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lundi 10 février 2020

Oksana Robski: qui a tué Serge?

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Oksana Robski – Imaginez une pauvre petite fille riche, majeure et vaccinée quand même, vivant dans les beaux quartiers de Moscou. Imaginez qu'elle apprend coup sur coup que son mari la trompe et qu'il vient d'être assassiné par balles. Tel est le point de départ de "Caviar, vodka et poupées russes", roman de l'écrivaine russe à succès Oksana Robski. En préambule, précisons que le titre français n'a pas grand-chose à voir avec la version russe originale et, en jouant sur les clichés, apparaît légèrement racoleur.


À la façon des sentiments mêlés d'une femme apprenant en peu de temps qu'elle est à la fois veuve et cocue, "Caviar, vodka et poupées russes" mélange allègrement les genres. On pourrait croire à une chick-lit version russe, mais avec de quoi se défendre dans le sac à main. On peut voir dans ce roman une histoire d'économie, puisque la narratrice monte sa boîte. On pense aussi au genre policier, puisque la même narratrice, certes en proie à des sentiments partagés, a quand même envie de savoir comment est advenue la fin de son mari, Serge. A travers ce voyage à travers les genres, cependant, la romancière met en place une narration qui éclaire sous un jour cru jusqu'à en devenir drolatique le mode de vie d'une classe sociale friquée qui a perdu tout contact avec les réalités quotidiennes des gens moins bien dotés.

On se retrouve donc avec une personnalité qui, en matière de consommation, n'a pas grand-chose à envier à Rebecca Bloomwood, l'accro du shopping. La narratrice n'hésite pas à relater ses séances de shopping, vécues comme sans y penser. Ce shopping va jusqu'au personnel de maison, avec ces femmes de ménage qu'elle congédie facilement, à moins que l'une d'elles n'ait un talent de masseuse. Et plus largement, la narratrice et ses amies ont tendance à considérer les hommes comme leur propriété, surtout s'ils ne sont pas aussi fortunés qu'elles. Qu'on pense au moniteur de fitness d'une de ces personnes, qui laisse l'impression d'être un chien à sa maîtresse plus qu'un amoureux de niveau égal. Chien? Justement, voilà un running gag révélateur: l'une des amies de la narratrice est obsédée par la teinture des poils de son caniche: "Le mari de Kira est parti avec une autre. Je suis étonnée qu'elle n'ait pas repeint Blondie en noir."

Le succès mis à part, la narratrice de "Caviar, vodka et poupées russes" a tout d'un personnage de Paul-Loup Sulitzer puisque par désœuvrement, elle monte son entreprise, spécialisée dans la vente de lactosérum – ce qu'on appelle généralement du petit-lait. Un produit improbable! Reste que là, par exemple en évoquant les bonnes crêpes qu'on peut faire avec ce liquide, l'auteure suggère quelque chose de cette indécrottable Russie profonde, où tout le monde est friand de blinis. Reste que ce processus permet de montrer l'incurie de la jeune entrepreneure, d'abord excitée par son projet, puis rebutée par l'administration et le travail que ça donne, par un personnel peu fidèle et par une mafia qui vient se servir sans vergogne. 

Reste qu'entre police et contacts informels, la narratrice semble finir par identifier le coupable du meurtre de son mari – elle a vite fait connaissance avec son amante, Svetlana, puisqu'elle accepte de payer pour l'éducation de l'enfant qu'ils (Serge et Svetlana, donc) ont eu ensemble. Dans un contexte présenté comme assez fou où l'on ne peut compter que sur soi-même, l'issue du versant policier du roman s'avère fatale, fausse peut-être aussi.

Porté par un rythme alerte, "Caviar, vodka et poupées russes" montre sur un ton doux-amer une tranche de vie d'une riche anonyme aux répliques délirantes. Avec un art certain de la punchline ("Certaines Mercedes ressemblent à des requins"), la romancière montre une femme qui évolue à sa manière dans un monde de mondanités déconnecté et outrancièrement consumériste, où les grandes marques comptent – ces marques sont volontiers citées, ce qui ajoute un côté clinquant à la narration. A cela viennent s'ajouter les traditions, les amis et la famille: après tout, qui a tué Serge?

Oksana Robski, Caviar, vodka et poupées russes, Paris, Calmann-Lévy, 2008. Traduction de Sophie Kajdan.

Le site des éditions Calmann-Lévy.



4 commentaires:

  1. Jolie chronique ! Voilà un livre qui pourrait bien me plaire !
    Je prends note et te remercie de la découverte.
    Bonne journée !

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    1. Ca se lit bien, et il y a de tout - en effet, c'est un livre bien agréable.

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  2. Alors là! Cette lecture m'était complètement sortie de la tête! Et ton avis me donne envie de le relire. Mais est-ce bien raisonnable?!!

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    1. Bonjour! Mais oui, c'est une lecture divertissante aussi…
      Merci de t'être abonnée à mon blog! :-)

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