Pages

jeudi 15 novembre 2018

Rester en Corrèze, terre de secrets villageois

Marie Wilhelm – Dans "Aller simple Paris-Corrèze", le lecteur suit les aléas de la vie de Vincent Farges, un enseignant qui cache son lot de secrets inavouables engrangés à Paris, et choisit de revenir dans sa province de cœur. Cinquante ans, un peu plus? Les premières pages entretiennent le flou autour de l'âge et de la personnalité de cet homme qui, poussé à bout, a fichu en l'air la belle carrière de l'enseignant généreux qu'il était. A tel point qu'on l'a mis à la retraite, bien avant l'âge semble-t-il. Dans "Aller simple Paris-Corrèze", l'écrivaine Marie Wilhelm l'observe évoluer, dès son arrivée à Meymac.

Le retour aux sources n'est pas évident pour Vincent, qui doit réapprendre à se frotter avec celles et ceux qui l'ont côtoyé naguère. L'auteure excelle lorsqu'elle explique la mentalité des gens de Corrèze, à la fois fiers et pas rancuniers; elle met en particulier en avant l'incompréhension des anciens amis de Vincent lorsqu'ils le voient arriver à Meymac: voilà le Parisien! Une impression renforcée par le choix que fait Vincent d'aller vivre à l'hôtel, soit dans un tiers lieu, plutôt que de demander l'hospitalité à un proche. Il est permis, dès lors, de voir que lorsqu'il revient à Meymac, Vincent se considère comme un touriste dans son propre fief – Meymac, près de 3000 habitants, c'est un village corrézien où tout se sait en un rien de temps. Situation inconfortable...

Le personnage de Vincent arrive cependant comme le catalyseur de plus d'une révélation, développée à la façon d'une intrigue policière. Fréquenter Anne Lestrade? C'est mettre le doigt dans un terrible nœud de secrets! Anna Lestrade est une femme violentée qui se surnomme avec dérision "Bertha Punching Ball" – une dérision qui cache des violences vécues, vraiment. Anna, femme trop libre, fonctionnant au rire à outrance, s'attache immanquablement l'affection du lecteur; mais dans le roman, elle n'est pas prise au sérieux et cristallise plus d'une rogne. À commencer par celle de son mari, Tavarès.

C''est avec Tavarès, justement, que l'on bascule dans le monde du roman policier. Tavarès, mari violent, père cogneur, mais aussi homme sincèrement désireux de prouver à son épouse Anna, fille d'un notaire tyrannique, qu'il ne vaut pas moins qu'elle. Tout cela l'amène à prendre des libertés avec la loi... des libertés que la romancière recrée avec précision, notamment en ce qui concerne le monde pas forcément net des entreprises de transport routier. Résultat: autour de Tavarès, la nervosité s'installe.

Notaire tyrannique, ai-je dit plus haut? Oui, maître Lestrade sait mener son monde, non sans violence, et aussi en recourant à des moyens interlopes auxquels il a accès en tant que notaire. Autour de lui, il y a comme une chape de plomb qui définit le fonctionnement de sa famille, où tout le monde se tient, y compris cette épouse blafarde. Et gare à celui ou celle qui lâche des révélations! Dans "Aller simple Paris-Corrèze", cela se traduit par des clashs spectaculaires au restaurant de l'hôtel Central qui, dans une chorégraphie peut-être un peu trop étudiée pour paraître naturelle, fait figure de "centre" du récit. Soit dit en passant, l'auteure relève qu'on y boit du Mille Pierres – un vin rouge que j'aime bien!

Tout cela voit le jour au gré de cadavres et de différends plus ou moins assumés. Si Vincent joue le rôle du civil sans peur et sans reproche, il trouve sur son chemin le commissaire Bertrand Savigny, lui-même venu de Paris à la Corrèze avec ses propres galères dans ses bagages. Savigny, c'est le personnage récurrent des ouvrages de Marie Wilhelm. Le début du roman ne lui fait pas une place d'honneur, mais le lecteur aime le voir monter progressivement en puissance. Veuf inconsolable qui croit trouver son salut dans l'alcool, soutenu par un collègue amical, Savigny perpétue la figure des policiers qui vivent avec plus d'une fêlure.

On peut certes noter des choses difficiles à comprendre, par exemple la sérénité du sommeil de Vincent Farges alors qu'il vient de cogner Tavarès pour défendre Anna au domicile de cette dernière, ou alors l'hésitation sur l'âge de l'enseignant, finalement fixée par un rapport de police cité par l'auteure. Il est permis aussi de trouver détestable le personnage de l'institutrice à la retraite, surnommée "Mademoiselle" à l'ancienne, certes pleine de ressources, mais à l'attitude par trop enveloppante à force de considérer les personnages qui l'entourent comme ses enfants. Cela dit, tous ces personnages secondaires, qu'on les aime ou qu'on les déteste, sont une force du roman "Aller simple Paris-Corrèze": ils sont bien construits, de façon à ce que le lecteur y croie, et l'auteure ne les néglige pas lorsqu'elle déroule son intrigue. Plongés dans le déni de la question de la violence domestique, porteurs de leurs propres préjugés, les policiers de Meymac sont eux-mêmes des personnages intéressants.

En définitive, le lecteur du roman "Aller simple Paris-Corrèze" est en présence d'un roman policier solide, parfois un peu raide certes (tous ces gens qui se retrouvent au restaurant de l'hôtel pour en savoir plus, comme par hasard...), mais auquel on croit de bout en bout. C'est aussi un livre porté par un lourd secret villageois, générateur de violences plus ou moins éclatantes, autour d'un notable: le remettre en cause, c'est prendre le risque de se mettre au ban de la société locale. Mais surtout, l'écrivaine joue la polyphonie pour multiplier les points de vue et recourt à la forme du polar pour mettre en scène le jeu d'un provincial qui, après avoir fait un bout de vie à Paris, décide, séparé de son épouse, de revenir dans le département de sa jeunesse, de fuir un vécu regretté et de retrouver, peut-être, le fil de sa jeunesse abandonnée. Et d'y rester, peut-être.

Marie Wilhelm, Aller simple Paris-Corrèze, La Crèche, La Geste, 2018.

Le site des éditions La Geste, le blog de Marie Wilhelm.

2 commentaires:

  1. Eh bien ! Quelle lecture ! J'en suis épatée. Merci pour le temps et l'attention que vous y avez mis. Et merci pour ce compte-rendu qui sans tuer le suspense montre que vous avez saisi ce que je tentais de faire : une petite comédie humaine autour d'une intrigue policière. J'ai bien ri aussi au "comme par hasard". Bien amicalement, Marie Wilhelm

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour et merci de votre commentaire! Merci également pour les heures de lecture et l'envoi d'un exemplaire. J'ai pris beaucoup de plaisir à lire "Aller simple Paris-Corrèze". A bientôt!

      Supprimer

Allez-y, lâchez-vous!