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samedi 28 septembre 2019

Un roman flaubertien pour un artiste atypique

Edmond Vullioud – Voilà bien un roman flaubertien que celui, le premier, d'Edmond Vullioud! Sobrement intitulé "Sam", il relate la vie de "l'idiot du village" (tiens, c'est justement le titre que Jean-Paul Sartre donna à sa biographie de l'écrivain de Croisset...), Sam justement, enfant puis jeune homme. Il finit par trouver sa place, singulière, dans un village imaginaire du canton de Vaud: laissant venir les choses à lui, il sera à la fois artiste et riche héritier et propriétaire terrien – de ceux que Pierre-Henri Simon décrit dans "Les Valentin", mais c'est une autre histoire.

De Gustave Flaubert, l'écrivain adopte une certaine lenteur, nourrie aussi par de longs paragraphes qui donnent au lecteur l'impression d'entrer dans un roman aux ambiances confinées, comme peuvent l'être certaines journées villageoises marquées par des rituels et des hiérarchies sociales bien marquées que l'auteur radiographie: notables, pasteur hypocrite, ravages de l'alcool. L'entrée du roman est du reste marquée par la description assez ardue d'une église et de ses œuvres d'art par l'un des personnages, suivie par des actes d'ordre sexuel non consentis. Néanmoins, ce sont là les points de départ de tout ce qui suivra.

C'est en effet par l'art que Sam va trouver sa voie, une voie d'équilibriste, née de la figuration et de ce qu'on appelle aujourd'hui l'art brut: les premières pages montrent un Sam qui dessine ce qu'il a vécu, simplement, de façon nature et sans fard, si horrible que cela puisse être. Et ce n'est que progressivement que l'artiste prend le pas sur le dessinateur. Cela, en contrepoint à une évolution: de mutique, Sam commence à parler. Reste que dans le chemin d'artiste de Sam, ce dernier sera toujours suspect d'être un demeuré qui dessine et peint bien, plutôt qu'un vrai créateur de talent.

Peu à peu, l'auteur sort cependant de ce carcan qu'il a créé pour son personnage: il en dessine attentivement les débuts sentimentaux, eux aussi ambigus, peut-être fluides. Là encore, c'est dans la scène originelle, celle des actes d'ordre sexuel avec le fils du pasteur, qu'il faut trouver un point de départ à un penchant homosexuel jamais totalement éteint, malgré, pour Sam, une indéniable attirance pour les femmes qui le fera entre autres voyager jusqu'en Uruguay. Le poids des traditions et convenances sociales, marquées par le discours religieux, joue aussi son rôle dans la construction sentimentale de Sam.

Roman grave, "Sam" sait aussi trouver quelques notes de légèreté dans certaines scènes. Il y a encore du Flaubert dans la scène du repas de Noël, réaliste et minutieuse (il est permis de penser à la noce d'Emma et Charles Bovary), mais il y a aussi de l'esprit lorsqu'on observe Roger, le domestique, piocher dans les plats et les carafes de vin avant de servir. Roger, qui aura aussi ses zones d'ombre... Le lecteur appréciera aussi les descriptions sensuelles de tangos, vues à travers le prisme du champagne servi dans un établissement spécialisé, sis dans la ville uruguayenne de Nueva Helvecia.

L'écrivain recrée tout un terroir vaudois, on l'a déjà suggéré. Ce terroir mêle le réel, en particulier les noms de famille ou la religion, et l'imaginaire, au travers des toponymes. Ce mélange de réel et d'imaginaire apparaît aussi dans les personnages historiques mentionnés, qui dessinent une époque: celle du début du vingtième siècle, jusqu'à la fin de la Première guerre mondiale.

Pour faire bon poids, l'écrivain insère en fin de roman les biographies succinctes des personnages historiques qui hantent "Sam". Il est intéressant de relever qu'un certain Emile André Marie Bottaz, critique d'art donc observateur de son temps, figure parmi eux. Sa biographie fantaisiste (il fut l'élève de Paul Cantonneau, personnage d'Hergé, à l'Université de Fribourg) fait tilt: c'est un intrus. On relève que ce bonhomme est décédé le jour même de la naissance d'Edmond Vullioud. Un peu comme si l'écrivain était la (ré)incarnation immédiate de son personnage: après tout, l'art du romancier n'est-il pas, aussi, d'observer?

Pas toujours facile d'accès, copieux et volontiers lent (parfois un peu trop...), "Sam" est toutefois le premier roman talentueux et ample d'un écrivain qui s'attache à parler d'art et – c'est un peu pareil – d'humanité, avec un penchant avéré pour les zones d'ombre que cachent certains beaux préceptes: que peut impliquer par exemple la maxime "Tout ce qui mérite d'être fait mérite d'être bien fait"? Là encore, nous avons quelque chose de structurant pour Sam, pour le meilleur mais aussi pour le pire. Est-il donc attachant, ce Sam? Voire! Enfin, je vous le laisse découvrir...

Edmond Vullioud, Sam, Lausanne, BSN Press, 2019.

Photo: Daniel Henri Pasche/Wikipedia.

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