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dimanche 3 mars 2019

Intrigues de palais au temps et au pays de Jésus

LE_TRONE_MAUDIT_BANDEAU
José Luis Corral et Antonio Piñero – Nous sommes en l'an 4 avant Jésus-Christ. Hérode le Grand, roi des Juifs, s'éteint, laissant vacant le trône d'Israël. Certes satellisé par Rome, il fait l'objet de plus d'une convoitise. C'est ce trône qui va servir de motif récurrent du roman historique "Le Trône maudit", signé des écrivains espagnols José Luis Corral, également historien, et Antonio Piñero, également philologue. Ils y convoquent du beau monde: Jésus, les descendants d'Hérode (Jésus de Nazareth pourrait d'ailleurs être l'un d'eux, suggère en passant l'intrigue), Marie-Madeleine, et pas moins de trois empereurs romains. Ce faisant, ils revisitent, sources à l'appui et en adoptant un regard sécularisé et rationnel, l'histoire de la Palestine au temps de Jésus.


Malédiction du trône d'Israël, oui: les auteurs soulignent ce que cela signifie pour le peuple juif en ce temps-là, marqué par une certaine superstition, mais aussi, pour ses élites, par un mode de vie bien éloigné de ce que voudrait la Loi et qui intègre sans façons ce que le paganisme a de plus séduisant, y compris ses dieux. Si le trône d'Israël reste vacant, en effet, n'est-ce pas le fait d'un dieu punisseur? Cette malédiction diffuse trouve corps dans celle que prononce Marie-Madeleine au pied de la croix où Jésus de Nazareth agonise: les auteurs suggèrent dès lors que pour le peuple d'Israël, en ce début de premier siècle après Jésus-Christ, c'est le fait de Dieu, encore lui, si les prétendants à ce trône vivent tous une fin misérable. Et les auteurs n'inventent rien: les dépositions successives, dont les auteurs soulignent le caractère terrible pour ceux qui en font l'objet, sont bien historiques.

L'intrigue du "Trône maudit" adopte un point de vue débarrassé de la foi chrétienne, qui a pu donner un déterminisme à certains événements. Mieux: elle se met le plus souvent à la place des grands prêtres et des autorités qui, en ce temps-là, font la loi à Rome ou à Jérusalem. Les auteurs donnent ainsi, sur Jésus de Nazareth en particulier, un point de vue crédible qui tranche avec l'image d'un Christ qui n'est qu'amour: à bien des égards, il apparaît davantage comme un exalté, héritier de Jean le Baptiste, et non exempt de doutes – car le doute est indissociable de la foi. Ainsi, l'épisode des marchands du temple apparaît non pas comme une volonté d'assainir un lieu destiné à la vénération du père de Jésus, mais comme un acte de vandalisme et une attaque en règle contre un business bien établi. Résultat: si Jésus apparaît comme un vandale, les prêtres, eux, Caïphe en tête, apparaissent comme des hommes soucieux de leurs affaires davantage que d'une religion vécue avec toute l'humilité voulue.

Les lecteurs retrouveront dans "Le trône maudit" quelques épisodes que les Évangiles ont rendus familiers, de façon allusive ou clairement décrite, en particulier en ce qui concerne la semaine passée par Jésus à Jérusalem. Quelques-uns manquent, aussi, pour des raisons de focalisation romanesque mais pas seulement: ainsi, le lecteur ne verra pas Ponce Pilate se laver littéralement les mains face à Jésus, au moment de le condamner à mort, et n'aura pas la relation de tous les miracles et de toutes les paraboles que les Evangiles prêtent au Nazaréen.

C'est que Jésus de Nazareth, vu comme un homme ordinaire malgré toutes ses (humaines) qualités, n'est en somme qu'un personnage parmi tant d'autres dans "Le Trône maudit", si importante que soit la place que les auteurs, certainement parfaitement conscients du capital de sympathie qu'il suscite, lui ont accordée. Ce roman tourne en effet en grande partie autour des intrigues de palais entre une poignée de princes, manigançant dans un pays, la Palestine, que les Romains voient comme compliqué et rebelle. Les auteurs excellent à recréer les tenants et les aboutissants de ces querelles, à dessiner aussi les profils des femmes, qu'elles s'appellent Ruth, Salomé ou Hérodiade, qui tirent les ficelles en coulisses.

Avec "Le Trône maudit", fruit d'un énorme et épatant travail de recherche au travers de sources historiques parfois contradictoires ou lacunaires, José Luis Corral et Antonio Piñero proposent un roman généreux, politique bien plus que religieux, détaillé sur près de 600 pages. Certes lent par moments tant il apparaît désireux de dire les choses dans toute leur épaisseur, il sait cependant recréer avec crédibilité le monde et les mentalités de l'est de l'empire romain des débuts, avec un empereur qui ne s'embarrasse pas de séparation des pouvoirs, qu'il s'appelle Auguste, Tibère ou Caligula, et dont il vaut mieux être bien vu, tant les soupçons sont faciles et fatals.

José Luis Corral et Antonio Piñero, Le Trône maudit, Paris, Editions Hervé Chopin, 2019. Traduit de l'espagnol par Anne-Carole Grillot.


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