Uršuľa Kovalyk – S'évader des cages que la vie vous impose. À cheval, pourquoi pas, dans l'esprit le plus romantique, le plus exaltant. Ou par la mort, comme le suggère le saisissant premier chapitre. Mais avant, d'enfant, devenir femme. C'est tout cela que relate "L'Ecuyère", deuxième roman d'Uršuľa Kovalyk traduit en français. Cela, en se mettant dans la peau de Karolína, enfant pas très bien dans sa peau, qui évolue dans le monde communiste des pays d'Europe orientale.
Autour de Karolína, quelle famille! Le lecteur découvre un monde atypique, fonctionnant comme un cocon où évoluent, outre la fille, sa mère qui aime un peu trop l'alcool et les hommes, et la grand-mère, une Hongroise pittoresque et aimée, au sang bouillonnant qui jure, joue et boit elle aussi. Un homme de substitution? On a le droit de se poser la question, d'autant plus que l'auteure fait dire à l'un des personnage de "L'Ecuyère" qu'à Karolína, il manque un père. Ce cocon explose soudain, et Karolína et sa mère se retrouvent logées dans un édifice moderne et sans âme, à peine fini. Et à l'instar des immeubles faits à la six-quatre-deux au bord d'allées bourbeuses, Karolína se construit comme elle peut.
"Cages", ai-je dit. Oui, les "cages" constituent un leitmotiv, une image récurrente dans "L'Ecuyère", représentant les déterminismes sociaux ou humains, les prisons que l'on se fait ou que d'autres construisent pour chacun: école, genre, emploi, dépendances, mais aussi régime politique, puisque l'auteure place son roman au temps du basculement d'un régime politique communiste vers l'économie de marché. Et suggère, au-travers de son personnage principal, qu'on s'est contenté de dorer les barreaux.
Splendide symbole d'évasion, dès lors, que celui du cheval! On pense évidemment à l'expression allemande "mit ihm kann man Pferde stehlen", qui signifie, dans un esprit de complicité: "avec lui, on peut aller au bout du monde". Belle promesse de liberté! C'est justement là que Karolína va, pour un temps, trouver un monde accueillant, un locus amoenus, entre son amie Romana, un peu larguée comme elle (elle est boiteuse) et Cecil, le cheval, une bête de seconde main mais qui a de la ressource. Ces cabossés de la vie avant l'âge vont vivre quelques moments exaltants, au fil de concours et d'exhibitions. L'auteure réserve quelques très belles pages à ces moments d'équitation acrobatique, vus de près dans un souci constant de transcrire les plus infimes impressions de Karolína dans ce contexte.
Une Karolína qui, là comme ailleurs, joue les chamanes en faisant usage de son don de double vue, qui lui permet de deviner un autre personnage dans les gens qu'elle côtoie. Irruption du fantastique, intuition sans filtre ou simple affabulation d'enfance, disparaissant dès qu'on est adulte? L'auteure joue la carte du doute, tout en exploitant ce ressort qui donne au roman un supplément d'onirisme.
Cet onirisme intervient par d'autres biais, d'ailleurs: préadolescente, Karolína rencontre Arpi, un garçon qui lui fait entrevoir des mondes différents au moyen de la musique de Pink Floyd, de la cigarette et des joints – au prix de ses culottes portées, mais rien de plus. Là aussi, la cage s'entrouvre... Karolína va-t-elle passer la porte? Tout cela concourt à permettre une forme d'émancipation, à laquelle répond l'évolution du corps féminin de Karolína. L'auteure, en particulier, réserve des pages sensibles et franches (parce que Karolína parle cash) à l'apparition, à un moment délicat, des premières règles de la jeune fille.
Et puis, il y a la poésie de l'écriture, celle qui aime recourir aux images, ou pas: dans le monde de l'enfance, par exemple, les sexes sont dits par des métaphores (saucisse ou trompe pour les hommes, bonbonnière ou pelote pour les filles), puis exprimés soudain par les mots qui disent la chose sans détours dès lors que Karolína comprend qu'elle prend le virage vers l'âge adulte. Mais malgré les avanies, Karolína n'a-t-elle pas vécu le meilleur de sa vie dans son enfance et son adolescence? C'est en tout cas à ce moment de sa vie, moment de changements et de promesses rendu avec une vigueur du verbe qui n'empêche pas la justesse du rendu du ressenti, que se joue toute l'intrigue de "L'Ecuyère".
Uršuľa Kovalyk, L'Ecuyère, Paris, Intervalles, 2019. Traduit du slovaque par Nicolas Guy et Peter Žila.
Le site des éditions Intervalles.
Hello cher Daniel, je ne retrouve ni ton mail ni ta page Fb (si tu en as une) alors je t'écris ici. Juste pour te souhaiter un joyeux anniversaire ! (si mes tablettes sont à jour...). J'espère que tout va bien pour toi ! Baisers affectueux. Alix
RépondreSupprimerBonsoir Liliba, merci pour tes voeux! En effet, je ne suis plus sur Facebook. Tout baigne pour moi - j'espère que tu te portes bien aussi!
RépondreSupprimerBises, bonne fin de semaine à toi!