Uršul'a Kovalyk – L'amitié est-elle à vendre? Telle est la question qui traverse tout le roman "Femme de seconde main", signé de l'écrivaine slovaque Uršul'a Kovalyk. Se plaçant dans la peau de Csabika, une jeune femme au chômage qui décide de se reprendre en main en créant un commerce particulier dans la Grande Ville où elle emménage, elle offre dans son livre une réflexion sur le rôle corrosif, aliénant, que l'argent peut jouer dans des relations – certes non choisies.
C'est donc de l'amitié que Csabika choisit de vendre à ses clients. Elle assume son statut de "femme de seconde main", proposant aux gens qui le souhaitent quelque chose qu'ils ne peuvent plus obtenir gratuitement, "de première main". Une petite annonce lui amène trois clients, dont le lecteur va suivre la trajectoire: Kornel, un jeune homme atteint d'une maladie dégénérative; Muriel, une cadre qui cache son alcoolisme sous des dehors stricts; et Cindy, la jeune et jolie épouse modeuse d'un riche homme d'affaires. Peu à peu, le lecteur va découvrir ce que ces personnages cachent de bizarre ou de sombre en eux.
L'écrivaine cerne d'emblée toute l'ambiguïté qu'il peut y avoir dans un telle relation, à la fois sympathique et tarifée: tour à tour, chacun des clients va tenter de profiter de Csabika, qui s'évertue à rappeler les termes du contrat, un contrat qu'elle peut rompre en tout temps, quitte à assumer un éventuel service après vente.
L'auteure a d'ailleurs le chic pour jouer avec les diverses situations pouvant découler d'un tel commerce, telles qu'elles pourraient résulter d'un commerce plus conventionnel: service en dehors des heures d'ouverture, par exemple, lorsque Muriel téléphone en pleine nuit, ou demande de services excédant la stricte amitié, lorsqu'il faut accompagner la même Muriel à un raout professionnel. Sans compter les missions qui flirtent avec l'illégalité... Pas de sexe en revanche, de ce côté-là: les voyeurs en seront pour leurs frais!
Ces relations aliénées par l'argent font un contraste avec une quête plus personnelle menée par Csabika: elle sait que son frère est dans la Grande Ville, et ne désespère pas de le trouver. Ce qui pourrait être un rapprochement entre deux êtres proches mais qui ne se connaissent pas en raison des vicissitudes familiales s'avère finalement dramatique, mortifiant aussi.
"Femme de seconde main" est un roman qui, à partir d'un point de départ plutôt positif, s'assombrit progressivement en installant le contexte d'une société outrancièrement marchande. Pas question de pesanteur, toutefois: tout en menant une réflexion par l'exemple de ce qui peut s'acheter ou pas, l'auteure maintient tout au long de son récit une poésie pleine de fantaisie qui confère à ce roman une indéniable légèreté, presque souriante par moments, et volontiers audacieuse dès lors qu'il s'agit de trouver l'image qui sonne juste, pour dessiner ses personnages ou les décors de la Grande Ville.
Uršul'a Kovalyk, Femme de seconde main, Paris, Intervalles, 2017. Traduit du slovaque par Nicolas Guy et Peter Žila.
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