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dimanche 6 octobre 2019

Le Japon, entre taïko et vibrations

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Maïa Aboueleze – Vibrant récit que celui de Maïa Aboueleze! "Le ballet des retardataires" témoigne de l'expérience vécue par l'auteure, étudiante boursière, au Japon. Une expérience peu banale, rare même, puisqu'elle comprend une formation intensive et prolongée au taïko, gros tambour japonais traditionnel. Cela, au sein d'une école d'élite, exclusive qui plus est: peu d'Européennes et d'Européens y accèdent. "Tokyo, tambours et tremblements": s'il fait immanquablement penser à Amélie Nothomb, ce sous-titre a aussi tout d'un programme.


Avec la narratrice, le lecteur se trouve plongé dans un Japon qui a tout d'une autre planète! L'auteure donne à voir de façon évidente le caractère anxiogène d'une vie dans un lieu où tout est différent de chez soi. Plus d'une fois, celle qui parle au fil des pages rêve de rentrer en Belgique, où elle vit habituellement et où elle a ses marques. La peur de l'impair incite à développer des stratégies pour faire face. Quant à la communication, la narratrice indique aussi le besoin de créer un langage commun, monolecte pittoresque mêlant japonais, anglais et français, pour communiquer avec sa logeuse.

Dès le début, l'auteure installe une vérité qu'on aurait tendance à oublier: autant qu'un instrument de musique, le taïko est un sport de combat – combat contre soi-même, contre la douleur et la fatigue, combat pour le beau son aussi. "Le ballet des retardataires" ne cache rien de la dureté d'une formation intensive, surtout pas les blessures qu'elle suscite: c'est dans le sang et la sueur que la narratrice apprend, sans répit, à journée faite.

Tout paraît vibrer dans ce roman, à commencer par la peau des taïkos. Ceux-ci entrent en résonance avec l'avion qui va vers Tokyo en début de récit, ou avec le train qu'on aurait aimé prendre. Ils résonnent aussi avec les tremblements de terre, plus ou moins perceptibles, à cause desquels des alertes se déclenchent souvent en ville de Tokyo. Au détour du texte, on verra même des "couleurs vibrantes" (p. 86), ce qui ne saurait être un hasard. Enfin, et fort à propos, l'écriture sait se faire percussive, soucieuse du rythme, à coups de phrases courtes (p. 83) ou en recourant aux virgules qui rendent le style haletant (p. 114).

Cette ambiance de vibrations et de percussions admirablement rendue par le style est contrebalancée par le ton parfois sarcastique ou ironique d'une narratrice qui fait face à un univers où elle peine à trouver ses repères. Passer un coup de fil a tout du tour de force, par exemple; et bien sûr, il faut s'adapter à une nourriture qui, consommée au quotidien, n'a rien d'habituel pour une Occidentale. Le lecteur a ainsi l'impression d'une narration cash, relatée par une narratrice qui sait aussi rire d'elle-même.

Enfin, l'ambiance de mystère déstabilisant est renforcée par l'irruption récurrents d'éléments fantomatiques ou fantastiques, peut-être rêvés, comme ces cafards qui apparaissent régulièrement, chez la logeuse de la narratrice comme lors d'une représentation de théâtre kabuki. Il y a aussi ce salon de thé où la narratrice s'arrête un moment et discute en anglais – bonheur rare dans un pays dont les habitants semblent peu friands de langues étrangères – avec un homme âgé: personne ne semble connaître cet établissement... Alors que ce récit trouve place dans une ville où tout semble étrange et illisible, ces choses peut-être rêvées lui apportent un supplément de mystère et d'âme.

Maïa Aboueleze, Le ballet des retardataires, Paris, Editions Intervalles, 2019.


Le site des Editions Intervalles.

2 commentaires:

  1. Tout à fait le genre de livres qui me parlent, le Japon vu, vécu et raconté par une étrangère au travers du prisme de son expérience très personnelle. Merci pour cette découverte !

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    1. Ah oui, je te le recommande! En plus, c'est vu par un aspect méconnu: celui de la pratique du taïko.
      Bonne journée et merci pour ton commentaire!

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