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mercredi 1 janvier 2020

Un jeu de piste en scooter à travers la Gruyère

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Daniel Bovigny – Un accent grave bizarre sur le titre, qui semble hésiter entre meurtre et friandise, parce que ce roman est à la fois une friandise et un polar: "Crìme double en Gruyère" (et pas "Crème") est le premier que signe l'écrivain Daniel Bovigny. Assumant un solide ancrage dans son terroir, parfaitement adapté à tous les publics, jeunes ou moins jeunes, il propose un jeu de piste autour de crimes, peut-être moins mortels qu'il n'y paraît. Ouf!


Tout commence par une tranche de la vie de l'oncle Marco, laissé pour mort dans un chalet d'alpage. C'est qu'on ne plaisante pas avec les affaires de "fromage au noir" dans ce canton de Fribourg dont le gruyère est un fleuron gastronomique qui rapporte. En lisant les dessous de ces trafics dont la qualité est la première victime, le lecteur ne manquera pas de se souvenir d'affaires qui ont fait vibrer le monde laitier fribourgeois dans les années 1990 et 2000. Reste que Marco, pas bête et se sentant menacé, a imaginé un faisceau d'indices permettant de connaître ce qu'il a pu découvrir dans le cadre de son travail d'affineur. Bonne idée que le lecteur, baladé en des lieux familiers (ou non) du district fribourgeois de la Gruyère, sait apprécier.

Décrivant la police fribourgeoise non sans réalisme (il cite une porte-parole de genre féminin, et à l'époque décrite dans le roman, soit les années 2013, le porte-parolat était bel et bien assuré par une femme), l'auteur dessine un monde dont on pourrait avoir quelques raisons de se méfier: promptitude à mettre certaines choses sous le tapis quand ça dérange, rapports peu évidents avec la presse, fuites. Cette méfiance n'est pas sans réminiscences, encore une fois: les lecteurs se souviennent d'affaires telles que celle du garage de la police, qui ont fait scandale et ont poussé la police du canton de Fribourg à évoluer. Elle s'incarne aussi dans le personnage de Romain Gurtner, qui a connu quelques démêlés avec la maréchaussée.

Romain Gurtner? Ce sera le sparring-partner de Julie, nièce de Marco, et aussi son chauffeur: c'est lui qui pilote le scooter pour quadriller le sud du canton à la recherche d'indices. On trouve vite ces deux petits jeunes attachants: sur fond de familles dysfonctionnelles, tous deux sont déjà quelque peu cabossés par la vie, Julie n'ayant plus de parents (et finalement plus personne pour s'occuper d'elle, en tant que mineure) et Romain ayant déjà quelques délits à son actif. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir un cœur en or: l'écrivain ressuscite ainsi, de manière convaincante, le type du voyou romantique. Il y a aussi quelque chose de fort dans la relation sentimentale un brin trouble qu'il dessine entre ces deux adolescents, amoureux sans oser se l'avouer ("Même pas en rêve!" est le mot de Julie), complices à tous les coups. Astuce de l'auteur: c'est aussi le regard des autres qui souligne leurs sentiments, que Julie et Romain ne comprennent peut-être pas forcément.

L'auteur ne manque pas d'humour, jouant sur quelques gags récurrents ("C'est quoi, un chenet?", question que tout le monde se pose en cours de roman, sans penser à consulter Wikipedia) ou des situations qui s'avèrent cocasses, comme une sortie hasardeuse du château de Gruyères en armure par l'un des personnages. Il truffe aussi son roman d'allusions à l'œuvre d'Hergé et au monde de Tintin (ce qui, soit dit en passant, a dû plaire à l'éditeur, Francis Antoine Niquille, grand tintinologue devant l'Éternel!): tentative d'assommer un personnage avec une bouteille qui renvoie à "Tintin en Amérique", rapprochement entre les ruines de l'île d'Ogoz et "L'Île noire", gorille compris. Enfin, il est permis de penser que si Romain Gurtner a les mêmes initiales que Rémy Georges alias Hergé (R. G.), ce n'est pas tout à fait un hasard. Certes, on peut se demander si deux millenials comme Julie et Romain pensent spontanément à une bande dessinée du siècle dernier; mais ces clins d'œil amusent à coup sûr et s'avèrent pertinents vu le côté aventureux du récit.

S'il fait visiter des lieux, l'auteur n'hésite pas à en dire quelques mots en passant, de façon parfaitement intégrée à la narration. Le lecteur va ainsi apprendre quelque chose: on ne sait pas forcément qu'il y eut une "porte des Lions" à Vaulruz, on passe par le pont couvert de Lessoc, on redécouvre telle chapelle ou calvaire oublié du cru. Cela, sans parler des chalets et des beautés de la nature. L'auteur va jusqu'à citer, avec respect, quelques personnalités du cru, telles le juge des mineurs Lachat ou Michel Jordan, instituteur – on peut voir là un hommage entre collègues, Daniel Bovigny ayant été enseignant.

Sur la base d'une intrigue policière, l'auteur de "Crìme double en Gruyère" propose ainsi une belle course à travers la Gruyère, palpitante et joliment décrite, autour de deux petits jeunes bien sympathiques observés avec indulgence. Au fil des pages, les aquarelles sobres et délicatement colorées de Bernard Devaud achèvent d'en camper l'ambiance. D'ores et déjà best-seller dans sa région d'origine, le premier roman de Daniel Bovigny mérite d'être découvert plus loin...

Daniel Bovigny, Crìme double en Gruyère, Charmey, Editions Montsalvens, 2018. Illustrations de Bernard Devaud.

Le site des éditions Montsalvens.


2 commentaires:

  1. Il a l'air vraiment sympa ce polar ! je note et te remercie pour la découverte.
    Bonne journée !

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    1. Sympa, tout public, avec une pointe d'humour en effet! Il te faudra cependant sans doute le commander directement auprès de l'éditeur, qui est très régional même s'il connaît un joli succès et fait preuve d'un grand dynamisme.

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