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jeudi 14 juin 2018

Dans les coulisses des salons de massage

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Olivier Auroy – "Aussi loin que Waan se souvienne, les hommes étaient toujours entrés en elle par effraction." Voilà un incipit aussi évocateur que le proustien "Longtemps, je me suis couché de bonne heure"! Celui-ci lance le dernier roman d'Olivier Auroy, "L'amour propre". Par-delà les références familières, il suggère aussi la question du consentement, certes plus grave que celle d'un début de recherche du temps perdu. Nécessairement, il installe aussi le thème du sang, avec ses connotations: règles, défloraison, puis égorgement. Beaucoup de choses sont ainsi dites! Ce livre revêt avec vigueur les ambiances fines d'un thriller d'ambiances, tout en faisant vivre quelques personnages assez bien définis pour que le lecteur se demande de qui il est question.

Ambiances? Nous voilà à Paris, dans un quartier chic et discret où Waan, jeune femme et personnage principal du roman, exerce son savoir-faire de masseuse à l'attention de ceux qui comptent. Le début du livre suggère qu'il ne se passe pas grand-chose, et s'attache à dire son métier au quotidien. Le lecteur se trouve ainsi installé sur la table de massage et, grâce à une description exacte de ce qui se passe, les massages revêtent un petit quelque chose de vécu. L'auteur, en effet, va chercher précisément les muscles de chacune et de chacun, toucher tout le monde de la main ou des doigts... et recréer ainsi, page à page, les ressentis y afférents.

Roman d'ambiances, "L'amour propre" joue la carte de la finesse, écrivant le passé et le présent d'un de Waan qui recherche ses travaux. Certes, Monsieur Victor (quel prénom dominateur!) se pose en responsable paternaliste et mielleux du salon de massage. Et autour de lui, les collègues féminines de Waan s'avèrent apparemment satisfaites de leur sort. Mais Waan a l'expérience des amours contraintes ou tarifées. Faut-il de l'ombre, alors, du côté oriental? Ou vaut-il mieux se donner dans les zones miséreuses de Bangkok ou dans les meilleurs quartiers de Paris? L'auteur pose la question à sa manière, autrement plus crue, vue de la proprette Paris: "A quelques rares exceptions près, elle ne massait plus que des gentleman. Mais c'était quoi au juste, un gentleman? Un goujat qui a décidé d'être patient?"

... précisément: l'auteur construit au fil des pages une comédie de la séduction, à la fois factice et sérieuse, où la masseuse fait croire à l'homme qu'il a une chance de sortir de ce système. L'homme veut y croire, la femme veut et doit gagner: il suffit de quelques lignes et paragraphes pour que l'auteur suggère un monde de relations commerciales où, malgré tout, malgré les ors, la femme est perdante. Ce jeu de faux semblants évolue pour donner des ambiances de thriller en fin de roman, finalement savoureuses dès lors que le lecteur voit les masques tomber, sur fond de trafic de rubis.

Réaliste, "L'amour propre" convainc: il pousse les portes de ces salons de massage parisiens où l'on ne sait jamais vraiment ce qui se passe, et donne à voir au lecteur un univers méconnu. Et au-delà, de Paris à la Suisse, "L'amour propre" est la narration d'une mère qui veut retrouver son fils et est prête à tout: à revisiter son passé, à démasquer celui qui se présente comme son protecteur et à retourner sur les rives du lac Léman. L'ambiance est trouble, les hommes sont gluants: avec Waan, l'auteur suggère qu'il est possible de sortir du piège d'une certaine forme de prostitution. Pourvu qu'on y mette de la volonté et une folle dose de confiance.

Olivier Auroy, L'amour propre, Paris Intervalles, 2018.

Le site des Intervalles, celui d'Olivier Auroy.

2 commentaires:

  1. tiens, ça a l'air original! et cette ambiance de thriller… oui, pourquoi pas?!

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  2. Ça l'est! Et surtout, ça se passe dans un univers présenté comme secret, et les ambiances sont bien campées. "L'Amour propre", c'est aussi l'histoire d'un destin de femme. Je t'en souhaite une bonne découverte, c'est à essayer.

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