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mercredi 17 juillet 2019

Anna Ruchat, ce vide que laisse un père défunt au service

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Anna Ruchat – Un aviateur qui disparaît. Cet aviateur, c'est le père de la narratrice, Sonia, double de la romancière suisse d'expression italienne Anna Ruchat. "Sortir de l'ombre" est le court et dense roman qui explore le vide que crée ce décès, survenu alors que l'enfant avait neuf mois.

Après un prélude aux ambiances faussement religieuses et incantatoires, du reste intitulé "Psaume de service", où "service" rappelle d'ailleurs le service militaire, le lecteur est plongé dans un deuxième chapitre aux ambiances particulières où deux voix s'entrecroisent, porteuses d'un terrible contraste. Il y a d'un côté la parole simple et touchante de la fillette, nommée Sonia, qui raconte sa vie et essaie de vivre avec un vide confus, celui de l'absence.

Cette absence, elle n'a pas le droit d'en souffrir, parce qu'à neuf mois, on n'a pas de souvenir précis, en l'occurrence de son père, et qu'on n'a pas le droit de souffrir de ce dont on ne se souvient pas. Pourtant... La mère de Sonia souffre aussi de cette absence, et les amants de passage ne suffisent pas à la combler. Du reste, Sonia rejette ces amants s'ils tendent à s'incruster: elle ne veut pas perdre sa mère, en plus. Dès lors, l'attachement filial paraît maladif, excessif, exprimant ce que les mots n'ont pas le droit de dire.

Et en contrepoint à ce monde d'émotions bouillonnant et indicible, il y a des extraits des rapports établis par la Confédération sur l'accident d'avion militaire où le père a péri.  L'auteure exploite ce matériau a priori glacé sous la forme d'éclats, jusqu'à en faire une scansion obsédante, lancinante à force de répétitions, de ressassements. Ainsi, ce sont les mots du rapport qui sont supposés remplir les trous, combler l'absence. Mais c'est surtout le malaise qui s'installe.

Les voix se multiplient dans "Sortir de l'ombre", et celle du père défunt ne saurait y manquer. Elle occupe tout le chapitre 3. Il y a évidemment le vécu des dernières heures du pilote militaire, qui ont le ton d'un professionnalisme résigné, sans hauts cris. L'auteure, là, comble aussi un vide: personne ne sait ce qu'a ressenti le pilote, mais elle le reconstruit. 

Les pages du chapitre 3 sont aussi le rappel d'une réalité qu'on ne peut que trouver terrifiante, à quelques décennies de distance: en 1960, sept pilotes militaires suisses ont perdu la vie, en exercice, en temps de paix, à bord des Hunter et Venom qui faisaient le gros des appareils de l'armée suisse en ce temps-là. Énoncée dans le cadre dépassionné des dialogues de rappel des accidents antérieurs, qui implique le rappel des circonstances et des prénoms des pilotes trépassés, cette réalité n'en apparaît que plus dure.

Et le roman s'achève avec l'envie qui porte la narratrice d'y aller voir de près, de retrouver les lieux et les traces. La voix de l'image vient s'ajouter à celle du verbe: le récit est complété par des photos prises sur le terrain, ainsi que par des prises de vues anciennes. Cette visite a un prix: le désenchantement. Le chapitre est ainsi construit qu'il fait résonner la voix de la narratrice devenue adulte, affrontant la vérité crue, et celle de l'enfant qui veut croire encore que quelque part, Papa est vivant. Une croyance que quelques photos brisent, définitivement.

Il y a de l'enquête familiale dans "Sortir de l'ombre", bien sûr, mais aussi la volonté de se libérer de ce qui a pu être un fardeau bien lourd à porter. Sur quelques dizaines de pages, sa poésie sans cesse changeante naît du croisement des voix, qu'elles soient aussi sèches qu'un rapport d'accident ou aussi humaines que la restitution des pensées d'une enfant qui prend les choses comme elles viennent tout en sentant que quelque chose ne va pas. Et là, la traductrice Véronique Volpato restitue en français le texte italien d'Anna Ruchat, dans un souci général de sobriété et de musique bien comprise.

Anna Ruchat, Sortir de l'ombre, Lausanne, Editions d'En Bas, 2019. Traduction par Véronique Volpato.

Le site des éditions d'En Bas.

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