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mercredi 20 février 2019

Horlogerie et cœurs battants à Bienne

10h10
Prune – "10 heures 10": c'est l'heure que les montres affichent le plus souvent sur les publicités horlogères. Et c'est aussi le titre du premier roman de l'écrivaine Prune qui, sur le ton léger d'une chick-lit atypique, emmène son lectorat dans l'administration d'une entreprise horlogère suisse, Gameo. Cela, sur les talons de Sarah Parmentier.


Une Sarah Parmentier qu'il faut suivre, ce qui n'est pas évident puisque, surtout au début de "10 heures 10", elle passe son temps à se plaindre de son sort – ce qui ne facilite pas l'attachement – et certaines de ses sorties, un brin arrogantes à l'égard de ses collègues (on pense aux surnoms), ont la couleur de "Absolument dé-bor-dée!" de Zoé Shepard. 

Cela dit, ces plaintes et soupirs sont révélateurs de soucis dans lesquels les lecteurs peuvent se reconnaître malgré tout. Un emploi de coordinatrice web aux contours mal définis, après tout, n'est-ce pas un "Bullshit Job" à la façon décrite par David Graeber? Cela dit, considérer invariablement que les hommes sont des cons, surtout les collègues mais pas que, c'est quand même un peu généralisateur... Reste que ce jeu de cons en entreprise, Sarah le joue aussi, par exemple en mettant la pression sur les fournisseurs alors que la faute est de son côté. Est-elle meilleure qu'eux?

Cette fille en demi-teinte, presque trentenaire, embarque son lectorat dans les bureaux de Gameo. On est assez loin de l'horlogerie hardcore, bien sûr, et certaines caractéristiques évoquées par l'auteur, décrites de manière assez incisive, se retrouvent un peu partout dans les bureaux: chef tyrannique, collègues insignifiants ou pénibles, mises au placard. L'auteure recourt cependant à une astuce amusante: l'exigence de ponctualité, pour ainsi dire maniaque, qui déteint sur le personnel désireux d'adopter la philosophie de la boîte. Ainsi, Sarah et sa meilleure amie, Rachel "la Daurade", se retrouvent tous les jours à 12h32 pile à la cantine.

Côté sentiments, avant de trouver la bonne personne (ce qu'elle vit comme une révélation qui la transforme), Sarah va passer dans les bras de plusieurs hommes, que ce soit pour des plans foireux invariablement proposés par Rachel ou d'autres. Elle vit une idylle avec le stagiaire (aimablement surnommé "la cystite"...) et, avant lui, est amoureuse de son chef (ce qui ne l'empêche pas de penser que c'est "un connard"): une vie sentimentale torturée, faite de méandres, de traversées du désert et de contradictions. Le cœur a ses raisons... 

Et puis, on est en Suisse, à Bienne même! Quelques préjugés à l'encontre des Suisses alémaniques sont lâchés, et l'auteure réussit à caser un personnage pas bien finaud qui vote UDC avec conviction. Pensant probablement à un lectorat francophone non suisse, l'auteure multiplie les notes pour définir les helvétismes réels ou supposés dont elle parsème son propos pour faire couleur locale. Certaines de ces notes semblent cependant superflues, notamment celles qui évoquent le langage d'entreprise.

Méprisante, geignarde, Sarah Parmentier n'est sans doute pas la meilleure compagne quand on s'embarque dans la lecture d'un roman. Mais le lecteur s'accroche, parce qu'il voit, notamment au travers de quelques pages d'introspection, surtout vers la fin, que ce personnage est capable d'évoluer et de se remettre en question. Ce qui amène à un final aux allures lumineuses, ce que le lecteur relève aussi par le biais du regard des autres. Oui, Sarah Parmentier est enfin devenu elle-même, après avoir dégagé les leurres qui encombraient sa vie.

Prune, 10 heures 10, Bruxelles, 180° Editions, 2016.

2 commentaires:

  1. Je n'en ferai pas une priorité absolue mais je lirais bien ce roman rien que pour sa couverture que je trouve assez étonnante (dans le bon sens).

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    1. A essayer en effet! Il y a aussi, comme j'ai compris, une part de vécu dans ce roman. Et c'est vrai que la couverture, parfaitement adaptée à ce qu'il y a dans le livre, est aussi pour le moins atypique.

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