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dimanche 31 décembre 2017

Dimanche poétique 334: Emilien Pacini

Idée de Celsmoon.

Toast pour le Nouvel an

En ce jour si doux 
Tous au rendez-vous, 
Nouvel an, sois fêté par nous; 
Des plaisirs, des chansons, 
Des cadeaux, des bonbons, 
Accourez filles et garçons. 

L'amitié, le tendre amour tour à tour, 
Fêteront de ce beau jour le retour; 
Aux repas joyeux, 
Jeunes coeurs, vins vieux, 
N'est-ce pas le bonheur des cieux? 

Compagnons, à longs traits buvons, 
Compagnons, épuisons les flacons, trinquons. 

O Vierge mère, 
Sois nous prospère, 
Garde sur terre 
Nos fils bénis. 

En ce jour si doux 
Tous au rendez-vous, 
Nouvel an, sois fêté par nous; 
Des plaisirs, des chansons, 
 Des cadeaux, des bonbons, 
Accourez filles et garçons. 

L'amitié, le tendre amour tour à tour, 
Fêteront de ce beau jour le retour; 
Aux repas joyeux, 
Jeunes coeurs, vins vieux, 
N'est-ce pas le bonheur des cieux?
Oui pour nous tous c’est l’image des cieux. 

Tra, la, la, la, la, la, 
Que le champagne écumant, 
Pétillant mousse, 
Tra, la, la, la, la, la, 
Le vrai bonheur il est là. 
O Vierge, 

Tra, la, la, la, la, la, 
L'heure qui vient fuit déjà, 
Passons-la douce, 
Tra, la, la, la, la, la, 
Oui, le bonheur il est là. 

En ce jour si doux 
Tous au rendez-vous, 
Nouvel an, sois fêté par nous; 
Des plaisirs, des chansons, 
Des cadeaux, des bonbons, 
Accourez filles et garçons. 

L'amitié, le tendre amour tour à tour, 
Fêteront de ce beau jour le retour; 
Aux repas joyeux, 
Jeunes coeurs, vins vieux, 
N'est-ce pas le bonheur des cieux?
C’est pour nous le bonheur des cieux. 

Compagnons, sans façons, 
Arrachons les bouchons, 
A nos amis buvons, trinquons, 
Epuisons les flacons, 
Festoyons et trinquons: 
Au nouvel an, buvons, trinquons. 

Emilien Pacini (1811-1898), mis en musique par Gioacchino Rossini, in Album français. Source adaptée.


Interprétation du "Toast pour le Nouvel an" par le SWR Vokalensemble

samedi 30 décembre 2017

San-Antonio de Lanzarote à Berne: tiens, fume!

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San-Antonio – Lanzarote, capitale du crime? C'est en tout cas sur cette île des plus touristiques que l'on retrouve l'inspecteur San-Antonio pour sa 172e enquête, intitulée "Ceci est bien une pipe". C'était en 1999, et fidèle à lui-même, l'auteur utilise une intrigue policière légèrement brindezingue pour amuser ses lecteurs avec moult péripéties et jeux de mots improbables, autour d'un gang aux ramifications internationales nommé "Le Consortium".

On retrouve dans "Ceci est bien une pipe" le San-Antonio qu'on aime, un brin méprisant pour ses semblables, sous couvert d'humour, à moins qu'ils ne soient de sexe féminin: là, comme d'habitude, il se montre aux aguets, et particulièrement ouvert à tout ce qui se présente: femmes mûres, post-adolescentes, aînées, tout y passe. Cela, pourvu qu'il y ait de la passion de part et d'autre: rien n'est pire qu'une pipe taillée avec consentement, mais sans enthousiasme, comme celle de la bonne du domicile du policier.

Femmes donc: le narrateur en connaît un certain nombre dans ce roman, au sens biblique comme il se doit, et chacune a sa personnalité, que l'auteur met bien en place. On appréciera Nouhr la presque-adolescente, héritière d'un courtier en diamants, et sa fraîcheur. Avec San-Antonio, on vibrera aussi au contact de Mme Magnol, sexagénaire encore verte, ou avec Fridoline, Suisse alémanique massive et ouverte à toutes et à tous. Amicales ou traîtresses, il les lui faut toutes, comme à un nouveau James Bond! Et naturellement, au-dessus de toutes, il y a Félicie, la mère de San-Antonio, et sa bonne cuisine, qui trouve toute sa place appétissante dans "Ceci est bien une pipe".

Le lecteur voyage avec San-Antonio, et cela n'a rien d'exceptionnel: outre Lanzarote, l'auteur promène ses lecteurs jusqu'à Londres et à une Suisse alémanique de fantaisie, dans les abords de Berne, sur la trace d'une improbable Grossmonischbank. Il convient d'ailleurs de relever ici que rares sont les romans de San-Antonio qui ne font pas au moins une allusion, si furtive qu'elle soit, à la Suisse. Un tropisme qui, dans "Ceci est bien une pipe", se retrouve dans les quelques helvétismes glissés dans le texte: il est piquant de voir le très français Alexandre-Benoît Bérurier parler de "Natel" pour évoquer un téléphone portable.

Justement, les mots... là encore, la musique de San-Antonio est fidèle à elle-même. On y retrouve les habituels jeux de mots, les fautes de français voulues (quel massacre du passé simple, ah là là!) et les autres plaisanteries potaches. Le narrateur fait du reste à plus d'une reprise des clins d'œil aux membres de l'Académie française, créant en appels de notes des citations fictives d'Immortels tels que Jean Dutourd ou Valéry Giscard d'Estaing, pour ne citer qu'eux. Côté narration, on pardonnera à l'auteur quelques invraisemblances, par exemple la mention d'un tatouage sur la fesse d'une dame, alors qu'il n'a pas encore vu ladite personne nue.

"Ceci est bien une pipe" est donc un San-Antonio parfaitement comme on les aime, bien équilibré, rapide et ludique, amusant bien entendu. Aux côtés du commissaire devenu directeur puis chômeur, on retrouve un Bérurier fidèle à lui-même, mais peu présent, et un Jérémie Blanc qui joue admirablement les seconds rôles et hérite d'une cascade de surnoms, euh, hauts en couleur. Cela, sans oublier le chien Salami, petit nouveau dans la galaxie des personnages de San-Antonio.

A noter, enfin, que le roman "Ceci est bien une pipe", s'il n'a pas grand-chose à voir avec René Magritte, est quand même un Super San-Antonio complété par un guide de lecture des œuvres complètes de l'écrivain élaboré par Raymond Milési, connaisseur s'il en est de l'écrivain. L'édition originale, complètement timbrée, compte par ailleurs deux planches de timbres reprenant des couvertures d'anciens livres de San-Antonio. Les fans apprécieront et partageront!

San-Antonio, Ceci est bien une pipe, Paris, Fleuve Noir, 1999. 

vendredi 29 décembre 2017

Amours et différences d'âge: un diptyque rare

couverture Dialogue avec mon cul 2016 web
Tyscia Prond – Un livre avec deux nouvelles, est-ce possible? Un tel diptyque, c'est ce qu'offre à son lectorat l'écrivaine stéphanoise Tyscia Prond avec "Dialogue avec mon cul". Un titre cru qui annonce la couleur, dans une certaine mesure, puisque de façon plus large, c'est d'amours et de différences d'âge qu'il sera question au fil des pages. Dans "Le vieux riche", c'est l'homme qui est plus âgé. Et dans "Victor", le gamin, c'est l'homme, face à une femme qui a déjà une certaine expérience.


Arrêtons-nous un instant sur le livre, en tant qu'objet. Tiré à trente exemplaires, il arbore des airs de rarissime objet collector. Son apparence? Un format A4 plié en deux et agrafé, rien de plus. La qualité de l'impression est celle de la photocopie, contribuant à une image un peu trash, brute de décoffrage. Quant à la mise en forme du texte, elle est à l'avenant: avec ses fautes de français, ses coquilles et ses marges un peu serrées, "Dialogue avec mon cul" donne l'image d'un impromptu mitonné sur le gaz, pour ainsi dire à la minute.

Du vieux riche...
Pessimiste quoi qu'il en soit, "Le vieux riche" donne la parole à une jeune femme qui s'avoue d'emblée dégoûtée par les amours entre hommes âgés et femmes jeunes. "Qui est-elle pour juger?", voudrait-on demander. Peu importe... Ce rejet est la ligne directrice de cette nouvelle. Force est de constater, cependant, que la narratrice peine à susciter l'empathie. Les circonstances la mettant en présence d'un homme plus âgé qu'elle qui la considère comme une proie possible, elle multiplie les approches et propositions ambiguës (dernier verre partagé, proposition de rencontre, sortie à la piscine en pleine nuit), ce qui renvoie de cette féministe affichée une image d'allumeuse qui n'assume pas – d'autres diraient "une femme à problèmes", une névrosée. Et face à elle, du coup, si pitoyable que soit Charles, ce sexagénaire qui ne recule devant rien pour la baiser au Maroc (et l'auteure n'hésite pas à charger le tableau!), c'est quand même lui qui paraît sympathique, au moins un peu, avec ses airs de prédateur mis à terre.

Est-ce un jeu? L'auteure file la métaphore de la partie d'échecs, mais il est permis de se demander si la partie ainsi décrite, mettant en scène une femme dont le cul n'est pas à vendre mais qui ne souhaite pas non plus se remettre en question (on la sent prisonnière de ses préjugés et stéréotypes, jusque dans son activité mollement menée d'étudiante en sociologie) et un homme sur le déclin mais qui y croit encore, a vraiment un gagnant. Certes, la narratrice triomphe en fin de roman. Mais le goût de sa victoire est-il vraiment doux?

Reste qu'une attitude plus complaisante, plus opportuniste peut-être, n'aurait pas forcément été une stratégie gagnante, comme le suggère le personnage d'Elise, qui ne recule devant aucune relation, fût-elle abjecte ("performer une fellation", dit-elle lorsqu'elle doit s'absenter un instant pour faire plaisir à son barbon) et finit par crever de drogues et de richesse trop recherchée. Fallait-il vraiment rejouer "Jeunes femmes et vieux messieurs" de Serge Gainsbourg? La question reste ouverte, et en retraçant la route de deux femmes, l'une croyant en l'opportunisme (mais elle en meurt...), l'autre au mérite (mais elle s'avère médiocre...), l'écrivaine ne donne pas de réponse satisfaisante.

... à Victor
Les rapports d'âge sont inversés dans "Victor", une nouvelle qui apparaît plus heureuse, pour le coup, dans la mesure où elle libère une énergie bien plus positive: celle du bonheur partagé de la sensualité. Celle, aussi, d'un partage valorisant, vu avec tout le recul qu'implique une rédaction à la troisième personne du singulier.

L'aînée, c'est donc Carole, 37 ans, soudain éprise de Victor, 21 ans. L'auteure utilise le lieu commun du locus amoenus, retiré du monde et prenant la forme d'une maison de campagne, pour signaler l'exception d'un certain sentiment, naissant d'un simple effleurement d'épidermes. C'est aussi Carole qui est au cœur de la narration: le lecteur découvre ses émois, des émois qu'elle aurait crus impossibles, l'expérience ayant tracé son sillon et marqué déjà cette femme, pourtant jeune encore.

Dès lors, Victor fait quand même figure de faire-valoir, de personnage secondaire, d'objet en somme! Une impression cependant contrebalancée par la réalité de l'empire des sentiments que ressent Carole envers ce garçon qu'elle suivrait jusqu'au bout du monde, qu'elle voit même comme un "Dieu", avec majuscule s'il vous plaît. Alors, Victor est-il alors un homme objet? Peut-être, mais plus précisément objet de sentiments puissants qui étonnent Carole elle-même. Et puis, Victor reste libre jusqu'au bout, quitte à faire souffrir rétrospectivement Carole. Comme son nom l'indique, Victor, "insolent de certitude" pour reprendre les mots de la chanson de Dalida "Il venait d'avoir 18 ans", n'est-il pas le gagnant de cette nouvelle?

Deux nouvelles donc, de longueurs et d'impact divers, constituent l'ouvrage "Dialogue avec mon cul" – complété par un carnet de rendez-vous d'une durée d'une semaine. A la complexité tortueuse du "Vieux riche", le lecteur préférera certainement le bonheur décrit dans "Victor". Bonheur à l'arrière-goût un peu triste, certes, mais finalement lumineux. Et malgré les faiblesses – faut-il vraiment toujours jouer les relations humaines comme un jeu avec un gagnant et un perdant? – l'"objet livre" lui donnera l'impression flatteuse d'avoir entre ses mains quelque chose de rare.

Tyscia Prond, Dialogue avec mon cul, Saint-Etienne, Abribus, 2016.

Le site de l'éditeur.

Troublantes atmosphères, de la plage au tribunal

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Sylvie Granotier – Vous allez l'aimer... ou pas. Dans "Personne n'en saura rien", en effet, le méchant, Jean Chardin, pourrait presque paraître sympathique au lecteur. L'écrivaine Sylvie Granotier construit autour de lui un roman à suspens précis et captivant qui se joue pour l'essentiel dans un tribunal.

Sympa, le gars, en effet, dirait-on: l'écrivaine construit avec Jean Chardin un personnage d'homme gros, pas forcément gâté par la nature, mais qui se montre serviable, habile de ses mains, toujours prêt à couler une dalle dans les nouvelles maisons de ses amis et parents. Cette serviabilité fait écho à la volonté de coopération et à l'envie de s'en sortir, de se soigner, qu'il affiche face à ses juges. C'est qu'il a un gros problème dans la vie: il aime un peu trop les adolescentes. Justement, l'une d'entre elles a porté plainte...

"Personne n'en saura rien" est structuré par l'audience que subit Jean Chardin, une audience relatée avec un souci d'observation constant: rien n'échappe à l'écrivaine, pas le moindre geste, pas la moindre inflexion des voix des personnes présentes au tribunal. Exacte comme une partie d'échecs, la narration concourt avec succès à la recréation de l'ambiance particulière, confinée, des procès.

En contrepoint, l'auteure campe le monde extérieur, celui où évolue le personnage de Jean Chardin. Là aussi, son art précis fait merveille pour décrire l'ambiance familiale qui prévaut chez les Chardin: Jean, fils d'un couple de bouchers qui a connu des revers de fortune, connaît une existence dépourvue d'intimité, marquée qui plus est par la difficulté de se trouver une compagne. Tout cela est ambivalent: certes, la promiscuité imposée par une vie à quatre (Jean a une sœur) dans un tout petit appartement est malsaine, mais l'auteure ne manque jamais une occasion de mettre en avant le caractère uni, pour ainsi dire sympathique, de la famille Chardin.

Et puis il y a la vie propre de Jean Chardin, avec ses vacances à la mer et ses rapports violents avec les adolescentes, naissant d'impulsions sexuelles et répondant toujours au même schéma. Dès les premières pages du roman, l'écrivaine s'attache à créer des ambiances ambiguës qui rendent le lecteur voyeur, en quelque sorte complice malgré lui de Jean Chardin, pour peu qu'il soit sensible à certaines descriptions physiques des jeunes filles, à l'instar de Mélusine, allant à vélo la jupe retroussée: sensualité trouble à la David Hamilton...

Suspens de bonne facture à l'écriture vigoureuse, "Personne n'en saura rien" est aussi un excellent roman d'atmosphères, tendues bien comme il faut. Il joue tantôt la finesse, tantôt le bon gros retournement de situation pour captiver son lectorat autour d'un prévenu trop aimable pour être honnête. Un prévenu, aussi, auquel on pourrait bien s'attacher: trop bon trop con, certes, mais en définitive, n'est-ce pas un monstre?

Sylvie Granotier, Personne n'en saura rien, Paris, Albin Michel, 2014.



jeudi 28 décembre 2017

Zarca, de l'argot comme s'il en pleuvait

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Zarca – Soyez prévenus: la guerre des gangs fait rage dans certains arrondissements parisiens, notamment au nord et à l'est de Montmartre, et vous ne vous en rendez même pas compte. Zarca en connaît quelque chose: c'est la plume vigoureuse et pertinente des milieux parisiens interlopes. Dans son livre, d'ailleurs, où il se pose comme narrateur, on le surnomme "l'écrivain". Son livre? En 2017, c'est "Paname Underground", paru dernièrement et couronné par le Prix de Flore. Un prix mérité: roman parisien à 200%, il a le chic de recréer une voix unique. 

Et ce n'est pas peu dire: l'écrivain a retrouvé, puis pétri, mâché, pensé les mots de l'argot d'aujourd'hui pour en faire son propre langage. Cet argot est certes l'héritier assumé du verbe de San-Antonio, bien connu, mais il s'est enrichi de mots venus de l'arabe au sens large, et aussi du langage des gens du voyage et des Rroms (ah, le stupéfiant "racli", féminin de "raclo"...), sans oublier les ressources insoupçonnées du verlan. Il y a un génie certain à recréer un langage littéraire pareil, qui sonne juste même si personne ne parle ainsi. Zarca s'inscrit ainsi dans la lignée des écrivains, des tout grands du vingtième siècle, qui réussissent à recréer une langue. Deux noms, voire plus, parmi d'autres? Louis-Ferdinand Céline et Charles-Ferdinand Ramuz. Et, pour la génération suivante, San-Antonio, que l'auteur cite fort à propos. Autant dire que Zarca n'a pas "fisté" la littérature, au contraire: il lui a apporté une pierre importante.

Les mots semblent flamboyants, ils claquent juste, soit: c'est de la belle musique. Mais l'écrivain sait aussi construire une intrigue pour embarquer son lectorat. Pour ce faire, il poursuit deux pistes. Il y a d'abord l'idée d'un guide du "Paname Underground", que le narrateur pense comme un vadémécum du Paris méconnu destiné aux touristes qui ne craignent pas de se salir les mains: armes, drogues, rien ne lui sera épargné, et il y a de quoi avoir les yeux en boules de loto. Piste fallacieuse, cependant: aucun touriste ne prendra "Paname Underground" sous son bras pour avoir à coup sûr une bonne adresse. Cela dit, le livre laisse quand même entendre qu'il y a, dans les vingt arrondissements de la Ville Lumière, quelques lieux pas piqués des vers: boîtes gaies, bars à fachos, arrière-cours où se passent des trucs bizarres. Piste fallacieuse, ai-je dit? Oui, mais elle structure le roman et donne envie, sans en dire trop.

Autre élément structurant: la possibilité d'une intrigue policière. C'est que le narrateur se retrouve victime d'une tentative de meurtre. Et il sait pertinemment qui lui en veut. Cela lui permet de décrire, de son point de vue, les tensions qui se construisent autour de lui – un bonhomme qui a son caractère et dont le talent s'exprime au mieux à l'écrit. En installant par ailleurs un premier chapitre particulièrement chaud où le narrateur fait l'amour avec une femme enceinte qui se trouve être sa meilleure amie, c'est bien dans cette piste de roman criminel qu'il s'engage: plus d'un thriller s'ouvre sur une scène bien violente, et l'auteur en est conscient. Une force encore: en indiquant que Dina décède à un moment donné et que cela l'affecte profondément, l'auteur rappelle que le narrateur a un cœur.

Auteur, narrateur? Foin de mots compliqués! Lui-même blogueur, Zarca assume qu'en somme, le narrateur de "Paname Underground" et l'écrivain ne sont qu'une seule et même personne, d'autant plus que ce livre, dédié à une Dina sans doute vraie personne en plus d'être un personnage dans un livre, n'est pas présenté comme un roman. Pour le lecteur, "Paname Underground" est un livre atypique, qui sonne vrai et sait émouvoir. Il montre par ailleurs Paris comme jamais les touristes superficiels ne le verront, tout en masquant opportunément ce qui doit l'être: en définitive, c'est une invitation lancée à tous les esprits libres à gratter sous le beau vernis du Paris touristique, à pousser des portes... tout en faisant gaffe quand même: l'écrivain ne va pas jusqu'à jeter ses lecteurs dans le gueule du loup!

Zarca, Paname Underground, Paris, Editions Goutte d'Or, 2017.


Egalement lu par Amandine Glévarec.

lundi 25 décembre 2017

Joyeux Noël!


Habitués et abonnés de ce blog, visiteurs réguliers ou de passage, le jour est venu de vous souhaiter, à toutes et à tous, une belle et sainte fête de Noël. Bonne journée à vous ainsi qu'à celles et ceux qui vous sont chers! Et merci pour votre fidélité à ce blog au long cours.


Image: Nativité, attribuée à Daniel Sarrabat. Source.

dimanche 24 décembre 2017

Dimanche poétique 333: Jean-Jacques Ampère

Idée de Celsmoon.
Avec: Abeille, Ankya, Azilis, Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'Or rouge, La plume et la page, Maggie, Violette.

L'air est froid ; dans les cieux la lune brille et fuit ;
La cloche de Noël résonne dans la nuit.

Irai-je dans le temple où s'assemblent mes frères ?
Irai-je vers le Dieu qui consolait mes pères ?
Non, le temple est ouvert aux enfants de la foi,
Et le Dieu qui console est étranger pour moi.
Non, je ne prierai point ; que me fait la prière ?
Moi, j'écoute le vent siffler dans la bruyère.

L'air est froid ; dans les cieux la lune brille et fuit ;
La cloche de Noël résonne dans la nuit.

Voici la nuit du Christ, la nuit miraculeuse :
A cette heure, du ciel la voix mystérieuse
Plane sur le berceau des enfants nouveau-nés ;
Mais cette voix n'est pas pour les infortunés ;
S'ils regardent le ciel il devient noir et sombre,
Et des bruits effrayants les menacent dans l'ombre.

L'air est froid; dans les cieux la lune brille et fuit ;
La cloche de Noël résonne dans la nuit.

Ne priez point pour moi dans le temple rustique,
Ne priez point pour moi dans la chapelle antique,
Ô vous tous qui priez, ne priez point pour moi.
Seulement, si, le coeur saisi d'un vague effroi,
Vous arrêtez vos pas auprès du cimetière,
Pleurez, pleurez les morts et leur froide poussière.

L'air est froid ; dans les cieux la lune brille et fuit ;
La cloche de Noël résonne dans la nuit.

Jean-Jacques Ampère (1800-1864). Source: Mon-poème.fr.

mercredi 20 décembre 2017

Sa préférée qu'elle abandonne

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Michaël Perruchoud – Tragique et noire histoire que celle des trois femmes qui hantent "Sa préférée"! Pour son tout dernier roman, l'écrivain suisse Michaël Perruchoud choisit de dessiner les portraits de trois femmes qu'un drame sépare et que tout devrait relier. Ou pas: la grande sœur, la petite sœur, et la mère. Qui en a abandonné l'une des deux, "sa préférée" justement, une enfant de cinq ans, par une période de grande famine. 

Grande famine? On ne saura pas grand-chose du temps ni du lieu de celle-ci, si ce n'est qu'elle aurait pu se produire au vingtième siècle en Europe orientale, si l'on en croit les prénoms des personnages et le décor relativement simple, voire minimaliste, que l'auteur pose – un cadre qui n'est pas sans rappeler celui de "La Guérite", précédent opus du romancier. Ce flou de l'arrière-plan confère à "Sa préférée" des allures de conte intemporel. 

Tout s'ouvre donc sur l'abandon, par une mère, de l'une de ses deux filles: sa préférée, justement. Terrible entrée en matière, un brin démoralisante pour le lecteur! Rien ne manque pour décrire la misère extrême d'une époque, dès la première phrase: "Elles arrivaient dans ces quartiers où l'on mourait le moins." Il y a les notations, mais aussi le jeu des contrastes avec des temps qui furent plus prospères et dont on n'a que le souvenir en période de famine. Il y a aussi le jeu de l'altération des relations humaines, et le caractère veule des hommes face à des femmes qui, vaille que vaille, agissent. Et pour donner encore un peu de poids au propos, l'auteur va jusqu'à ponctuer son récit des surnoms de certains personnages, toujours identiques à l'instar de "Pauvre vieille grand-mère".

Mais si toutes sont fragiles dans "Sa préférée", aucune ne meurt... et l'auteur, après un premier chapitre centré sur la personnalité de la mère, dessine le parcours des deux filles, celle qui a été abandonnée et l'autre. Le travail de l'écrivain sur la psychologie de ces deux personnages qui grandissent est remarquable, et permet de les cerner jusqu'au tréfonds: l'une, celle qui a été abandonnée, va totalement effacer l'épisode de sa mémoire, l'autre va se surpasser afin de prouver à sa mère qu'elle ne vaut pas moins que... "sa préférée", justement: études, enfants. La mère, toujours là à comparer ses deux filles, l'absente adulée et celle qui est restée et endure ces rabaissements, finit par sombrer dans la démence après une vie marquée par la famine, qui détermine un rapport bien défini à la nourriture.

"Sa préférée" est porté par un style d'une très grande justesse, au plus près de ce qui est dit: l'auteur ne recule pas devant la phrase sans verbe pour donner du poids à certains mots, et fait un usage modéré de mots forts et populaires, voire vulgaires ("pute", lit-on quelque part), ce qui leur confère la portée toute particulière d'un éclat dans un contexte faussement calme. On relève aussi le sens du rythme de l'écrivain, qui fait alterner rapidement les points de vue de ses personnages pour accélérer le propos en fin de roman, après de premiers chapitres relativement longs, centrés sur un seul point de vue. Ceux-ci permettent de cerner, de manière douloureuse, les personnages, les liens et le contexte. 

Michaël Perruchoud, Sa préférée, Lausanne, L'Age d'Homme, 2017.


lundi 18 décembre 2017

Dieu, la philosophie, le pomerol et Jean d'Ormesson

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Jean d'Ormesson – Jean d'Ormesson est parti pour un monde meilleur, au début de ce mois de décembre. Il était temps pour moi de retrouver sa voix, et il se trouve que j'avais, depuis trop longtemps, un de ses livres dans ma pile à lire: "La Création du monde", dédicacé par l'écrivain lors d'une Fête du Livre de Saint-Etienne dont il était le parrain. Voici donc quelques impressions de ma récente lecture de cet opus, qui date de 2006 déjà.

Pour mémoire: l'histoire est celle de quatre amis, personnalités fort différentes, qui se retrouvent quelque part en Méditerranée pour huit jours de vacances mêlant les plaisirs de la bonne chère (le pomerol et les cigares) et de l'esprit. Ces derniers s'avèrent prépondérants dans "La Création du monde", puisque l'un des convives a emmené avec lui un manuscrit qu'il entend faire lire à ses compagnons. Il y est question de la rencontre entre Dieu et un être humain très ordinaire dont le nom rappelle le Juif errant: Simon Laquedem.

"La Création du monde" est donc construit comme un roman enchâssé dans un autre. Roman, vraiment? L'action est minimale, l'essentiel passe dans des dialogues à forte teneur philosophiques. Dans leurs dialogues, Dieu et Simon se prennent au sérieux, Simon buvant les paroles de son divin interlocuteur. Touche-à-tout, la philosophie véhiculée apparaît assez simple, assez basique, un brin pesante, et peut donner l'impression de tourner un peu en rond. Fort heureusement, en contrepoint, les rapides commentaires critiques des lecteurs de ce manuscrit donnent à ce dialogue le recul et la respiration nécessaires.

Qui est le Dieu mis en scène? Bien malin qui saura le dire, l'auteur suggérant ainsi le caractère insaisissable d'une telle personne, qui a parlé à Moïse, Abraham, mais aussi à Mahomet, puis justement à Simon, nouveau prophète pressenti. Reste que le point de vue reste plutôt chrétien, comme le suggèrent plusieurs allusions à la Bible que nous connaissons: les jardins du Moyen-Orient, certes présentés comme plutôt musulmans, font figure d'Eden, et quelques citations sont sorties des psaumes ("Parle, parle, Seigneur, ton serviteur écoute").

Quelques coquetteries complètent le tout, enfin, comme la mention de ce personnage nommé Edgar, sans D à la fin, ou l'idée, récurrente en littérature pour qui s'y hasarde, que Dieu se manifeste toujours près de chez soi: si Jésus est revenu à Genève pour l'écrivain genevois Mark Levental (dans l'amusant et iconoclaste "Les Maux du Prophète"), il fait une apparition aux Buttes-Chaumont pour Jean d'Ormesson le Parisien. 

Big Bang, temps qui passe, rêves, culture et conscience humaine, infiniment grand contre infiniment petit: l'écrivain revient, dans cette "Création du monde" en sept jours plus un, sur quelques thèmes qui lui sont chers. Cela lui donne prétexte à les commenter, dans un état d'esprit ambivalent: si tout cela est abordé de façon fort grave par Dieu, n'est-ce malgré tout rien d'autre qu'une bonne blague, qu'on fait passer avec un bon rire et un verre de pomerol? Allez savoir...

Jean d'Ormesson, La Création du monde, Paris, Robert Laffont, 2006.

Egalement lu par MajanissaTioufout.


dimanche 17 décembre 2017

Dimanche poétique 332: Philippe Jaccottet

Idée de Celsmoon.


Tu es ici, l'oiseau du vent tournoie,
toi ma douceur, ma blessure, mon bien.
De vieilles tours de lumière se noient
et la tendresse entr'ouvre ses chemins.

La terre est maintenant notre patrie.
Nous avançons entre l'herbe et les eaux,
de ce lavoir où nos baisers scintillent
à cet espace où foudroiera la faux.

"Où sommes-nous?" Perdus dans le cœur de 
la paix. Ici, plus rien ne parle que,
sous notre peau, sous l'écorce et la boue,

avec sa force de taureau, le sang
fuyant qui nous emmêle, et nous secoue
comme ces cloches mûres sur les champs.

Philippe Jaccottet (1925- ), Œuvres, Paris, Gallimard/La Pléiade, 2014.

samedi 16 décembre 2017

Bertrand Baumann: notules, le retour

Bertrand Baumann – Encore des notules! L'écrivain fribourgeois revient avec un second tome de ces petites notes, ces papiers collés et collectés qui, mis bout à bout, dessinent les contours de l'existence d'un jeune septuagénaire dans le canton de Fribourg. "De rien, c'est-à-dire de tout": c'est un titre idéal, quelque peu ormessonnien (impossible de ne pas penser à "Presque rien sur presque tout") pour un recueil qui observe tant de thèmes, tantôt légers, tantôt graves, tantôt quotidiens, tantôt érudits, en quelques lignes rapides. 

Qu'on le dise d'emblée: celui qui a lu "Ecrit dans le vent", premier recueil de notules de Bertrand Baumann, se trouvera en terrain connu; il aura probablement à plus d'un moment une impression de déjà-lu. Reste que le monde familier dessiné par Bertrand Baumann demeure agréable, serein et sympathique pour qui veut s'y attarder pour une seconde fois.

Par rapport à "Ecrit dans le vent", les contributions au "Pen Club de Maude" sont sans doute la nouveauté la plus frappante. Elles sont diverses, comme peuvent l'être les notules, mais ont ceci en commun d'être plus développées que ces dernières: le lecteur découvre alors des réflexions philosophiques souriantes, ou même des poèmes inédits, sur des thèmes donnés. Avant de trouver place dans un livre, ces textes ont donc été lus en petit comité. Et l'intégration à un livre leur donne un supplément de pérennité. 

L'auteur évoque l'écrivain allemand Georg Christoph Lichtenberg et ses aphorismes, qu'il traduit vers le français, pour le plaisir. Ce faisant, il s'inscrit dans la tradition de cette œuvre, faisant à son échelle ce qu'a fait l'écrivain allemand avant lui. Et comme dans Lichtenberg, dans une certaine mesure, les fragments collectés sont divers: bouts d'histoires vécues au jour le jour et transfigurés par un regard neuf, réflexions sur le monde qui va. D'une certaine façon, il est aussi permis de songer aussi aux "Papiers collés" de Georges Perros.

Et au fil des pages, le lecteur fait la connaissance avec l'auteur et son petit monde. "De rien, c'est-à-dire de tout" a quelques traits communs avec un journal qui ne dirait pas son nom: le livre évolue de façon chronologique, et raconte la vie comme elle va. Le lecteur retrouve ici avec gourmandise les chats de l'auteur, observés avec de la tendresse et la conscience que ces animaux indépendants et malicieux ont quelque chose qui échappera toujours à l'humain. Dans "De rien, c'est-à-dire de tout", le chat sert par ailleurs régulièrement de regard extérieur, faussement naïf, sur la vie humaine. 

Le lecteur reconnaît aussi l'envie de discipline de l'auteur, constamment attaché à trouver une vie bonne, empreinte d'un sage détachement, d'une ataraxie en somme, construite patiemment au fil de réflexions sur soi-même et d'exercices de patience. Il trouve aussi la description de rêves scrupuleusement notés, étranges, peut-être indicateurs d'une vie cachée. "De rien, c'est-à-dire de tout" recèle aussi quelques réflexions volontiers impressionnistes sur l'activité de traduction, ainsi qu'un regard tranché sur le monde, critique en particulier envers l'économie de marché conçue comme délétère. 

Le style des notules, enfin, est soigné, reflétant l'ambiance d'une vie sereine et attentive aux petites choses, menée dans un village de Suisse. Et lorsqu'on le referme, le livre "De rien, c'est-à-dire de tout" laisse le goût d'une petite leçon de vie, plus riche que ne le laisse penser la simplicité toute modeste des textes réunis. Cette leçon est traversée par la poésie et par un recul sain, donnée par un retraité jeune d'esprit, correspondant enthousiaste de François Cheng et amateur de haïkus, qui apprend à prendre conscience des limites et des beautés de son statut de jeune septuagénaire. Et qui, même à cet âge, se pique de continuer d'apprendre "le métier de vivre", pour reprendre les mots de Cesare Pavese.

Bertrand Baumann, De rien, c'est-à-dire de tout, Vevey, L'Aire, 2017.

Le site de l'éditeur. Merci pour l'envoi!

jeudi 14 décembre 2017

Chloé et Constance: on ne peut s'en passer!

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Marie Vareille – Chloé à la fête, Constance pompette. Le ton est donné: "Je peux très bien me passer de toi" est un roman empreint de légèreté, et une excellente chick lit à la française signée Marie Vareille. Fêtes, amours, vie du bon côté, entre Paris, le Bordelais et Londres: le lecteur s'amuse au fil de péripéties exactement orchestrées. Quels sont les secrets d'un tel roman?

Avant tout, le lecteur se retrouve face à des personnages auxquels il croit, sans glamour excessif ni misérabilisme. Au bout de leur vingtaine, Chloé et Constance exercent à Paris l'un de ces "bullshit jobs" (comme dirait David Graeber) qu'on ne sait ni nommer ni expliquer. Au bureau ou ailleurs,  les amours vont bon train: si Chloé collectionne les aventures sans lendemain pour oublier un amour passé qui ne passe pas, Constance vit son "no sex land" depuis (trop) longtemps. D'où un pacte entre amies, qui oblige chacune d'elles à modifier radicalement ses habitudes: démission, déménagement, cours de drague, tout va y passer. C'est là que tout démarre.

Autour d'elles, l'écrivaine a la capacité de disposer des personnages masculins empreints d'humanité, bien mieux que les figures stéréotypées qu'on peut trouver ailleurs. Là aussi, ce sont des gens d'apparence banale, avec leurs qualités et leurs défauts, et l'auteure, en plus de les travailler plutôt en profondeur, a l'art de leur conférer un soupçon d'originalité. Ainsi, mettre un vigneron, Vincent en l'occurrence, dans un roman de chick lit, fallait oser! Cela permet à la romancière d'expédier l'un de ses personnages dans le Bordelais, donc en terre rurale – ce qui dépoussière radicalement les décors d'un genre littéraire a priori citadin. Et, accessoirement, suggère le rêve inavoué de campagne que peuvent avoir certaines gens des grandes villes – un avant-goût du syndrome de la chambre d'hôtes?

Concernant l'action, l'auteure voit grand et dissèque bon nombre de travers et caractères types de la société contemporaine. Ses personnages sont bien de leur temps, en effet: le SMS est un mode de communication prisé, les filles surfent sur Internet au bureau avec une discrétion toute relative, et les aléas des téléphones portables (batterie plate) font partie d'un quotidien dont, de façon plus générale, l'auteure identifie toutes les petites catastrophes avec finesse – jusqu'aux comptes en banque à découvert qui n'empêchent pas de jouer les accros du shopping.

Du côté des mentalités aussi, l'auteure la joue moderne: pour approcher un homme, les Parisiennes mises en scène n'hésitent plus à prendre l'initiative, ou en tout cas à vouloir le faire. A cet égard, si caricatural qu'il soit – il peut rappeler un banal cours d'affirmation de soi appliquée – le cours de séduction pour femmes en déficit assertif est évocateur. D'un autre côté, l'écrivaine sait mettre en avant des sentiments de toujours, l'amour mère-fille faisant écho aux sentiments qu'une femme peut avoir pour un homme, ou pas, ce qui donne des pages émouvantes, pas toujours faciles à vivre pour les personnages: le lecteur va se retrouver plongé tantôt dans un enterrement, tantôt dans un mariage en province qui vire au clash alcoolisé. Tout cela amène Chloé et Constance bien plus loin qu'elles ne l'avaient prévu...

Chick lit au sens noble, "Je peux très bien me passer de toi" est aussi, et cela lui donne de l'épaisseur, un roman où les générations se côtoient, du bébé de Charlotte (une jeune mère qui aime bien mener son monde) jusqu'aux aînés malicieux mais sages – sans oublier cette mère dont le seul regret, à sa mort, est de n'avoir pas terminé de lire "50 nuances de Grey". Tantôt journal, tantôt narration classique qui va vite, c'est aussi un roman porté par le rythme soutenu d'un verbe léger et pétillant, qui prête à sourire à plus d'une reprise, au fil de sorties qui claquent, de comparaisons hyperboliques qui soulignent en rouge (à lèvres) les petits désarrois et les petits bonheurs de Chloé et de Constance.

Marie Vareille, Je peux très bien me passer de toi, Paris, Charleston, 2015.

Le site et le blog de Marie Vareille, celui des éditions Charleston.



mercredi 13 décembre 2017

Opium, rude et désirable amant

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Etienne de Montety – La faim d'oubli hante "L'Amant noir", dernier roman de l'écrivain Etienne de Montety, directeur du Figaro Littéraire. Voyages, évasion, littérature et poésie, sentiments même, rien ne manque pour faire en sorte que peut-être, Fleurus Duclair, descendant d'officiers subalternes, échappe aux affres d'une enfance vécue auprès d'une mère absente et d'une expérience traumatisante de la Première Guerre mondiale.

Mais c'est bien d'opium, avant tout, qu'il sera question, et l'auteur l'annonce dès son incipit: "Cette pipe, je l'ai achetée il y a longtemps dans une boutique de Stamboul." Première tentative, rémissions, retours: le narrateur, Fleurus Duclair donc, Versaillais donc pas tout à fait Parisien, relate à la manière d'une confession une relation intime avec une drogue qu'il considère comme une compagne, qu'il quitte un temps, puis retrouve avec avidité.

En mettant en scène le personnage de Fleurus Duclair, l'auteur s'abstient de tout discours moral sur la consommation de drogue, préférant présenter l'histoire de Fleurus et de l'opium comme une osmose, un vécu commun, avec ses exaltations et ses dommages: certes conscient du mal qu'il se fait en fumant, Fleurus Duclair préfère encore cela à l'abstinence. Quant à sa mort, ce n'est pas du chandoo qu'elle viendra... et de manière classique et appropriée, afin d'éviter une narration d'outre-tombe qui serait déplacée, c'est un article de journal qui l'annonce.

Les rémissions sont meublées par d'autres éléments susceptibles de porter l'oubli, notamment les missions militaires à l'étranger. L'auteur entraîner son lecteur en Turquie ou au Maroc, lieux porteurs d'exotisme. Il sacrifie aussi à la description de la frénésie des Années folles à Paris, lançant Fleurus Duclair et son épouse levantine Artémis Démétrios à l'assaut des établissements à la mode dans l'entre-deux-guerres.

Tout cela masque le mal de vivre d'un esprit poète fourvoyé dans l'armée, nourri qui plus est de culture allemande en un temps, celui des deux Guerres mondiales et de l'Occupation, où le Boche est l'ennemi. La poésie, et la littérature plus généralement, s'avèrent des exutoires séduisants, prometteurs d'une gloire que Fleurus Duclair que les champs de bataille lui ont refusé. Déçu par le monde de l'édition où il tente sa chance comme romancier avec un succès tout relatif (c'est pour l'auteur l'occasion de peindre un Georges Calmann-Lévy optimiste et sentencieux), Fleurus Duclair n'aura plus d'autre ressource que de vivre la littérature par procuration, en récitant des poèmes, seul ou éventuellement en compagnie d'un officier allemand.

La nostalgie, enfin, nimbe plus d'une page de ce roman, cette nostalgie que l'on cherche à faire taire, à oublier: il y a le théâtre et les réceptions pour la communauté d'expatriés français à Istanbul, et les chansons d'amour pour les militaires allemands en poste à Paris sous l'Occupation. A chacun son opium! Dans un style classique et soigné, l'écriture de "L'Amant noir" épouse au plus près les états d'âme d'un personnage qui s'observe et se livre sans faux-semblants, avec une franchise tantôt retenue, tantôt exaltée, trouvant dans son propre être diminué le meilleur des thèmes littéraires.

Etienne de Montety, L'Amant noir, Paris, Gallimard, 2017.


Egalement lu par Nicole Volle. 

lundi 11 décembre 2017

Comme venu d'Egypte, un hommage à San-Antonio

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Luc Doyelle – Une intrigue policière délirante, des enquêteurs brindezingues, des jeux de mots en cascade, un univers loufoque en un mot. Tel est le cocktail littéraire qu'a concocté Luc Doyelle pour son dernier roman, "L'Ennui du mort-vivant". Qu'on imagine, enfin: Lucius von Lucius, alter ego rêvé de l'auteur peut-être, se consacre à la thanatopraxie à ses heures perdues. Cela dit, le cadavre de ce roman va lui donner du fil (de suture) à retordre.


Plongeant dans l'Egypte actuelle, mettant en scène un grand vizir improbable, le prologue a quelque chose de déroutant. Au fil (dentaire) du roman, toutefois on comprend de quoi il s'agit: qu'on vole un parchemin rare, et le lien avec l'Egypte ancienne, celles des dieux et des parchemins improbables, est fait. Lien indispensable pour donner une assise au personnage du mort-vivant. Un mort-vivant qui semble avoir neuf vies... permettant à l'écrivain de générer avec succès un humour de répétition de bon aloi.

Certes, l'intrigue policière avance de manière étrange et un brin cahotante, son principe consistant davantage à amuser le lecteur qu'à lui faire découvrir les arcanes méconnus d'un commissariat d'une ville qui pourrait s'appeler Paris. Il est à relever qu'une partie non négligeable de l'enquête se passe au bistrot, un peu comme dans "Le Dragon de Gérimont" de Lefter da Cunha. L'amusement passe par des personnages hauts en couleur, parmi lesquels on relèvera la plantureuse Monica Beluga, qui aimerait bien se faire Lucius (qui refuse) et a un accent terrible et propice aux jeux de mots luxurieux. Le lecteur familier de l'écrivain reconnaît aussi des personnages et éléments venus d'autres romans, à l'instar de Nestor Boyaux ou de Kryptonite, dit "Le vrai con malté".

Jeu de mots, ai-je dit... L'auteur en est indéniablement friand, et prend plaisir à partager quelques bonnes blagues avec ses lecteurs, au fil (résorbable) du récit. Certaines ont un parfum de déjà-vu, empruntées qu'elles sont, le plus souvent, à San-Antonio – dûment cité en cours de roman, du reste. D'autres trouvailles verbales, plus originales, sont d'autant plus délicieuses. Cela, sans oublier les situations improbables, ni le jeu des notes de bas de page.

Plus qu'un polar à l'intrigue massive (même si celle-ci tient la route), "L'Ennui du mort-vivant" a donc tout d'un hommage à San-Antonio et à son inventivité verbale débordante. C'est aussi un roman qui a le sens du rythme et des dialogues (qu'on pense à ce geek qui joue au poker en ligne) et se lit aisément. Autant dire qu'au fil (d'Ariane) des pages, le lecteur va sourire plus d'une fois, voire éclater de rire, de bon cœur. Cela, jusqu'à la scène finale, qui se passe dans un crématorium...

Luc Doyelle, L'Ennui du mort-vivant, auto-édition, 2017.

Lu en partenariat avec SimPlement.pro; merci à Luc Doyelle pour l'envoi!

Ce roman a aussi été chroniqué par Au fil des livres, Gabrielle Viszs, JoeLes Yeux FertilesMcChipie, Sandra VoetSixte.

dimanche 10 décembre 2017

Dimanche poétique 331: Emile Verhaeren

Idée de Celsmoon.

Minuit blanc

Dalles au fond des lointains clairs et lacs d'opales, 
Pendant les grands hivers, lorsque les nuits sont pâles 
Et qu'un autel de froid s'éclaire au choeur des neiges !

Le gel se râpe en givre ardent à travers branches, 
Le gel ! - et de grandes ailes qui volent blanches 
Font d'interminables et suppliants cortèges 
Sur fond de ciel, là-bas, où les minuits sont pâles. 
Des cris immensément de râle et d'épouvante 
Hèlent la peur, et l'ombre, au loin, semble vivante 
Et se promène, et se grandit sur ces opales 
De grands miroirs. - Oh ! sur ces lacs de minuits pâles, 
Cygnes clamant la mort, les êtes-vous, ces âmes, 
Qui vont prier en vain les blanches Notre-Dames ?

Emile Verhaeren (1855-1916), Les bords de la route. Source: Poésie.Webnet.

mercredi 6 décembre 2017

Jusqu'en Bourgogne pour le secret d'un tableau

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Antoine Laurain – Et si vous, personne vivant au vingt et unième siècle, vous vous reconnaissiez trait pour trait sur un tableau peint au temps de l'Ancien Régime? Troublé par la ressemblance, vous aurez certainement envie d'en savoir plus... quitte à ce que cela remette toute votre vie en cause. C'est l'idée de départ du tout premier roman d'Antoine Laurain, "Ailleurs si j'y suis", paru en 2007. Heureux d'avoir pu en dénicher un exemplaire, c'est avec délice que je m'y suis plongé.


On constate déjà dans "Ailleurs si j'y suis" quelques éléments que l'on retrouvera dans les futurs romans de l'écrivain. Il y a d'abord un personnage aisé et installé dans un beau quartier parisien, en l'occurrence un avocat spécialisé dans le droit des brevets, Pierre-François Chaumont, amené à revisiter son passé.

Et surtout, il y a le goût des objets. Dans les romans les plus récents, ce sera un sac mauve ou un carnet rouge, ou une assiette avec une girafe peinte, ou le chapeau de François Mitterrand. Ici, c'est avant tout un tableau, un vieux portrait. Mais en donnant à Chaumont le tempérament d'un collectionneur compulsif, drogué des ventes aux enchères (ce qui vaut une scène excitante chez Drouot), l'écrivain s'offre l'occasion de décrire, en d'adroites esquisses, plus d'une curiosité, plus d'une antiquité un brin baroque.

Cependant, l'incertitude plane sur cette ressemblance, et le début paraît étrange, pour ne pas dire fantastique: seul Pierre-François Chaumont semble se reconnaître sur le tableau, son entourage la niant avec vigueur. Ce n'est qu'assez loin dans le roman que l'on connaîtra le fin mot de l'affaire, par un retournement de situation à la fois simple et astucieux, après un voyage qui révèle de premiers éléments sérieux au gré d'une belle scène de reconnaissance bien arrosée au cœur de la Bourgogne.

Les relations amoureuses viennent nourrir ce roman rapide. L'auteur se met dans la peau de son personnage principal pour dessiner les sentiments compliqués qu'il entretient envers son épouse, ainsi que la vie de couple enlisée qu'il connaît avec elle. Là aussi, il y a un secret à découvrir... Et la rencontre avec Mélaine parachève un changement de vie radical, fondé lui aussi sur sa part de secret.

Changer de vie, c'est ce qui arrive à plus d'une personne arrivée à la quarantaine, et c'est un tel virage que l'écrivain dépeint dans "Ailleurs si j'y suis". Le premier roman d'Antoine Laurain s'avère rapide et enlevé, pour le plus vif plaisir du lecteur.

Antoine Laurain, Ailleurs si j'y suis, Paris, Le Passage, 2007.


Le blog d'Antoine Laurain, le site des éditions Le Passage.

lundi 4 décembre 2017

Trips et univers parallèles au Mexique

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Serge Cantero – Il s'en passe de belles au Mexique! A moins que ce ne soit en Suisse, on ne sait pas forcément... Le lecteur qui se plonge dans "Le Dit des Egarés", deuxième roman de l'artiste et écrivain Serge Cantero, va en effet s'aventurer dans un grand voyage onirique d'une durée de sept jours fous. Quitte à se perdre. Le voilà prévenu!


"Le Dit des Egarés" mange en effet à tous les râteliers: tantôt il s'agit d'un récit ésotérique, tantôt il a le goût d'un roman policier inabouti, tantôt on a affaire à des pages aux accents érotiques ou sensuels marqués – une belle constante. Et surtout, la part du rêve, dirigé ou libre, est énorme. Ce rêve peut aussi être le fruit d'un trip ou d'une ivresse prononcée.

Le lecteur suit ici le personnage de Gaston Recréé, de sa compagne Monique et de leur amie Raquel, notoirement lesbienne, dans un voyage de sept jours au Mexique. Sur place, Gaston retrouve une connaissance de jeunesse, Karl, qui lui a légué une mystérieuse boîte contenant une histoire dont Recréé a tiré un livre. C'est l'occasion de replonger dans le passé, pour les deux hommes, autour d'une figure de médecin utopique, ancien Nazi, le professeur Hermann Waldherr. De quoi perdre encore un peu plus le lecteur entre deux périodes, au gré d'un fil rouge dessiné en pointillé.

Le passé et le présent s'entremêlent en effet dans "Le Dit des Egarés"... comme le rêve se mêle au réel, ou fait irruption au détour d'une de ces sept longues séquences qui sont autant de chapitres. L'auteur se promène avec aisance entre ces univers présentés comme poreux, où le rêve peut être guidé par un chaman, le chaman lui-même pouvant être un enfant curieusement savant pour son âge. Et si l'on pense que l'auteur n'exclut pas la possibilité d'une transcendance, force est de constater que "Le Dit des Egarés" part tous azimuts... quitte à ce que les lecteurs soient les "égarés" du titre.

Généreux, trop peut-être? Le lecteur pourra s'épuiser, déconcerté, à retracer toutes les pistes que l'auteur dissémine à l'envi, sans les suivre forcément jusqu'au bout dans leurs moindres détails, dans ce roman atypique qui ose même le grand voyage dans le temps. Mais "Le Dit des Egarés" conserve une part de solidité, grâce à une langue claire où alternent les longs paragraphes presque étouffants et les dialogues, aisés et même parfois truculents, si l'on pense à cet étrange touriste belge un peu lourdaud, ou à cet improbable hôtelier mexicain qui cause vaudois...

Serge Cantero, Le Dit des Egarés, Vevey, Hélice Hélas, 2017.

Le site de Serge Cantero, celui des éditions Hélice Hélas.
Egalement commenté par Francis Richard.