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lundi 29 janvier 2018

Du côté de Nantua, un polar où les silences pèsent lourd

Laurent Malot – Avec le romancier français Laurent Malot, plongez dans les ambiances pesantes d'une province lourde de secrets! "L'Abbaye blanche" est un polar où les silences sont prépondérants, souvent masqués par un sourire désolé qui vaut mille aveux... mais qu'il est difficile de briser. On l'a compris: plus qu'un roman de spécialités, l'écrivain propose ici un polar d'atmosphères, porté par de beaux personnages au caractère bien saisi. Je termine cette introduction par une confidence: c'est le père de Laurent Malot, Daniel, multiple champion d'orthographe, qui m'a parlé des romans de son fils, attisant ainsi ma curiosité. Bon sang ne saurait mentir: en plus d'être un bon livre, "L'Abbaye blanche" est exempt de coquilles...

Nantua, ville tranquille à proximité de la non moins tranquille Suisse? Voire: coup sur coup, la police locale tombe sur un, deux, puis trois cadavres décédés de mort violente. Dès lors se met en place une première pression sur la police des lieux: toujours, celle-ci sera suspecte de ne pas être à la hauteur. Autour de Mathieu Gange, dès lors, on tâche de faire ses preuves face à des agents venus de la ville, décrits comme des pète-sec prompts à reprendre l'affaire en main. Autour de lui, un autre policier, une journaliste fouille-merde (on l'adore, celle-là, avec son goût de la confrontation qui ne manque pas de créer des étincelles) et une juge incorruptible: l'équipe est hétéroclite, mais elle fonctionne grâce la volonté commune, sincère, de briser le silence. 

Mathieu Gange? Avec lui, l'écrivain adopte le personnage classique du policier rugueux, viril et torturé à la fois, à l'aise à l'opérationnel. L'auteur sait cependant le rendre attachant par un biais original: il fait de lui un père élevant seul sa fille depuis quelque semaines, sa femme, Gaëlle, s'étant barrée pour faire le point. Ce ressort, il l'exploite judicieusement: rien n'est plus émouvant que de le voir essayant de répondre aux questions de sa fille, simplement énoncées et si compliquées. Et l'aide d'Emma, la baby-sitter, constitue l'amorce, peut-être, d'un nouveau départ: l'auteur a le chic pour installer quelques ambiances troubles prometteuses d'émois. Reste que curieusement, la femme de Mathieu semble mêlée aux crimes sur lesquels il mène l'enquête avec son équipe. 

La secte mise en question dans "L'Abbaye blanche" pourrait être n'importe lequel de ces groupes pseudo-spirituels qui, fort à la mode dans les années 1990, ont su capter l'attention et les fortunes des gens candides. On relève une petite faiblesse du roman: Mathieu Gange et son équipe semblent découvrir qui occupe l'abbaye blanche, alors que cela devrait être de notoriété publique ou en tout cas facile à établir. Cela dit, d'une manière classique et sûre, l'auteur recrée par compilation ce que les sectes peuvent avoir de pire, derrière des murs épais garants de discrétion: lavage de cerveau, effacement de l'identité, captation de personnalité, déshumanisation en somme. Cela, sous la domination de quelques "Sages" autoproclamés. Mais chut: il ne faut pas que ça se sache. 

Le secret de la secte fait écho aux secrets parfaitement séculiers portés par un bande de notables de province, eux aussi dessinés de façon classique, cachant leurs secrets derrière un sourire désolé et un décor cossu. Ces notables contribuent à l'ambiance lourde qui prévaut dans "L'Abbaye blanche": certains de leur impunité, ils renvoient le policier dans ses cordes, sans relâche. En début de roman, du coup, le lecteur va même avoir la désagréable impression que l'enquête traîne les pieds. C'est plus par l'intuition que par les preuves en dur que l'enquête avance, en effet. Mais que vaut l'intuition face à des cadres aux ordres, jaloux de leurs petits arrangements? 

L'intrigue policière avance donc, cahin-caha, dans "L'Abbaye blanche". Elle ne parvient pas à répondre à toutes les questions qu'elle pose: le lecteur de ce roman ne saura pas si la prostituée blonde est aussi l'épouse en fuite de Mathieu Gange, et restera sur sa faim concernant la multinationale sans âme qui pourrait être à l'origine des assassinats. C'est que ce polar est le premier d'une série dans laquelle le lecteur devrait, peu à peu, trouver toutes les réponses à une intrigue aux ramifications insoupçonnées. Cela, comme dit, au fil d'une intrigue dont la force réside dans la recréation d'ambiances et la mise en place des pressions de tout ordre, privé ou public, qui pèsent sur ceux qui, par métier ou par passion, se montrent curieux. 

Laurent Malot, L'Abbaye blanche, Paris, Bragelonne, 2016. 

Le site des éditions Bragelonne

6 commentaires:

  1. La suite est parue depuis novembre 2017, il faut que je me le procure ! Merci d'être passé sur mon blog ;o)

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    1. Bonjour Virginie, merci de ton commentaire!
      La suite est parue? C'est une bonne nouvelle! Je vais me la procurer aussi. Bonne lecture!
      P.-S.: ce fut un plaisir de visiter ton blog!

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  2. Une premier volet passionnant. Hâte de lire ton avis sur le suivant.

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    1. Il faudra que je mette la main sur les tomes suivants, en effet!

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  3. Un livre qui me tente... comme beaucoup d'autres.

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    1. C'est du bon, à essayer! En gardant à l'esprit que ce n'est qu'un début... Bonne découverte!

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