"Maîtresse à la vie comme à l'école..."

Béatrice Ruffié Lacas – "Madame, Madame! Rowan, il a fait caca!": voilà une entrée en matière pour le moins cash! Telle est en effet la première phrase du roman "Demande à la maîtresse" de Béatrice Ruffié Lacas. Et la maîtresse, c'est celle qui s'exprime au gré des pages du livre: une professeure des écoles contractuelle prénommée Camille, "maîtresse à la vie comme à l'école". Son trait de caractère dominant? Le refus de tout engagement sentimental. Et à côté de cela, une certaine détestation des enfants, même s'il lui arrive de s'attendrir.

Détestation qu'on pourrait croire paradoxale, mais que Camille explique très bien, donnant dès les premières pages un point de vue cynique et blasé sur le métier qu'elle exerce, baladée au gré des remplacements. On n'est pas dans la glorification du métier: "Demande à la maîtresse" a même plutôt l'ambition de briser certains clichés. Camille apparaît du reste comme une enseignante peu consciencieuse, constamment débordée, aimant boire son verre, gaffeuse aussi: il y a quelque chose de Bridget Jones en elle.

Et si elle refuse de s'engager, elle n'en apprécie pas moins les hommes, qu'elle n'hésite pas à draguer s'ils sont à son goût. Pourquoi cela serait-il interdit à une femme, à une enseignante, après tout? L'auteure joue cependant avec son personnage en recourant à plus d'une reprise au procédé déceptif consistant à ne pas permettre à Camille de conclure – soit que l'homme convoité soit gay, soit qu'elle se soit fait un film pour rien. Là, Camille fait penser à Aldo Maccione! En passant, on relève que l'enseignante s'avère plus attentive au physique des hommes qu'elle croise qu'à leurs signes extérieurs de richesse: elle est plus sensible au cul du serveur (p. 46) qu'à la montre en or de Richard (p. 42).

L'intrigue se noue dès lors qu'un homme, dans son entourage, se montre mystérieux, intéressant, séduisant. Cela suffit à porter le récit jusqu'aux dernières pages et aux derniers retournements de situation, entre péripéties et états d'âme, sur le fond romantique de la ville de Paris: Camille serait-elle prise à son propre piège? "Demande à la maîtresse" est servi par une plume pétillante, corrosive à l'occasion. L'humour est toujours présent, parfois un brin prévisible; il est cependant servi par un sens aigu de l'hyperbole et de la formule qui claque. Pour donner une ambiance un brin leste au propos, l'auteure ne recule pas devant les doubles sens polissons et les ellipses pour suggérer ce qui relève de la sexualité. Rien de scabreux cependant: il n'y a jamais rien d'explicite concernant les actes sexuels eux-mêmes. Il en résulte une ambiance coquine, croustillante sans vulgarité.

Béatrice Ruffié Lacas, Demande à la maîtresse, Bruxelles, Les Bas-Bleus, 2018.

Egalement lu par Bouquineuse compulsive, Petite étoile livresque, Ptiteaurel.

Le site des éditions Les Bas-Bleus, celui de Béatrice Ruffié Lacas.