dandin de Molière, revu sur une tonalité moderne et fribourgeoise. Agent d'assurance, il n'est rien d'autre qu'un bonhomme qui a voulu trouver femme dans un milieu social supérieur au sien et n'y trouver finalement que des déboires. Cette hypergamie au masculin traverse l'ensemble des 44 pages de "Coucherie au Guintzet".

Jean-Pierre Tombez porte bien son nom: agent d'assurances roué et fortuné (il roule en BMW – les marques de voiture sont un marqueur social, et l'auteur l'indique à l'envi), c'est aussi un bonhomme curieusement naïf qu'un rien peut faire tomber. Une jeune fille de 17 ans nommée Alexandra par exemple... L'auteur n'hésite pas à la décrire comme une allumeuse, ni à la faire agir comme telle: il sera question de trafic de drogue, voire de détournement de mineure, puisque Jean-Pierre Tombez tombe sous le charme de cette personne.

"Coucherie au Guintzet" touche dès lors à la notion d'arrivisme, au masculin comme au féminin, en exposant plusieurs modèles. Il y a bien entendu la carrière professionnelle de Jean-Pierre Tombez, assureur peu scrupuleux lorsqu'il s'agit de signer des contrats – l'auteur souligne d'un trait vif, à chaque occasion, le côté margoulin du personnage. Sa femme, caractérisée par l'expression "ça en jette!", n'est pas meilleure: elle souhaite aussi "monter l'échelle sociale" tout en faisant oublier que la famille Farrot porte beau, mais n'a aucune fortune matérielle à apporter à d'éventuels partis – et monter le cheval Tombez lui semble une bonne opportunité. Quant à Alexandra Danahue, post-adolescente placée au coeur du roman, elle cherche à gratter l'argent là où il est. Autant dire que tout le monde veut faire "Tombez" Jean-Pierre après en avoir profité à fond.

Mon image
Alexandra Danahue? En la présentant comme une allumeuse, l'écrivain s'aventure sur un terrain glissant. Il le maîtrise parfaitement en montrant Alexandra en action, faisant usage de ses charmes sans vergogne: c'est une orpheline droguée – pas nette, et l'auteur le dit de façon à la fois exacte et rapide. On la voit proposer des caresses et même une fellation à un Jean-Pierre Tombez sous emprise, puis tenter de lui extorquer dix mille francs. A l'heure où le féminisme avance le thème de l'emprise comme argument aggravant en cas de viol (on pense à l'affaire Gabriel Matzneff, voire à Bill Clinton), l'écrivain montre que plus d'un homme peut aussi se laisser entraîner par des femmes manipulatrices ou vénales.


"Coucherie au Guintzet" est un roman court, mais qui ne s'interdit pas des instants solidement décrits, comme le mariage de Jean-Pierre Tombez, moment où il comprend que sa belle-famille n'a pas un sou vaillant malgré les apparences. C'est aussi le jour où sa belle-mère meurt, ce qui trouvera son explication dans l'épilogue. "Coucherie au Guintzet" est aussi un roman qui, campé dans les années 1970 du canton de Fribourg (à vue d'oeil), suggère une police et une justice aux méthodes de cow-boys, prompte à inculper le prévenu qui l'arrange – puisqu'il y a quand même quelques morts dans le roman, survenues dans un contexte élastique.

En somme, ça va très vite, dans les contextes supposés connus du lecteur que sont le manège du Guintzet et le bar de l'Embassy (l'annonce est tout un programme, à vous de voir!), lieux qui évoqueront des souvenirs aux aînés qui vivent à Fribourg. En traits rapides, sur un ton vigoureux parfois teinté d'ironie, l'écrivain Michel Niquille dresse le portrait d'un bonhomme mangé par les ambitions, et de celles qui se greffent à lui parce qu'elles en veulent encore plus. C'est que dans "Coucherie au Guintzet", tout le monde court après le fric... mais pour paraphraser Jacques Chirac, dans ce livre, le cheval qui court ne dit jamais merci aux femmes jockeys qui le fouettent.

Michel Niquille, Coucherie au Guintzet, Bulle, Editions de la Trême, 2019.

3 commentaires:

  1. Pour compléter le livre échangé l'autre jour...
    https://www.facebook.com/antoine.saucy.gravalon/posts/734917530317039?__tn__=K-R

    À la prochaine dictée !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. A la prochaine dictée, en effet! Et merci pour le partage de vos articles sur ces beaux livres!

      Supprimer
  2. Et celui-là, c'était le vôtre...
    https://www.facebook.com/antoine.saucy.gravalon/posts/790441041431354?__tn__=K-R

    RépondreSupprimer

Allez-y, lâchez-vous!