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jeudi 28 décembre 2017

Zarca, de l'argot comme s'il en pleuvait

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Zarca – Soyez prévenus: la guerre des gangs fait rage dans certains arrondissements parisiens, notamment au nord et à l'est de Montmartre, et vous ne vous en rendez même pas compte. Zarca en connaît quelque chose: c'est la plume vigoureuse et pertinente des milieux parisiens interlopes. Dans son livre, d'ailleurs, où il se pose comme narrateur, on le surnomme "l'écrivain". Son livre? En 2017, c'est "Paname Underground", paru dernièrement et couronné par le Prix de Flore. Un prix mérité: roman parisien à 200%, il a le chic de recréer une voix unique. 

Et ce n'est pas peu dire: l'écrivain a retrouvé, puis pétri, mâché, pensé les mots de l'argot d'aujourd'hui pour en faire son propre langage. Cet argot est certes l'héritier assumé du verbe de San-Antonio, bien connu, mais il s'est enrichi de mots venus de l'arabe au sens large, et aussi du langage des gens du voyage et des Rroms (ah, le stupéfiant "racli", féminin de "raclo"...), sans oublier les ressources insoupçonnées du verlan. Il y a un génie certain à recréer un langage littéraire pareil, qui sonne juste même si personne ne parle ainsi. Zarca s'inscrit ainsi dans la lignée des écrivains, des tout grands du vingtième siècle, qui réussissent à recréer une langue. Deux noms, voire plus, parmi d'autres? Louis-Ferdinand Céline et Charles-Ferdinand Ramuz. Et, pour la génération suivante, San-Antonio, que l'auteur cite fort à propos. Autant dire que Zarca n'a pas "fisté" la littérature, au contraire: il lui a apporté une pierre importante.

Les mots semblent flamboyants, ils claquent juste, soit: c'est de la belle musique. Mais l'écrivain sait aussi construire une intrigue pour embarquer son lectorat. Pour ce faire, il poursuit deux pistes. Il y a d'abord l'idée d'un guide du "Paname Underground", que le narrateur pense comme un vadémécum du Paris méconnu destiné aux touristes qui ne craignent pas de se salir les mains: armes, drogues, rien ne lui sera épargné, et il y a de quoi avoir les yeux en boules de loto. Piste fallacieuse, cependant: aucun touriste ne prendra "Paname Underground" sous son bras pour avoir à coup sûr une bonne adresse. Cela dit, le livre laisse quand même entendre qu'il y a, dans les vingt arrondissements de la Ville Lumière, quelques lieux pas piqués des vers: boîtes gaies, bars à fachos, arrière-cours où se passent des trucs bizarres. Piste fallacieuse, ai-je dit? Oui, mais elle structure le roman et donne envie, sans en dire trop.

Autre élément structurant: la possibilité d'une intrigue policière. C'est que le narrateur se retrouve victime d'une tentative de meurtre. Et il sait pertinemment qui lui en veut. Cela lui permet de décrire, de son point de vue, les tensions qui se construisent autour de lui – un bonhomme qui a son caractère et dont le talent s'exprime au mieux à l'écrit. En installant par ailleurs un premier chapitre particulièrement chaud où le narrateur fait l'amour avec une femme enceinte qui se trouve être sa meilleure amie, c'est bien dans cette piste de roman criminel qu'il s'engage: plus d'un thriller s'ouvre sur une scène bien violente, et l'auteur en est conscient. Une force encore: en indiquant que Dina décède à un moment donné et que cela l'affecte profondément, l'auteur rappelle que le narrateur a un cœur.

Auteur, narrateur? Foin de mots compliqués! Lui-même blogueur, Zarca assume qu'en somme, le narrateur de "Paname Underground" et l'écrivain ne sont qu'une seule et même personne, d'autant plus que ce livre, dédié à une Dina sans doute vraie personne en plus d'être un personnage dans un livre, n'est pas présenté comme un roman. Pour le lecteur, "Paname Underground" est un livre atypique, qui sonne vrai et sait émouvoir. Il montre par ailleurs Paris comme jamais les touristes superficiels ne le verront, tout en masquant opportunément ce qui doit l'être: en définitive, c'est une invitation lancée à tous les esprits libres à gratter sous le beau vernis du Paris touristique, à pousser des portes... tout en faisant gaffe quand même: l'écrivain ne va pas jusqu'à jeter ses lecteurs dans le gueule du loup!

Zarca, Paname Underground, Paris, Editions Goutte d'Or, 2017.


Egalement lu par Amandine Glévarec.

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