Angéline Michel – Deux jeunes femmes que tout sépare, cette séparation étant symbolisée par leur habitat dans deux îles européennes bien différentes. Et pourtant, comme on s'y attend en somme, deux destins que tout relie, pour peu qu'on sache débusquer les secrets, tirer le fil de la pelote de laine. Ce jeu de rapprochements et de résonances de plus en plus précises, c'est celui du roman "Le goût du bonheur", le premier de l'écrivaine française Angéline Michel. L'éditeur "J'ai lu" le présente comme un inédit, ce qui est inexact: la romancière a vaillamment fait vivre son roman dans le monde de l'auto-édition avant que cet éditeur ne le repère.
Tout commence avec le récit parallèle de deux existences: celle de Laure, apprentie journaliste à Londres, et celle de Valentina, qui sert des cafés dans un bistrot de Sardaigne en attendant, peut-être, un job d'enseignante. Voilà deux mondes que tout sépare! On croit volontiers à l'ambiance du bistrot sarde où Valentina officie, une ambiance aimable parfaitement en phase avec l'esprit "feel-good" de ce roman. Il est permis de regretter, en revanche, le caractère peu crédible du monde journalistique tel que décrit par l'auteure: s'il ne reçoit pas la moindre invitation pour une représentation d'opéra ou une "Fashion Week", s'il paie tantôt en euros et tantôt en livres mais toujours peu, s'il oblige ses journalistes à jouer la carte de la débrouille (ce qui est amusant dans un tel roman, certes!), le journal Come On London est-il vraiment si important qu'il veut le faire croire?
C'est d'ailleurs plutôt en Sardaigne que tout va commencer, dès lors que Valentina va coup sur coup découvrir que quelqu'un lui ressemble à Londres, photo à l'appui, et se retrouver embarquée dans un jeu de piste amoureux, à la façon de celui qui se joue dans le film "Le fabuleux destin d'Amélie Poulain". Plaisant, jouant sur des plaisirs partagés par l'essentiel du grand public (un bon livre, par exemple, ou une once de mystère irrésistible, ou encore une maquette de bateau), il joue le rôle de moteur du roman. Et suggère de façon un brin convenue, par son issue, que le bonheur est à portée de main pour qui sait le voir. Réactive, Laure apparaît de son côté comme fort inspirée de Bridget Jones, par son métier mais aussi par sa maladresse qui apparaît en pointillés dans le roman. Le fait qu'une de ses collègues s'appelle précisément Bridget met du reste le lecteur sur la piste.
Autour des deux filles que tout sépare mais dont on devine vite que tout va les rapprocher, gravite un petit univers d'amis: nous sommes dans la génération des vingtenaires, des jeunes qui se cherchent une place dans le grand bain que représentent la vie et le monde du travail, sans sacrifier leur bonheur. Ce monde d'amis apparaît fort gentil, personne n'ayant de défaut rédhibitoire. Nikola est un dragueur? Valentina saura calmer ses ardeurs lorsqu'elle s'aperçoit qu'il est amoureux de Laure, quitte à pointer son index de maîtresse d'école refoulée: "Fais attention!". C'est que pour sauver l'ambiance feel-good, il est nécessaire que le cercle d'amis soit préservé, quitte à inhiber certaines personnalités, ou du moins leurs côtés déplaisants – mais des névroses que cela pourrait générer, il ne sera pas question. Tout cela laisse l'impression qu'en somme, dans "Le goût du bonheur", personne n'a de défauts, ce qui affaiblit quelque peu la tension narrative en la ramenant à un monde un peu mièvre, pétri d'aisance factice, à force de se vouloir rassurant.
C'est que pour faire rassurant, l'auteure convoque judicieusement toute la panoplie des ingrédients qui, par connotation, semblent réconfortants aux yeux du grand public. Le café coule en abondance parce que c'est une boisson sympa, surtout si elle est accompagnée de muffins, on boit de l'alcool avec modération juste pour se faire tourner la tête, et il arrive qu'on se réfugie sous un plaid pour fuir les contrariétés de l'existence. Omniprésent, le petit commerce est aussi présenté comme quelque chose de sympathique et de créateur de lien social, notamment dans le village sarde où vit Valentina: même du côté de Londres, il ne sera jamais question de ces monstres sans visage que sont Starbucks ou Amazon. Le côté "bien vivre" est même incarné par un personnage important, Ferdinand le chien, dont le comportement joliment observé prête à sourire à plus d'une reprise. Enfin, alors que les jeunes gens en présence entendent monter leur propre affaire, mêlant journalisme et bistrot littéraire, même la banque se montre bienveillante au moment où on lui demande un emprunt (p. 262). Autant dire que tout va bien!
Autant dire que les pensées négatives n'ont pas leur place dans "Le goût du bonheur"! On se côtoie, on est amis, on s'aime, dans un esprit où transparaît la culture d'une auteure pétrie de références françaises – quitte à ce que cela manque un peu d'esprit british ou d'italianità parfois, par exemple au moment où le projet des personnages se concrétise enfin. En refermant "Le goût du bonheur", un roman qui emprunte son titre, sans doute par hasard, à l'écrivaine québécoise Marie Laberge, le lecteur garde en bouche le goût d'un livre au plaisir quasi sans nuages, recréé sur une île méditerranéenne qui a tout du lieu commun du "locus amoenus" ou du cadre certes grec du film "Mamma Mia!" de Phyllida Lloyd, où même la révélation des secrets de famille soulage plus qu'elle ne gêne. Un goût sage et léger, auquel on ne croit pas tout à fait, mais qu'on apprécie parce qu'il est porté par un brin de plume alerte qu'on serait bien bête de bouder.
Angéline Michel, Le goût du bonheur, Paris, J'ai lu, 2019.
Le site des éditions J'ai lu, celui d'Angeline Michel.
Lu par Liburu, Sophie, Stéphalivres.
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