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jeudi 30 novembre 2017

Joseph Furcy, le témoignage émouvant d'une vie pour être libre

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Mohammed Aïssaoui – Essai historique ou roman? Ou, tout simplement, un essai qui se lit comme un roman... Voilà ce qu'est "L'affaire de l'esclave Furcy", ouvrage signé du journaliste et essayiste Mohammed Aïssaoui, couronné du Prix Renaudot de l'essai en 2010.


La destinée de l'esclave Furcy est authentique, et l'auteur a eu à cœur de la retracer au plus vrai en se plongeant dans la première moitié du XIXe siècle. Cela, tout en soulignant les silences parfois étonnants autour de ce personnage qui, né libre, a passé toute sa vie dans la servitude en raison d'un tragique concours de circonstances. Furcy aurait pu rester un anonyme parmi tant d'autres. Couronné de succès après 26 ans de démarches (1817-1843), son combat pacifique, juridique, pour que soit reconnue son statut d'homme né libre lui donne cependant une valeur d'exemple historique. En témoignent les archives de ces péripéties judiciaires, mises aux enchères en 2005. Des archives qui disent tout des procès et rien de l'homme...

C'est là qu'intervient l'art du romancier, pour donner vie à un Furcy qui devient un personnage. L'écrivain montre un homme d'une grande dignité, serein voire impassible parfois, entre autres face à l'adversité des procès. Ce qui n'enlève rien à son exceptionnelle détermination! Se fondant sur les écrits de Furcy lui-même, l'auteur fait de son personnage un homme instruit. Enfin, il y a la force du symbole: plus d'une fois, dans les moments déterminants de la narration, Furcy tient à la main la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Autant d'atouts qui rendent Furcy attachant, de même que ceux qui le soutiennent, et font ressortir par contraste l'arbitraire de la justice et l'iniquité de ses adversaires: les esclavagistes de tout poil, et en particulier son maître (un mot que l'écrivain évite autant que possible), Joseph Lory.

Maître, ou propriétaire... l'auteur rappelle avec précision le statut de l'esclave du temps du Code Noir, rétabli par Napoléon Bonaparte: un statut d'objet, dont on peut hériter (ils figurent à l'inventaire, entre les maisons et le petit matériel), ou qu'on peut vendre. De tout cela, la vie de Furcy et de son entourage à La Réunion (alors nommée Ile Bourbon) témoignent, de même que des coupures de presse et extraits de livres d'époque, tous sévèrement représentatifs. Dès le chapitre 2, l'auteur met en scène de façon saisissante, glaçante même, une conversation entre Joseph Lory et Auguste Billiard, homme aux ambitions politiques: que de préjugés, que de certitude tranquille que le modèle esclavagiste perdurerait dans ces îles où Paris semble bien loin!

L'auteur, lui, évoque régulièrement l'attachement ému qu'il éprouve envers Furcy, ce personnage dont il a retracé le singulier parcours. Outre les mots écrits par Furcy, l'auteur s'est attaché à retrouver, à La Réunion, la trace de son personnage, les lieux où il a pu vivre. Et s'il laisse volontiers résonner la destinée de l'esclave Furcy en lui, il se demande aussi pourquoi cette résonance est présente, sans avoir de réponse claire. Alors que l'historiographie de l'esclavage en France est rare ("L'histoire de l'esclavage est une histoire sans archives", dit l'universitaire Hubert Gerbeau, cité par l'écrivain), "L'affaire de l'esclave Furcy" est un témoignage rare et important, enrichi par un travail de recréation romanesque qui, tout en dramatisant juste ce qu'il faut pour toucher et captiver, a le souci permanent d'être au plus près de la réalité humaine et historique.

Mohammed Aïssaoui, L'affaire de l'esclave Furcy, Paris, Gallimard, 2010/Folio, 2014.


mercredi 29 novembre 2017

Douze nouvelles en rouge

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Pascale Pujol – Les règles: voilà un sujet peu évident à appréhender – entre autres pour le lecteur que je suis, qui par la force des choses n'en ferai jamais l'expérience intime. L'écrivaine Pascale Pujol choisit dans "Sanguines" d'en parler sous la forme de nouvelles. Cela lui permet d'en rendre compte, sans tabous mais d'une manière apaisée, entre réalité et imaginaires.


La part de mystère des règles est intégrée dans "Sanguines". Cela, de la manière la plus concrète qui soit, par le biais de la jeune fille qui ne sait trop ce qui lui arrive, même si elle réalise confusément, peu à peu, que "ça y est", dans "Le Passage". Bien sûr, ça tombe mal... Ce mystère confine à quelque chose d'ésotérique, suggéré par la nouvelle qui ouvre le recueil ("Magie rouge") et par celle qui le clôt ("Sortilège"), et d'autres titres, tels "L'alignement des planètes", le suggèrent aussi.  Enfin, le nombre de douze nouvelles ne va pas sans rappeler les douze lunes de l'année – une autre forme de cycle, cosmique celui-ci.

Si l'auteure évoque ce sujet sans tabous, certains de ses personnages vivent avec celui-ci: tout n'est pas facile à dire. Il y a de ça dans "Le Passage", au travers du personnage de cette mère qui ne sait s'il faut parler de ces choses à sa fille alors qu'elle les apprend ailleurs (et accessoirement du père qui, en fin de nouvelle, ne saura rien de tout cela), ou de l'impossibilité détournée d'en parler, même au sein du couple, dans "Vernis à ongles".

D'un tel sujet, il est également permis de sourire, et certaines nouvelles y invitent, en particulier celle qui, indirectement, suggère son titre au recueil: "Technique mixte". Il s'agit d'une plongée astucieusement troussée dans le monde des arts, dont le fin mot de l'affaire est certes attendu. L'écriture peut se faire carrément rosse, en particulier dans "La coupe est pleine", caricature d'un conseil d'administration exclusivement composé d'hommes dissertant sur un nouveau produit lié au cycle menstruel.

C'est que la manière dont les hommes considèrent celui-ci, si intime qu'il soit, est également présente dans le recueil. Choqués, curieux, saisis d'un désir dont ils sont les premiers surpris ("Lady-Net"), exclus ("Vernis à ongles") ou au contraire intéressés presque de force ("Magie rouge"), l'auteure les observe lorsqu'ils doivent faire face aux manifestations du cycle menstruel: sang, tampons usagés, etc.

Dépourvu de tout didactisme ou moralisme malvenus, "Sanguines" est un recueil qui se lit bien, en ce sens qu'il est servi par une plume agréable et fluide qui aborde la question des règles d'une manière dépassionnée. L'intimité, voire l'érotisme, sont présents, sans jamais tomber dans le scabreux, tout comme la vie quotidienne telle qu'elle va, y compris certains jours.

Pascale Pujol, Sanguines, Louvain-la-Neuve, Quadrature, 2017.

Egalement commenté par Emilie Di Matteo.


Le site des éditions Quadrature.

mardi 28 novembre 2017

Londres sous le soleil, le temps d'un polar

Catherine May – Il est peu probable que l'écrivaine suisse romande Catherine May ait quelque lien avec Theresa May, son homonyme, actuelle locataire du 10 Downing Street. Enfin, quoique: outre le nom de famille, il y a désormais Londres. En effet, "London Docks", deuxième roman de Catherine May, est un roman policier dont l'intrigue se déroule dans la capitale anglaise, au temps de Margaret Thatcher. 

Il y a beaucoup d'idées originales dans "London Docks", à commencer par le profil du tueur, dont la personnalité va se dévoiler tout au long du roman, parallèlement à la progression de l'enquête: nous avons affaire à un créateur, à la fois doué pour manier les pinceaux et les aérosols, et à un assassin retors qui scotche ses victimes entre elles. Le lecteur le connaît rapidement, mais pas les policiers; dès lors, l'intérêt de "London Docks" consiste à suivre l'approche d'une police qui piétine un peu.

Police, justement... l'auteure sait camper des personnages aux qualités bien marquées, autour de la personnalité particulièrement étudiée de l'inspectrice (la quatrième de couverture dit curieusement "inspecteure") Lynn Armitage. Parachutée à Londres après une expérience difficile dans une autre ville, elle s'avère un peu solitaire, capable de sentiments et d'empathie, un peu trop même. Et surtout, atteinte d'hyperosmie, c'est littéralement une agente qui a du flair! A ses côtés, on trouve un inspecteur aux manières d'ours mal léché et une hiérarchie pessimiste. L'ambiance est donc celle d'une équipe qui avance humblement sous les cieux londoniens.

Les cieux, justement... s'il y a bien un élément qui donne l'ambiance dans ce roman, c'est la météo, omniprésente. L'auteure s'est en effet renseignée sur le temps qu'il a fait jour après jour en été 1982, période où se situe l'action, et les descriptions de la canicule, surprenante dans une ville qu'on croit condamnée au brouillard et à la pluie, ne sont pas pour rien dans l'ambiance un brin lourde qui marque "London Docks". Il est permis de songer aux atmosphères torrides de "Canicule" de Donald Windham, où les effets du soleil se font sentir sur les personnages...

Et sous le soleil londonien, ce sont des œuvres d'art qui voient le jour. Là aussi, l'auteure s'est quelque peu renseignée sur les usages des artistes du graffiti, afin de construire un criminel crédible à la vie secouée, marquée par une mère humiliante et alcoolique, fabulatrice qui plus est. Ce qui nous amène aux éléments les plus glauques du roman, à savoir cet hôpital psychiatrique où il faut faire toujours plus avec toujours moins de moyens, quitte à rudoyer les patients, ou ces logements sociaux où les plus modestes vont s'entasser. Ou ces docks désaffectés, hantés par des marginaux, que l'auteure dessine.

"London Docks" s'avère un roman un poil long peut-être (l'enquête n'avance pas vite, c'est le moins qu'on puisse dire, et elle ne dispose pas de toute la technologie actuelle); mais tout y est pour que le lecteur se trouve en présence d'une bonne histoire, pas forcément tendue comme une corde à violon (en particulier, l'auteure fait l'impasse sur la description d'une possible pression médiatique), mais riche en belles atmosphères et habitée par de beaux personnages. Et puis, Londres sous le soleil, ça compte...

Catherine May, London Docks, Lausanne, Plaisir de lire, 2017.

Le site des éditions Plaisir de lire.

Olivier Larizza, le premier des cahiers d'un voyage au pays lointain

Olivier Larizza – "Il prit sa plume"... quel incipit serait plus évident que celui de "L'Exil"? Recueil de poèmes écrits durant la première décennie du vingt et unième siècle par le poète Olivier Larizza entre Strasbourg, Paris et Port-au-Prince, ce livre aux accents personnels est un écho de ce que l'auteur a vécu du côté de la Martinique. Un auteur qui écrit à la troisième personne: est-ce que le poète qui s'exprime est bien Olivier Larizza, ou faut-il concéder que "il" n'est autre chose qu'un avatar, ou la part que le poète veut bien révéler à son lectorat?

"Perdu", tel est le titre du premier poème du recueil. Et le lecteur a de quoi se perdre dans "L'Exil": il est invité à se plonger en apnée dans des poèmes vigoureux qui se lisent d'un souffle. Les ponctuations y sont rares, seules des majuscules indiquent qu'on change de phrase, structurant des textes où même les renvois et enjambements surprennent et déstabilisent. 

Est-on en présence d'une nouvelle musique ou juste d'une prose tranchée en vers de longueurs inégales, apparemment au hasard? Déstabilisé, le lecteur ne peut que s'étonner. Cela, d'autant plus s'il se montre attentif à ces caractéristiques qu'on prête à la poésie, et que l'auteur remet en question à plaisir: les rimes résonnent un peu au hasard, pas toujours avec la justesse que l'on voudrait, et la fin d'un vers peut tomber au beau milieu d'un mot. Jazz, déconstruction de la musique classique du vers français? Après le "Cahier d'un retour au pays natal" d'Aimé Césaire, présent par allusions dans "L'Exil" (p. 33, "retour au pays natal", par exemple), l'auteur ose une nouvelle tentative de faire naître une nouvelle musique poétique. Une tentative judicieuse, à défaut d'être toujours impeccablement convaincante: les temps sont nouveaux... appelant de nouvelles manières de dire.

"L'Exil", premier tome de ce que l'écrivain annonce comme une trilogie poétique, recueille des poèmes écrits par le poète du côté de la Martinique, en ce début de vingt et unième siècle. On relève rapidement que les thèmes abordés sont classiques, des thèmes de toujours, à commencer par la compagne lointaine, celle à qui l'on n'a pas osé dire "je t'aime". La description des choses vues, le désenchantement face à un lointain qui devient décevant lorsqu'on le voit de près (comme un Joachim du Bellay évoquant sa déception de Rome dans "Les Regrets"), la déception face aux humains aussi (ces Martiniquais peu intéressés par la poésie, ah là là...), ne sauraient manquer à ces cahiers d'un exil lointain. Enfin, il y a l'actualité, décrite de façon le plus souvent nette, mais parfois aussi trop allusive: il aura suffi de quelques années pour que certains événements évoqués ne disent plus rien au lecteur.

C'est donc une musique neuve, personnelle, qu'Olivier Larizza propose à son lectorat, et c'est là qu'il fait œuvre de poète. Une musique qui ne craint pas le hiatus ("Larizza Olivier", cité en page 53 avec un hiatus entre le nom et le prénom, alors que "Olivier Larizza" apparaîtrait plus fluide), ni la prise de distance. Une musique qui désarçonne aussi, et ressemble par moments, il faut l'accepter, à une prose segmentée en vers au gré d'un apparent hasard. Musique malmenée, musique rénovée? Le poète prend le pari. Et pour faire bon poids, il offre en postface une réflexion pessimiste sur le statut actuel de la poésie. Un genre à rénover en ce siècle tout neuf? Chiche!

Olivier Larizza, L'exil, Paris, Andersen, 2017.

Le site d'Olivier Larizza, celui de l'éditeur.

dimanche 26 novembre 2017

Dimanche poétique 329: Monique Saint-Julia

Idée de Celsmoon.

Je n'ai jamais mieux aimé l'hiver
que lorsqu'il mène l'haleine des brumes
la frilosité des buis à travers
une complaisance de ciel gris.
D'un bois crocheté de brillances
les grands houx flamboient plastronné
de broderies rouges, étrennes,
houle de fruits picorés par les merles
réinventant une offrande parfumée de saison
sur laquelle la main avide se referme.

Monique Saint-Julia (1938- ), Un toucher de neige, Vevey, L'Aire, 2017.

vendredi 24 novembre 2017

Des poèmes ciselés comme des flocons de neige

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Monique Saint-Julia – Un peu de poésie, et de saison qui plus est... à chaque page du recueil "Un toucher de neige" de Monique Saint-Julia, quelques flocons paraissent tomber du ciel, blancs sur les couleurs de la Terre. La poétesse est également peintre; c'est donc elle qui a signé les illustrations de ce petit recueil, préfacé par Jacques Tornay et salué par Yves Bonnefoy.


L'auteure écrit volontiers court: ses poèmes ne font pas plus de sept ou huit vers plutôt brefs, leur donnant pour ainsi dire la petitesse d'un flocon de neige, et aussi son apparente légèreté. Mais la densité de ce qu'ils recèlent, créant à chaque fois un petit univers, reflète aussi la beauté ciselée des cristaux de neige, jamais pareils.

Les mots choisis sont simples, les ponctuations dans les vers sont rares. Il en résulte pour le lecteur le plaisir d'une lecture fluide, aérienne comme un flocon de neige qui volette dans le vent ou qu'on laisse fondre. Et sous cette neige omniprésente, apparaît par touches un paysage, un merle, un milan, des arbres, ou alors des enfants. A la poétesse, il suffit de quelques mots, d'une image bien choisie et bien vue, pour décrire une situation, un monde.

Courts comme des flashes fugitifs, les poèmes laissent parfois la place à des proses poétiques. Bonne idée dans l'optique de l'agencement du recueil! Le lecteur s'y arrête plus longtemps peut-être, le temps d'une méditation plus travaillée, plus lente aussi, ces proses poétiques peuvent aussi être, pour la poétesse, le lieu des souvenirs.

La neige, puis le dégel: le recueil "Un toucher de neige" a la finesse délicate des flocons et l'aimable rondeur des lieux que recouvre un manteau de neige. Voilà donc un beau moment de poésie à savourer durant une longue soirée d'hiver!

Monique Saint-Julia, Un toucher de neige, Vevey, L'Aire, 2017.

Egalement lu par Francis Richard.

mardi 21 novembre 2017

L'histoire du retour d'un boxeur parmi les hommes

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Joseph Incardona – L'écrivain Joseph Incardona a décroché dernièrement le Prix du Polar romand, décerné dans le cadre du festival Lausan'noir, pour son roman "Chaleur". C'est l'occasion ou jamais d'évoquer un autre texte de lui, paru dans le sillage de la rentrée littéraire dans la percutante collection "Uppercut" des éditions BNS Press: "Les Poings". A savoir quelques dizaines de pages dans les coulisses du noble art de la boxe.


Des coulisses qui n'ont rien de noble: "Frankie Malone ne se réveillait plus sur des matins clairs", commence l'écrivain. Il présente ainsi le boxeur noir Frankie Malone, retiré des rings et retourné à l'état sauvage, pour ainsi dire: son épouse l'a quitté avec sa fille, il a sombré dans l'alcool, pris des kilos, et son horizon se limite à la station-service du coin et au "diner" où il consomme invariablement un steak avec une bière. Cela, après un parcours honorable entaché d'une seule défaite. Celle qu'on retient. Imaginant un patelin perdu au plus profond des Etats-Unis, le lecteur conçoit sans peine l'état de déchéance dans lequel l'écrivain plonge son personnage principal au début de ce micro-roman.

Et les circonstances vont faire que Frankie Malone, le déclassé, va retrouver le chemin de sa salle d'entraînement. Dès lors, l'écrivain relate la remontée de son personnage, tranquille mais déterminée: certes, il continue de boire de la bière avec son steak, mais il s'entraîne, perd du poids malgré tout, retrouve ses réflexes, son jeu de jambes. L'auteur décrit le monde pas forcément connu des salles d'entraînement de boxe, dit les gestes, les mots, le sauna et le jeûne pour perdre du poids avant le match (une forme d'ascèse...), dans un langage sans fioriture, où rien n'est de trop.

Cette remontée est motivée par la promesse d'un retour sur le ring, pour un combat de gala. Un combat qui fait figure de McGuffin, de leurre dans ce roman: au travers du retour à la boxe, c'est une véritable rédemption, un retour parmi les hommes que l'écrivain relate. Retour accompagné par un homme, Bugsy Quinn, le coach de Frankie Malone, qui va le soutenir. Et retour couronné par une rencontre qui, on peut en tout cas le comprendre ainsi (l'auteur négocie ce dernier virage de manière un peu abrupte), va montrer à Frankie Malone que tout ce travail pour revenir sur le ring, sous les vivats du public, n'était qu'une étape vers quelque chose d'autre. Vers l'humanité, justement.

Après "Dix-sept ans de mensonge"de Bessa Myftiu, "Les Poings" est le deuxième roman de la petite et jeune collection "Uppercut" qui évoque la boxe. Il faut croire que c'est un sport aussi percutant dans un livre que sur le ring! En tout cas, Joseph Incardona le démontre avec talent, soucieux de peindre avec des mots simples et directs l'âme humaine qui se cache derrière un contexte froid et peu engageant.

Joseph Incardona, Les Poings, Lausanne, BSN Press, 2017.






Le site de Joseph Incardona, celui des éditions BSN Press.

lundi 20 novembre 2017

Secrets d'argent et secrets de famille à Vevey

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Giovanni Garro – C'est la vie d'un jeune homme nommé Giovanni Garro que l'écrivain Giovanni Garro, longtemps actif dans le domaine du droit et des banques avant de se consacrer à l'écriture, fait défiler dans "L'Argent noir".


Il s'agit là du premier roman de cet écrivain, du reste présenté comme tel. Comment le comprendre? Il est permis de penser que l'écrivain a utilisé sa propre vie pour en tirer "L'Argent noir", même si l'appellation de "roman" suggère que l'on est en présence d'une œuvre d'imagination. A moins, tout simplement, que toute recréation littéraire d'une vie, fût-elle autobiographique, ne se doive d'assumer sa part d'imaginaire. A ce titre, une telle démarche mérite à tous les coups le beau nom de roman.

De quoi s'agit-il, en effet? De façon chronologique, le lecteur suit la destinée de Giovanni Garro, fils d'une riche famille d'entrepreneurs de Vevey, décrite dans des détails qui font la part belle à l'introspection, quitte à laisser au lecteur l'impression de lire les vicissitudes d'un pauvre jeune homme riche et indécis. On le verra en effet tâter tour à tour du chant, du droit, des lettres, avant d'achever son brevet d'avocat et d'obtenir de brillants emplois dans les secteurs public et privé.

Voilà pour la face visible... Premier élément secret, intime même, le narrateur se découvre homosexuel. Dès lors, cet élément intègre la biographie relatée, tendue entre la manière quasi naturelle de vivre cette attirance dès lors que Giovanni se trouve avec des amis compréhensifs, alors qu'il lui est très difficile d'en parler à sa famille, protestante et présentée comme assez sévère à certains points de vue. Là-dessus vient aussi se greffer une incapacité à se fixer, qui se traduit pour le lecteur par l'impression que le narrateur vit des aventures interchangeables.

La famille, justement... L'auteur installe autour de la famille Pasquier une ambiance de lourds secrets, associés notamment à une liaison que le grand-père de Giovanni entretient avec une amante, "une amie". Dès son enfance, Giovanni perçoit qu'il y a quelque chose, et c'est bien vu de la part de l'auteur, qui identifie la réponse que la mère ne veut pas donner à son fils comme le moment où celui-ci comprend qu'il y a quelque chose qu'il vaut mieux ne pas savoir. Giovanni a-t-il un frère ou une sœur caché? La question reste ouverte... et puis, il y a le divorce de ses parents, pas forcément bien accepté par une famille qui finira par bannir un narrateur décidément pas raccord.

Ces mystères familiaux, jalousement préservés dans un cadre où les apparences doivent rester sauves, font écho aux mystères de l'argent: mystère sur l'origine de la fortune d'un grand-père qui gâte son petit-fils à coup de billets de mille francs, mystère surtout sur la disparition d'importantes sommes d'argent, donnant à croire au grand-père qu'il est ruiné alors que selon toutes les apparences, ça ne va pas si mal même si la fortune s'érode. Cela, sans oublier le rôle trouble d'un comptable pourtant vu comme loyal. Et dans tout le roman, si les mots sont simples, les ambiances sont toujours marquées par ces pénibles secrets.

Sont-ce eux, au moins autant que la cocaïne et les psychotropes, qui finissent par miner l'intégrité mentale de Giovanni? Il est permis de le penser. Confirmée par la transcription de descriptions cliniques et l'évocation de consultations de psychiatres, la déliquescence du mental du narrateur est détaillée en pages parfois flamboyantes qui relatent les effets de décompensations psychotiques. Auparavant, tout commence par l'impression qu'a le narrateur, enfant, d'avoir un fil dans le dos, qui le retient à quelque chose et dans lequel il s'emberlificote – si imaginaire, si affabulé que soit ce fil. 

C'est un riche récit psychologique, un roman profond et oppressant que l'écrivain propose là! S'il emmène ses lecteurs à travers l'Europe, parfois, au gré de l'existence ballottée du narrateur, c'est essentiellement à Vevey que tout se passe. Dans le cœur et l'âme de... Giovanni Garro.

Giovanni Garro, L'Argent noir, Vevey, Hélice Hélas, 2017.


Le site de l'éditeur.

dimanche 19 novembre 2017

La crise d'un curé de (presque) campagne

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Jean Mercier – Pour un blogueur de livres, quoi de mieux qu'un dimanche pour parler d'un roman dont le personnage principal est un curé? "Monsieur le curé fait sa crise" est le premier roman de Jean Mercier, rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire "La Vie". Et force est de constater que dans ce petit livre troussé avec finesse, Dieu est (aussi) humour.


"Monsieur le curé fait sa crise" commence comme une succession de chapitres courts qui sont autant de scènes de la vie de paroisse, lieux de petites bisbilles qui navrent Benjamin Bucquoy, le prêtre. Fleurir l'église, assumer un positionnement de conviction, gérer une animatrice musicale branchée musique moderne, réagir à une pétition pour le maintien d'une chapelle condamnée: monsieur le curé a fort à faire, quitte à se perdre. Ce sont là autant de choses sans doute vues dans les paroisses, et qui sonnent juste sous la plume de l'écrivain, tant elles sont bien trouvées et reflètent certains enjeux permanents de l'Eglise catholique, telles que la querelle entre les traditionalistes et les modernes et le besoin de se positionner face à Vatican II et à ses conséquences.

Une déconvenue de trop, une frustration, et le curé disparaît... C'est là que l'histoire débute vraiment: on cherche Benjamin Bucquoy partout, on finit par le retrouver. Ouf! L'auteur mêle habilement plusieurs allusions à la Bible à son récit. La retraite de Bucquoy se trouve au fond d'un jardin qui pourrait être un Eden – "un paradis végétal", dit même l'auteur. Le curé s'emmure vivant dans un cabanon pour méditer, et s'il ne l'a pas écrit, gageons que l'auteur aura pensé à faire tomber ses murs à l'aide des sept trompettes de Jéricho. En revanche, une chose est certaine: celle qui a retrouvé le curé est une ancienne prostituée nommée Madeleine. Lorsqu'elle s'écrie "Il est vivant!", on se croirait à Pâques... Cela, sans oublier une ou deux références à des figures tutélaires de l'Eglise catholique, telles que le curé d'Ars, saint Jean-Marie Baptiste Vianney.

Benjamin Bucquoy a son petit caractère, on le constate page après page, et il est permis de penser parfois à Don Camillo. Mais il ne serait pas si attachant s'il n'était capable de se remettre en question afin de dépasser les épreuves. Résultat: la vie ne va certes pas l'épargner, mais elle finira par le gâter au-delà de toute espérance.

Un peu de réflexion, mais aussi de l'humour: telle est la recette de "Monsieur le curé fait sa crise", un roman qui revendique un ton frais et sympathique. L'humour naît des situations, et feront sourire tous les lecteurs qui connaissent les coulisses d'une petite paroisse. Mais l'auteur choisit aussi de se moquer un peu de ses personnages en leur prêtant des noms parfois porteurs de jeux de mots (le fameux Enguerrand Guerre, le pétitionnaire belliqueux), ou simplement légèrement ridicules. Tout cela pour dire que "Monsieur le curé fait sa crise" est un joli roman qui dépeint finement, avec indulgence et sans se prendre au sérieux, un petit monde qui, s'il sert toujours Dieu avec sincérité, s'avère en définitive très, très humain.

Jean Mercier, Monsieur le curé fait sa crise, Paris, Editions Quasar, 2016.


Le site de l'éditeur.



Dimanche poétique 328: Charles Dovalle

Idée de Celsmoon.



Volupté

Comme de leurs rameaux s'enveloppent les saules 
Dont l'humble tronc se dérobe aux regards, 
Dénoués dans nos jeux, laisse tomber, épars, 
Tes noirs cheveux sur tes blanches épaules.

Autour de moi jette un bras nonchalant ; 
Par un charme invincible à ma bouche attachée, 
Sur mes genoux reste couchée, 
Comme un capricieux enfant.

Et pour mourir tous deux dans une même extase, 
Que sur mon sein ton sein se soulève éperdu ! 
Que dans mon souffle ardent ton souffle confondu 
Des mêmes flammes nous embrase !

Ainsi deux sons de harpe ensemble vont mourir, 
Ainsi deux échos se répondent, 
Ainsi deux baisers se confondent, 
Ainsi deux longs soupirs ne forment qu'un soupir.

Charles Dovalle (1807-1829), Poésies de feu. Source: Poésie-française.

vendredi 17 novembre 2017

Sept cantons, sept polices... et pas mal de cadavres en deux morceaux

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Nicolas Feuz – Un polar couvrant toute la Suisse romande: est-ce que cela a déjà été fait? C'est le projet audacieux dans lequel s'est lancé l'écrivain Nicolas Feuz, également procureur de la République et Canton de Neuchâtel. Il en résulte un roman policier solide qui porte un titre énigmatique, inspiré d'une tradition massaïe: "Eunoto, les noces de sang".


Une mise en perspective pour commencer: s'inscrivant dans le prolongement de la "Trilogie Massaï" du même auteur, "Eunoto" peut tout à fait se lire de façon isolée. Cela, même si les personnages sont récurrents, à commencer par le policier Michaël Donner, et semblent avoir un passé qui peut échapper au lecteur ponctuel. On pense au Monstre de Saint-Ursanne, Brent Wagner, dont le lecteur va se demander durant tout le livre s'il a été emprisonné par erreur. Ou à de nombreuses allusions mystérieuses à une intervention en Camargue.

Personnage récurrent, l'inspecteur Michaël Donner est dessiné essentiellement dans le cadre de son activité policière dans "Eunoto". On sait donc qu'il a 25 ans, qu'il est amoureux de sa collègue Lara et qu'il est métis, mais guère plus sur sa vie privée. En revanche, côté professionnel, force est de constater que l'auteur l'a bien caractérisé: on le découvre sportif, capable d'intuitions aux conséquences incontrôlables, et aussi fonceur, quitte à prendre des libertés avec les usages, voire la légalité. Est-ce pour cela, ou à cause de sa jeunesse, ou encore en raison de la couleur de sa peau, que son entourage professionnel l'a à l'oeil? Par moments, l'auteur entretient le doute, suggérant, sans l'affirmer frontalement, un fond de racisme chez certains personnages.

Particularité de la Suisse, Etat fédéral s'il en est: chaque canton a sa police. Du coup, quand une affaire criminelle se répand sur sept cantons comme dans "Eunoto", chaque police cantonale doit respecter les prérogatives et compétences de l'autre. Alors on s'entraide, on se parle – éventuellement autour d'un coup de vin blanc! Mais il arrive aussi que quelqu'un fasse de l'obstruction par fierté mal placée, que les compétences soient mal définies, qu'on cherche à masquer des actions troubles... Tout cela, l'auteur le dessine avec la virtuosité et la justesse de quelqu'un qui connaît les humains et leurs travers (les gens de police peuvent être odieux dans "Eunoto", et les ténors du barreau tels que Maître Giroud auraient aussi de quoi se confesser), mais aussi les rouages de l'activité policière en Suisse. Michaël Donner, quant à lui, n'en a que faire, on l'a compris!

Et si chaque canton a sa police, chaque canton possède aussi ses curiosités. L'auteur ne se gêne pas de les montrer, jouant à fond la carte du tourisme: le lecteur est baladé à Gruyères, au château de Chillon, sur les quais à Vevey, sur le barrage de Schiffenen, du côté des Alpes à Nendaz, comme dans les établissements pénitentiaires de la plaine de l'Orbe ou au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne. Mais qu'on ne s'y trompe pas: ce sont là les théâtres et les arrière-cours de meurtres particulièrement abjects, perpétrés sur des adolescentes. Des meurtres où, pour reprendre les mots d'un personnage, on n'a pas retrouvé le corps... mais la tête.

"Eunoto, les noces de sang" est donc un roman policier bien ficelé, virtuose même dans la mesure où il orchestre parfaitement des actions policières crédibles, à cheval sur pas moins de sept juridictions: c'est l'oeuvre d'un écrivain qui connaît son sujet de l'intérieur. Il sait aussi tenir sa plume, retourner la situation avec brio quand il le faut et faisant usage d'un style fluide, rapide grâce entre autres à de nombreux dialogues, afin de tenir le lectorat en haleine. Et pour couronner le tout, l'auteur s'offre le luxe, en faisant apparaître brièvement l'enquêteur Andreas Auer, de rendre un hommage amical à son confrère écrivain de polars romand Marc Voltenauer, qui l'a créé. Gageons du reste que si, dans "Eunoto", certaines jeunes filles sont retrouvées plus ou moins mortes dans des églises (celle de Valère, ou la cathédrale de Lausanne), c'est peut-être aussi un clin d'oeil au premier homicide du "Dragon du Muveran"...

Nicolas Feuz, Eunoto, les noces de sang, Lille, TheBookEdition, 2017.



Le site de Nicolas Feuz.

jeudi 16 novembre 2017

Romance ou thriller, un livre qui a la dent dure!

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Frédérique Hoy – Vous avez envie d'un livre qui commence en romance troublante et qui finit en thriller bien noir? Alors "Lune ou l'autre", deuxième roman de Frédérique Hoy, est pour vous. On suit avec plaisir les avanies d'un personnage principal prénommé Pierre-Octave, figure lunaire comme l'annonce le titre du livre: on l'appelle même Pierrot la Lune, comme de bien entendu.


Il a quelque chose d'attachant, Pierre-Octave: garçon rêveur, écrivain pour célébrités, frappé d'un certain déficit assertif, il se présente tout en rondeurs avec sa bonne face ronde et ses cheveux blonds qui rappellent l'astre de la nuit. Par contraste, son meilleur ami, Pascal, est présenté comme un mec carré, ne serait-ce que par son physique. Et c'est le carré qui va piquer sa femme au rond... balançant ce dernier sur orbite pour tout le roman.

Dès lors, commence un troublant pas de deux entre Pierre-Octave et Claire, rencontrée dans un bistrot, et qui va trouver un premier jalon important dans une partie de poker. C'est là que se trouvent les personnages clés du roman, en effet – on pense en particulier à une certaine rousse énigmatique. Claire, dentiste de son état, pourrait être la femme de la vie de Pierre-Octave: comme lui, elle est un peu rêveuse, fantasque même, et surtout, elle panique face à l'imprévu. Et le contexte est propice au rapprochement: Claire a demandé à Pierre-Octave d'écrire ses mémoires. Entre personnages marqués par la vie, on peut s'entendre...

Tout cela paraît bien sage. Mais c'est compter sans l'imagination fertile de l'auteure, qui fait de Claire un personnage complexe, menteur pour ne pas dire mythomane, qui va raconter plus d'une anecdote délirante sur son existence passée. Dès lors, peu à peu, on bascule dans la noirceur: la vie que Claire s'invente est faite de violences, d'amours mal vécues qui débouchent sur des morts maquillées en suicides. L'auteure construit dès lors des ambiances de plus en plus inquiètes, qui rappellent de loin celles d'un Stephen King. Ces atmosphères sont plombées encore par les appels téléphoniques anonymes et mystérieux que reçoit Pierre-Olivier. Qui se montre curieux, bien sûr: quelqu'un aurait-il une dent contre lui? Ou plutôt, aurait-il (enfin!) une admiratrice secrète?

Tout comme le titre, certes astucieux, a un petit goût de déjà-vu, l'idée de départ de "Lune ou l'autre" s'avère classique: l'écrivaine choisit de parler d'un personnage d'écrivain. Elle va encore plus loin en faisant de cet écrivain fictif un homme qui, à son tour, écrit sur des personnages de son entourage. A partir de là, l'intrigue s'avère imaginative, et ça devient intéressant! En plus, le lecteur relève avec gourmandise la poésie que recèle ce roman, une poésie qui ose le mot rare ou savoureux à l'occasion et a le chic pour faire entrer en résonance tout ce qui doit l'être.

Frédérique Hoy, Lune ou l'autre, Lectoure, Yakabooks, 2017.

Le site de l'éditeur – Merci à Yakabooks pour l'envoi, et à Simplement.pro pour le partenariat!

mercredi 15 novembre 2017

Un photographe sous l'oeil d'un écrivain

Olivier Mathieu – L’écrivain Olivier Mathieu est candidat à la succession de René Girard, qui a laissé vacant le fauteuil 37 de l’Académie française. L’élection aura lieu le 14 décembre 2017, et les prétendants seront nombreux sur ce coup-ci. Auteur d’une cinquantaine de livres, candidat à plus d’une reprise (en une occasion, sous son pseudonyme littéraire de Robert Pioche) à un fauteuil de l’Académie française, Olivier Mathieu a choisi cette fois de placer sa candidature sous le signe du photographe David Hamilton, décédé en novembre 2016 et porteur d’une esthétique désuète et trouble que l’écrivain défend bec et ongles: en quelque sorte, les jeunes filles de David Hamilton ont l’âge de l’exil toujours adolescent d’Olivier Mathieu.

Je l’ai dit: Olivier Mathieu entretient un rapport particulier, intime, avec la photographie, et ses livres, presque toujours enrichis d’un cahier d’images, le confirment. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il s’intéresse de près à la personnalité de David Hamilton. Il a du reste déjà signé un opus sur ce photographe, intitulé «Le portrait de Dawn Dunlap». Et voilà que paraît «C’est David Hamilton qu’on assassine»! Pour le coup, ce nouvel ouvrage, dont le titre a des airs de Gilbert Cesbron, voire d'Antoine de Saint-Exupéry, a des allures de livre d’investigation.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une précision: plusieurs signatures de prestige sont venues enrichir ce livre: outre l’auteur lui-même, on relève la philologue Agnès Degrève, l’éditeur Jean-Pierre Fleury, l’écrivain et cinéaste Sébastien Guillet, l’auteur situationniste (et ami d'Olivier Mathieu depuis 1987 environ) Phrère Jac. Cela, sans oublier des contributions de l’essayiste Roland Jaccard, ou les illustrations d'une peintre qui signe «Jouissive».

«C’est David Hamilton qu’on assassine» compile une série de billets qu’Olivier Mathieu a publiés sur son blog. L’auteur se fait enquêteur, remettant en question les conclusions officielles, celles de la police, relatives aux circonstances du décès du photographe David Hamilton. Est-ce un suicide bizarre? Un décès qui arrange tout le monde? Bonne question. Il n’arrange en tout cas pas Olivier Mathieu, qui se positionne en personnage avide de vérité, allant jusqu’à mettre en question les conclusions officielles: une porte malencontreusement ouverte, une enquête présentée comme trop rapidement bouclée.

L’auteur répand par ailleurs ses apophtegmes courroucés (comme qui dirait) à l’encontre d’acteurs du monde médiatique qui ont pris fait et cause contre David Hamilton. Le jeu de mots trouve ici toute leur place, et l’auteur, usant d’une veine satirique immémoriale, se montre corrosif, osant le jeu de mots et la vanne qui dépote. Ce faisant, l’écrivain s’attaque avant tout aux personnalités qui se sont mêlées de l’affaire David Hamilton, et qui en prennent pour leur grade: fort de ses convictions, l’écrivain s’amuse.

Illustré d'images de David Hamilton, «C’est David Hamilton qu’on assassine» est donc un recueil de chroniques de blog, avec les forces et les faiblesses quon trouve dans une telle démarche. En particulier, la republication des billets apparaît déjà datée (David Hamilton est décédé l’an dernier, dans un quasi-anonymat), et l’auteur, s’il se prétend novateur, se répète plus d’une fois d’un billet à l’autre. Investigation? On aurait aimé, de temps à autre, avoir le point de vue original d’un enquêteur proche du terrain, dont la parole aurait eu plus de poids que celle d’un écrivain certes esthète, mais qu’on sent lointain par moments: l’audace, parfois, consiste à interroger un être humain plutôt qu’un document. Cela aurait donné un supplément de valeur, de chair et d’âme en somme, à une enquête qui présente ses zones d’ombre et s’avère donc, il faut le dire, parfaitement pertinente. Alors, et si le livre définitif sur David Hamilton restait à faire? Le débat reste ouvert!

Olivier Mathieu, C’est David Hamilton qu’on assassine, Nantes, A l’enseigne des Petits Bonheurs, 2017. Préface de Roland Jaccard.

Le site de l'éditeur.

En complément et pour mémoire, quelques références sur les dernières parutions en date signées Olivier Mathieu:

  • «Le tombeau de David Hamilton» est un recueil de poésies d’Olivier Mathieu, constitué par Jean-Pierre Fleury et enrichi d’un CD. Paru en 2017 chez un imprimeur roumain sous l’expresse responsabilité de Jean-Pierre Fleury, il se présente comme un bref hommage poétique au photographe David Hamilton, généreusement illustré comme il se doit. 
  • Olivier Mathieu a également publié, en 2016, «Alain Finkielkraut l’Immortel», généreux ouvrage d’inspiration satirique. On y retrouve des interventions qu’Olivier Mathieu a faites sur Internet, sous le pseudonyme de Robert Spitzhacke, traduction allemande de «Robert Pioche», le pseudonyme historique d’Olivier Mathieu. A ce moment-là, Alain Finkielkraut était candidat à l’Académie française. 

Pour obtenir un exemplaire de ces ouvrages, il faut s’adresser à Jean-Pierre Fleury, éditeur à l’enseigne des Petits Bonheurs à Nantes. Ou encore, éventuellement, au blog «En défense de David Hamilton». Cela, sachant qu’Olivier Mathieu offre presque toujours volontiers ses livres à celles et ceux qu’il considère comme dignes de cet hommage.

Défi Premier roman: encore une participation signée Itzamna!

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Une fois de plus, Itzamna revient avec une participation au Défi Premier roman! Merci à elle! Je vous invite à aller découvrir le billet de blog qu'elle a consacré à "Ces rêves qu'on piétine" de Sébastien Spitzer:


Sébastien Spitzer, Ces rêves qu'on piétine.

Bonne soirée et à vous de jouer!

mardi 14 novembre 2017

Fred Pelletier, naissance d'une vocation rock'n'roll

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Katja Lasan – C'est le troisième tome d'un diptyque, ce qui est pour le moins original. "Journal d'été d'un ado déjanté" vient en effet se rattacher aux deux généreux romans qui constituent la série "Gueule d'ange", de la romancière suisse Katja Lasan. Nettement plus ramassé que ses grands frères, ce prequel pourrait faire figure d'amuse-bouche à la série... ou de petite friandise pour le dessert. Le lecteur y retrouvera, en miniature, tout ce qu'il a apprécié dans les deux tomes de "Gueule d'ange". 


L'ambiance est aux vacances dans "Journal d'été d'un ado déjanté", où l'on fait la connaissance de Fred Pelletier alors qu'il n'est "que" Frédéric Moreau: il n'est pas encore majeur et voyage avec une famille d'accueil en Corse. Le début de l'histoire tourne donc autour de jeux de séduction entre Fred et Mélissa, permettant à l'auteur de dessiner un Fred déjà très mûr pour ses 16 ans, avide d'autonomie, sachant surtout exactement ce qu'il veut... et ce qu'il ne veut pas.

Cette maturité, l'auteure explique d'une part par le rôle d'initiatrice, en quelque sorte, d'Elsa, qui joue le rôle de meilleure amie; et d'autre part, par le parcours atypique du futur musicien, orphelin au caractère bien trempé, baladé d'un foyer à l'autre. Ce caractère doit s'exprimer, et les habitués retrouveront ce qui fait le charme magnétique de Fred Pelletier: une certaine violence adolescente qu'il faut canaliser, un appétit sexuel insatiable, et ces éléments de maîtrise de soi qui sont la musique et, dans une moindre mesure, l'équitation. Cette violence s'exprime aussi dans l'écriture, bien rock'n'roll et vigoureuse. Le lecteur se la prend en pleine face, d'autant plus que ce roman est écrit à la première personne du singulier et donne la parole à Frédéric Moreau.

En contrepoint aux amours estivales, l'écrivaine dessine la vie au pensionnat et au lycée, accordant la priorité aux interactions entre les personnages. Cela permet de décrire finement le ressenti d'écorché vif de Fred, bien sûr. Et en guise d'effet secondaire bienvenu, gageons que certains épisodes rappelleront le vécu de plus d'un lecteur! Enfin, quoi de mieux, à la fois évident et improbable, qu'un lycée, lieu d'apprentissage s'il en est, pour voir éclore une vocation? Parce que c'est bien là l'essentiel de "Journal d'été d'un ado déjanté": l'auteure dessine, discrètement puis de façon de plus en plus manifeste jusqu'à ce que ce soit évident, la manière dont Frédéric Moreau découvre sa voie. Plus que les sentiments et les étreintes, tel est donc le véritable fil rouge de ce roman.

Une star naît donc, mais le monde ne le sait pas encore au début de "Journal d'été d'un ado déjanté". C'est une graine qui ne demande qu'à grandir... L'auteure sème du reste quelques autres petites graines dans ce roman qu'on dévore: elles vont se développer plus avant dans les deux volumes de "Gueule d'ange". Exemple, et non des moindres (mais est-ce que j'ose le dire?...): tout le monde reconnaîtra Alice, l'instant d'une parenthèse enchantée et accidentelle dans un aéroport. Et c'est déjà une autre histoire...

Katja Lasan, Journal d'été d'un ado déjanté, JePublie, 2016.

Le site de l'auteure, celui de l'éditeur.
Lu pour le Défi des Mille.


Autres chroniques: 
Katja Lasan, Gueule d'ange, tome 1
Katja Lasan, Gueule d'ange, tome 2.

lundi 13 novembre 2017

Le poète Pierre Voélin distingué

Pierre Voélin – Un peu d'actualité immédiate aujourd'hui, puisqu'il y a quelques heures seulement, le poète Pierre Voélin a reçu le prestigieux Grand Prix de Poésie de la Fondation Pierrette Micheloud. Remise tous les trois ans, cette distinction est dotée de 40 000 francs. Une cérémonie a été organisée à cette occasion à Lausanne. 

Pierre Voélin est né en 1949 à Courgenay (Jura suisse) et a suivi des études de lettres à l'université de Genève. S'il se présente comme un «poète transfrontalier», il est particulièrement connu dans le canton de Fribourg: c'est en effet à l'université de Fribourg qu'il a été enseignant, jusqu'en 2012. Auteur d'une quinzaine de recueils de poésie, Pierre Voélin a du reste été distingué par ce canton d'adoption en 1984. Cela, parmi un certain nombre d'autres prix, de rayonnement suisse ou international.

La vocation du poète Pierre Voélin naît en résonance à une visite du camp de concentration de Dachau, vécue comme une «rencontre avec le silence». Ses premiers recueils paraissent en 1984 et sont remarqués, mais c'est en 2012, lorsqu'il prend sa retraite, qu'il peut enfin se consacrer pleinement à la poésie. Son œuvre se consacre essentiellement aux «lieux de l'inhumanité contemporaine» – l'horreur nazie, celle du communisme – et, plus largement, au tragique de la condition humaine et de sa finitude.

La Fondation Pierrette Micheloud s'est donné pour objectif de perpétuer la mémoire de cette poétesse suisse par le biais de publications et de rééditions de ses œuvres. Native de Romont et originaire de Vex, Pierrette Micheloud entre en poésie en découvrant Villon, Lamartine et Baudelaire. Auteure d'une vingtaine de recueils, l'écrivaine s'engage aussi comme critique et comme créatrice du prix littéraire Louise-Labé – dont Pierre Voélin a été lauréat en 2016.

Source: communiqué de presse de la Fondation Pierrette Micheloud. 


dimanche 12 novembre 2017

Dimanche poétique 327: Joseph von Eichendorff

Idée de Celsmoon.
Avec: Abeille, Ankya, Azilis, Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Maggie, Violette.


Das zerbrochene Ringlein.

In einem kühlen Grunde
Da geht ein Mühlenrad
Mein’ Liebste ist verschwunden,
Die dort gewohnet hat.

Sie hat mir Treu versprochen,
Gab mir ein’n Ring dabei,
Sie hat die Treu’ gebrochen,
Mein Ringlein sprang entzwei.

Ich möcht’ als Spielmann reisen
Weit in die Welt hinaus,
Und singen meine Weisen,
Und geh’n von Haus zu Haus.

Ich möcht’ als Reiter fliegen
Wohl in die blut’ge Schlacht,
Um stille Feuer liegen
Im Feld bei dunkler Nacht.

Hör’ ich das Mühlrad gehen:
Ich weiß nicht, was ich will —
Ich möcht’ am liebsten sterben,
Da wär’s auf einmal still!

Joseph von Eichendorff. Source: Wikipedia.

Sa mise en musique par Franz Gluck (chanteur: Hermann Prey, pianiste inconnu)...



... et par Friedrich Nietzsche (interprètes: Dietrich Fischer-Dieskau, Aribert Reimann, Elmar Budde).








vendredi 10 novembre 2017

Waringham ou les fortunes du Moyen Age à l'anglaise

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Rebecca Gablé – C'est à une plongée dans le Moyen Age anglais que l'écrivaine allemande invite son lectorat avec "La roue de la fortune", premier tome déjà imposant d'une saga en cinq volumes intitulée "Waringham". Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce premier titre annonce la couleur: page après page, péripétie après péripétie, tel personnage s'élève soudain, et tel autre perd sa place de riche ou de noble. Tout cela, sur fond de guerre de Cent ans.


Comme moteur de son roman, l'écrivaine choisit de mettre en scène Robert "Fitz-Gervais" Waringham, dit Robin, que le lecteur découvre alors qu'il est préadolescent. Le premier tour de la fortune se joue dès les premières pages, lorsque le supérieur du monastère où il se trouve lui annonce que son père a été déchu de ses titres de noblesse à la suite de son suicide. Du coup, l'héritier devient soudain un simple manant!

Robert Waringham a l'étoffe pour tenir un roman généreux et riche en péripéties. Féru de chevaux (l'auteure introduit ainsi un élément sympathique et émotionnel fort), il s'avère attachant, aussi, en faisant preuve d'une certaine sagesse et, d'emblée, d'une grande maturité. On le découvre également rusé, ce qui n'est pas inutile dans une noblesse que l'auteure décrit comme un panier de crabes où les alliances, intrigues et complots s'enchevêtrent – et où les femmes, "aussi dangereuses qu'elles sont belles" selon la quatrième de couverture, ne sont pas les dernières à manœuvrer.

Si Robert Waringham et sa généalogie sont une pure fiction, le lecteur retrouve dans "La roue de la fortune" toute une série de personnages ayant réellement existé, des ducs et autres nobles certes, mais aussi des figures méconnues telles que l'abbé John Ball, fanatique pourfendeur de nobles au nom de l'égalité entre les humains.

Naturellement, le roi chapeaute tout cela. L'auteure dessine de Richard II le portrait d'un homme inexpérimenté dans l'art de régner (c'est un enfant lorsqu'il monte sur le trône), immature et mal conseillé. Avec prudence, elle suggère adroitement, sans les affirmer ni surtout en faire des ressorts de l'action, sa folie et son homosexualité: cette dernière, par exemple, est rapidement indiquée comme une rumeur, au détour d'un des nombreux dialogues qui ponctuent ce roman.

Côté histoire, je l'ai dit, il est question de la guerre de Cent ans et de ses péripéties, évoquées avec un souci d'exactitude: les sièges succèdent aux batailles et aux émeutes, et déversent leur lot d'intrigues, à telle enseigne qu'on ne s'ennuie pas, tant la mécanique de ce roman s'avère bien huilée, nourrie par ailleurs d'une connaissance approfondie de l'Angleterre du XIVe siècle. Si certaines scènes se passent hors d'Angleterre, par exemple en Guyenne, à Calais ou en Espagne, l'auteure ne s'attarde guère à planter le décor ou à faire du tourisme: elle s'intéresse avant tout aux interactions des personnages, nombreux, et qu'un simple retournement de situation peut rendre puissants... ou renvoyer aux poubelles de l'Histoire.

Ces interactions entre personnages sont placés sous le signe des amitiés loyales ou trahies, des amours périlleuses et passionnées, mais aussi des duels et bagarres. Cela fait de "La roue de la fortune" un très bon roman d'aventures, riche en péripéties éclatantes, porté par un héros d'une grande noblesse, et des plus humanistes avant l'heure. Et si le mot "Fin" est écrit au terme de ce roman, cette fin n'est que provisoire: tout indique que "Waringham" va se prolonger, à commencer par l'arbre généalogique de la famille, imprimé en ouverture du livre, et qui court jusqu'à la fin du XVe siècle.

Rebecca Gablé, Waringham, la roue de la fortune, Paris, HC Editions, 2017, traduction de l'allemand par Joël Falcoz.


D'autres avis chez Biblio, FrédériqueSéléné.

Le site de l'éditeur, celui de Rebecca Gablé.