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lundi 8 janvier 2018

Derniers éclats et dernières gorgées de vie

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Ariane Ferrier – Le calendrier a de ces hasards: j'ai reçu en service de presse "La dernière gorgée de bière", petit livre d'Ariane Ferrier, le jour même où les médias en ligne annonçaient le décès de l'auteure, à la fin de l'an dernier. Paix à son âme! La mort d'une personne est toujours triste; mais en l'occurrence, c'est bien un éclat de rire ultime que l'écrivaine, journaliste de télévision et de presse, lègue au cercle de ses proches et lecteurs. Un éclat de rire, vainqueur puisqu'il résonne et résonnera encore, adressé à cet adversaire qu'on nomme "cancer".

Il ne sera guère question de gorgées de bière dans ce livre, si ce n'est au sens métaphorique. Le titre évoque naturellement "La première gorgée de bière", livre fameux de Philippe Delerm; il lui ajoute cependant quelque chose de plus, à savoir la saveur unique, essentielle, de ce qui ne reviendra plus jamais – et qu'on n'aura peut-être pas savouré à sa juste valeur. Il y a tant de choses, si amères ou si douces qu'elles soient (comme la bière, tiens!), qu'on ne goûte jamais autant que lorsqu'elles ne sont presque plus là...

Rire, ai-je dit. Cela passe d'abord par la manière de nommer la maladie – celle de l'auteure, atteinte au pancréas. Attentive aux mots, l'écrivaine n'y manque pas, et son cancer reçoit illico le surnom cocasse de "Merdula von Krotte", à prononcer avec l'accent de Karl Lagerfeld... L'utilisation du terme de "tumeur cancéreuse" est une manière de ne pas y croire encore, de contourner le terrible mot de "cancer", qu'on n'ose pas toujours dire. Et enfin, il y a ce terme très médical de "pannicule mésentérique" que l'auteure fait résonner dans sa bouche et utilise comme une invitation à jouer avec les mots et leurs sonorités. Rires, là encore.

Cela passe aussi par les situations vécues, et là, l'auteure, qui se met en scène, ne manque aucune occasion de relater ses propres éclats. Le rire devient alors médecin, manière de relâcher la pression dans le milieu austère et artificiel des hôpitaux, face à un adversaire sérieux. Il y a cette chambrée qui rigole parce que l'infirmier fait penser à Omar Sy et qu'il y a un ivrogne qui ronfle (ou pas), il y a ces examens si lourds de mauvaises nouvelles en perspective que seul un fou-rire permet de détendre l'atmosphère.

L'auteure sait aussi rire et sourire d'elle-même, de ses coquetteries et de son héroïsme bravache face à l'adversité: jusqu'au bout, elle refuse les chemises de nuit à dos nu de l'hôpital, et mettra un point d'honneur à avoir des ongles de pied impeccablement faits – sans pour autant être dupe du caractère dérisoire de cette ambition. C'est que l'auteure est consciente, constamment, d'être diminuée, entre autres par des traitements invasifs. Il n'empêche: face au cancer, elle se voit comme une guerrière courageuse, "un petit soldat buté, qui se cogne aux murs, en allant trop vite".

"C'est la première fois que j'ai un cancer", dit à plus d'une reprise l'écrivaine. Alors que d'autres se seraient laissé abattre, l'écrivaine a donc choisi de lutter, par la médecine (elle ne manque pas d'exprimer sa reconnaissance au personnel infirmier, ni de relever ce qui a pu l'étonner au fil de la prise en charge médicale), par le rire et le sourire. Celui-ci passe aussi par le ton choisi par l'auteure dans son livre, pointu et acéré, simple et naturel, au plus près de la parole humaine.

"La dernière gorgée de bière" a été écrit à la faveur d'une rémission par une auteure qui ne cache pas son affaiblissement. Et en terminant ce témoignage par les mots: "Maintenant, il faut vivre", l'écrivaine donne à tous ceux qui lui survivent, c'est-à-dire à ses proches qui l'ont soutenu, mais aussi à tous ceux qui la lisent, une belle et exaltante exhortation. 

Ariane Ferrier, La dernière gorgée de bière, Lausanne, BSN Press, 2017. Préface de Mélanie Chappuis. 

Le site des éditions BSN Press – merci pour l'envoi!

4 commentaires:

  1. Ha je vais le racheter a ma liste de livres a acheter il me tente bien.

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    1. Je te le conseille: c'est un livre court, mais c'est un sacré regard sur la maladie.

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  2. Cela doit être un livre très fort écrit par quelqu'un de très courageux. Mais si je note cette référence, la lecture que j'en ferai sera pour plus tard ; peut-être.
    Bonne journée.

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    1. En effet! Il faut de la force pour faire face au cancer... et en parler comme l'auteure le fait, en choisissant d'en rire, est impressionnant. C'est un livre court, mais à découvrir, pour sa force.

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