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mercredi 12 juin 2019

Gélules et bonne chère au bout du lac Léman

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Davide Giglioli – Eh, vous l'avez reconnu? Il a des petits airs de Bérurier, le détective Ueli Regli, quand il trimbale ses kilos superflus et son amour immodéré de la bonne chère déclinée à la mode suisse. S'il n'est pas porté sur la bagatelle, c'est pour deux qu'il est porté sur la bouffe, et le lecteur se lèche les doigts. Mais pour qui roule-t-il vraiment? Tel est l'un des fils directeurs de "Onirine", troisième roman de l'auteur italo-suisse Davide Giglioli.


C'est que si tout paraît burlesque, tout commence aussi par une scène bizarre, savamment mise en scène pour intriguer le lecteur: un bonhomme qui préfère vivre à poil qu'habillé débarque à l'UBS, tout nu, pour obtenir un million. Imaginez la tête de la jeune apprentie qui l'accueille! Des scènes comme ça, l'auteur en décrit quelques-unes, tout aussi percutantes – on rigole au passage en pensant à ce politique dont on dit: "Monsieur Rouges était un gros poisson" (p. 67). Un lien entre elles? L'Onirine, un produit pharmaceutique qui permet de piloter ses rêves à sa guise. Et quelques maladies mentales, syllogomanie par exemple, dont on aime à se gausser. Autour de Nic, le chercheur, qui emprunte son prénom à un journaliste du "Temps", on s'inquiète.

Reste que l'Onirine est un produit qui montre ses limites au bout de vingt ans d'essais auprès de types qui ont leurs manies... et c'est là que ça devient tendu. Chaud, même. Parce qu'il y a du fric dans le coup.

Basé à Genève, le roman "Onirine" assume un ancrage suisse fort, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur ce sont les appétissantes pages que l'auteur réserve à la bonne bouffe, façon tessinoise dans l'idéal, qui donnent au lecteur l'envie d'aller manger un risotto et de boire un verre de merlot ou de petite arvine avec l'écrivain. Mais ce succulent monde culinaire n'est qu'une façade, qui cache un monde bien défendu: celui de la pharma. Cette pharma protégée par ceux qui l'investissent... et se sont investis financièrement pour lui.

C'est que si l'auteur assume l'envie d'écrire un roman rapide et cocasse, porté par des dialogues qui claquent et truculent de façon généreuse, il entend bien, aussi, mettre en avant les problèmes humains, éthiques et professionnels que pose une pilule qui permet à chacune et à chacun de commander ses rêves. Résultat: quelques corps de métier aux arrières-cours pas très nettes suivent la chose de près afin de tout faire capoter. On pense à l'industrie du cinéma hollywoodien, vue par l'auteur comme un tout qui a beaucoup à perdre: pourquoi payer pour aller au cinéma quand on peut rêver son propre film chez soi?

C'est bien par l'estomac qu'Ueli Regli, un gras privé présenté comme "le meilleur détective de la Confédération", tient ceux qui le mandatent pour découvrir la vérité sur quelques cobayes. Disons-le d'emblée: en bon flic stipendié, Ueli Regli est le défenseur de l'ordre, observateur de la mise en place correcte de la vignette autoroutière. Aimable, le mec? Bonne bouffe ou bonne gouvernance, l'auteur ne choisit pas ou presque, laissant le lecteur à ses préférences, en rappelant mine de rien, même si ça peut faire mal à certains justiciers, que le polar est avant tout le genre du bon ordre policier.

Enjeu des retournements de situation du livre, cette impression sage ne fait pas oublier les nombreuses pages sympathiques d'un roman fulgurant. En définitive, celui-ci préfère en effet aller vite en privilégiant les dialogues amusants. Ceux-ci sont autant de points de départ de fausses pistes qui ouvrent la porte à une lecture réfléchie, éthique de ce roman. C'est que tout va très vite! Tout le monde aimerait en effet, très vite, être très heureux, et prendre des pastilles pour y parvenir. Pour le coup, avec "Onirine", la narration est réussie, le temps d'une lecture qui fuse et d'un moment de réflexion successif, prolongé par un épilogue où les éditeurs et l'auteur se rencontrent pour discuter, hilares, des soubassements du récit.

Davide Giglioli, Onirine, Genève, Cousu Mouche, 2019.



Le site des éditions Cousu Mouche.


2 commentaires:

  1. Davide Giglioli13 juin 2019 à 00:24

    Merci Daniel pour cette magnifique chronique!
    Je dois avouer que l'histoire du M.Rouges qui était un gros poisson je la découvre en lisant tes mots :)
    C'est ça la beauté des livres...Ils ne terminent jamais.
    Meilleures Salutations
    Davide Giglioli

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    Réponses
    1. Avec plaisir, merci pour les heures de lecture!
      Quant à moi, le coup du gros poisson "Rouges" m'a bien fait rire…
      Bonne journée et bonne fin de semaine!

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