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vendredi 8 septembre 2017

Alice Feiring, la Géorgie et son vin nu qu'on aime

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"La Géorgie, c'est loin?" Telle est en substance la question que les lecteurs peuvent se poser en ouvrant "Skin Contact - voyage aux origines du vin nu", le tout dernier livre de la journaliste Alice Feiring. Au fil des années, cette Américaine s'est faite le héraut des vins naturels, exempts de tout additif délétère. Les lecteurs de ce blog se souviennent de "La Bataille du vin et de l'amour"; avec son nouveau livre, l'écrivaine emmène ses lecteurs du côté de la Géorgie. Mais pas autour d'Atlanta, qu'on soit rassuré: la Géorgie, ex-république soviétique désormais indépendante, est un paradis pour celles et ceux qui aiment les vins d'exception et la bonne chère.

Alice Feiring utilise dans "Skin Contact" une recette familière et magnétique: elle n'a pas son pareil pour mêler expériences personnelles, considérations techniques et relations de rencontres. Résultat: comme toujours, "Skin Contact" a le ton captivant d'un reportage réussi, dopé par le ton quasi messianique d'une auteure convaincue que hors du vin naturel, respectueux de techniques de vinifications locales incarnées ici par les vins vinifiés avec la peau du raisin dans des "qvevri", il n'y a pas de salut.

"Qvevri"? Il n'est pas superflu de s'arrêter un instant sur ce mot, qui traverse tout le dernier livre d'Alice Feiring. Il s'agit en effet d'un contenant de terre cuite où l'on met le vin afin qu'il mûrisse et se conserve - impeccablement, soit dit en passant, au moins aussi bien que dans des fûts de chêne. À tel point que des viticulteurs français tels que Thierry Puzelat, auteur de l'introduction, se sont intéressés à ce mode d'élevage du vin exclusivement géorgien! Cela dit, en Géorgie même, et l'auteure démontre cela d'une manière obsédante, ce qvevri est essentiel et, au-delà de sa fonction utilitaire, il symbolise ce que le vin peut avoir de mystique, d'essentiel. On lui prête même des pouvoirs difficiles à expliquer, presque scientifiques ou presque magiques...

"Skin Contact" concentre les reflets de plusieurs voyages en Géorgie, où se développent les amitiés. Au fil des ans, l'auteure dégage l'état d'esprit et les enjeux de la viticulture en Géorgie, pays considéré comme le berceau du vin: compétences perdues qu'on cherche à retrouver, vocations bridées et soudain retrouvées à la chute du communisme. L'auteure relève que les vignerons les plus viscéralement attachés à la tradition viticole géorgienne se recrutent parmi ceux qui ont connu les vicissitudes du régime communiste, alors que les plus jeunes pourraient être tentés par une pratique plus standard, facile et peu profilée, de la culture du vin. Ce que l'auteure considère pratiquement comme un sacrilège, puisqu'elle relève à plus d'une reprise que plus de 500 cépages indigènes prospèrent en Géorgie, connus (saperavi, mukuzani), oubliés, voire qu'on croyait définitivement perdus. Il est aussi question d'histoire, enfin, à travers ce Géorgien célèbre nommé Staline, et qui se faisait livrer 100 bouteilles de vin par mois pour sa consommation personnelle...

Sur le ton d'un reportage, l'auteure fait aussi part de ce qu'elle vit au contact des gens, un vécu qui tourne toujours autour de la bonne table, considérée comme un élément culturel majeur de la Géorgie. Le lecteur découvrira ainsi ce qu'est un supra, avec tous ses rituels (toasts flamboyants, plats servis jusqu'à ce qu'on ne voie plus la table puisqu'on ne dessert jamais) et acteurs; il découvrira aussi tout ce que signifie l'hospitalité géorgienne. Il aura aussi un avant-goût de cet en-cas géorgien parfaitement addictif nommé khatchapouri: un peu de pâte, un peu de fromage, et hop, on est pris! Et puisqu'il est question de bonne chère et de repas copieux jusqu'à l'extase, il faut relever que "Skin Contact" recèle plus d'une recette de cuisine ou de bonne femme typiquement géorgienne, que l'auteure invite à essayer chez soi.

Du vécu, beaucoup de science et pas moins de convictions passionnées: telle est la recette des romans d'Alice Feiring, qui se situent à la croisée des chemins entre reportage, récit de vie voyageuse et textes à messages. Le lecteur se laisse emporter dans un monde lointain qui ne laisse jamais de le surprendre, et si l'auteure avoue parfois un trop-plein par rapport à un pays extrêmement généreux, elle ne manque jamais de faire part aussi de son émerveillement face à une culture culinaire et viticole saine et préservée, qui mériterait, en raison de ses usages et méthodes typiques, une protection particulière.

Alice Feiring, Skin Contact, Paris, Nouriturfu, 2017. Préface de Thierry Puzelat, traduction de Sophie Brissaud, préface de Thierry Puzelat.

Mes lecteurs parisiens, d'un jour ou de toujours, goûteront avec délices et à prix raisonnables quelques recettes de la cuisine géorgienne au restaurant Pirosmani, 6 rue Boutebrie, 75005 Paris.

4 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas du tout cette auteur (ni le restau, merci pour l'adresse !), ni vraiment d'ailleurs tout cet aspect du monde vinicole. Merci pour la découverte !

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  2. Avant tout, merci de votre passage sur mon blog!

    Découvertes: c'est ce qui est bien avec Alice Feiring justement: elle réussit à faire coïncider l'expérience personnelle, l'observation précise et la connaissance intime des enjeux de la viti-viniculture, tout cela avec la philosophie d'une auteure convaincue. Résultat: à chaque livre d'elle, on apprend quelque chose, et l'on est sensibilisé à "boire et manger mieux". J'aime et je vous recommande cette auteure!

    Et si vous passez au Pirosmani à Paris - qui offre son menu de midi à 14 euros (y compris une entrée, une plat et une boisson) - buvez un verre de saperavi à ma santé... ;-) Je vous souhaite une excellente fin de semaine.

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  3. Un bon vin à nous conseiller avec cette lecture ?

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  4. Un vin tiré du qvevri, bien sûr...

    Ou alors un bon vin naturel trouvé dans la boutique "Le Son du Canon" à Saint-Etienne, 24 rue Pierre-Bérard... Pour en savoir plus au sujet de ce caviste: http://www.zoomdici.fr/actualite/Un-caviste-stephanois-mise-sur-les-vins-naturels-id146872.html

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