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mardi 18 avril 2017

De Paris à Dole, rédemption d'un journaliste avec David Desgouilles

Dérapages

C'est pour ainsi dire deux politiques-fictions pour le prix d'une que David Desgouilles, journaliste et écrivain, propose dans son deuxième roman, "Dérapage". L'une consacre en effet la chute d'un professionnel des médias, alors que l'autre assure sa rédemption.

Tout commence avec un seul acronyme, en effet, lâché dans toute la brutalité d'une phrase en un seul mot qui sert d'incipit: "MILF". Lâché sur antenne par le peu délicat journaliste Stéphane Letourneur alors que celui-ci croyait son micro coupé, ce terme va faire le tour de l'Internet et du monde réel. La meute est lâchée... L'oeil aux aguets, l'auteur montre les soutiens égrillards et les regards lourds de sous-entendus, mais met aussi en évidence les critiques, d'autant plus assassines qu'elles émanent de courageux anonymes. En donnant à Stéphane Letourneur une compagne ambitieuse qui travaille pour un ministre et refuse tout remous susceptible de faire ombrage à sa carrière, il fait monter la pression autour de son personnage.

Quant à l'enlèvement de Nicolas Sarkozy, il constitue le deuxième versant de ce roman. L'auteur se met dans la peau de ce personnage, montrant un homme avide de lectures, désireux de bouger: bien que séquestré par un groupe constitué autour d'un militaire libyen désireux de rendre justice à Kadhafi (et bien recréé, notamment avec la personnalité de de Léa, manipulable et embarquée malgré elle dans cette galère), il a envie de faire du sport. L'écrivain va jusqu'à donner la parole à l'ancien président. Une parole qu'on pourra trouver un peu trop paisible, peut-être: plus que par cette parole, c'est par le biais de l'univers recréé et du besoin de dynamisme qu'il reconnaîtra Nicolas Sarkozy. De ce versant de l'intrigue, on retiendra aussi et enfin la jouissance offerte par l'observation d'un gouvernement obligé de tout mettre en oeuvre pour sauver, à son corps défendant, un homme politique antagoniste.

Il est tentant, et pertinent, de faire quelques rapprochements entre "Dérapages" et "Le bruit de la douche", premier roman de l'auteur. Dans "Dérapages", on retrouve en effet avec bonheur un écrivain qui analyse avec finesse le fonctionnement d'une caste: si "Le bruit de la douche" montrait le Parti socialiste et le milieu politique, c'est le secteur des médias qui est ici mis en avant et observé à la loupe: postures scandaleuses mais insincères des chroniqueurs, course au scoop, pression et contrats précaires quoique prestigieux.

Comme dans "Le bruit de la douche", l'écrivain met en scène, avant tout, des personnalités réelles, plus ou moins connues du grand public. Souvent, ce sont des figures rapidement dessinées, placées dans des situations de connivence ou d'interaction. Ainsi fait-il déjeuner ensemble Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio, journalistes au Figaro, et Pauline Bland-Meunier, journaliste de fiction et femme de principes travaillant pour Valeurs Actuelles. Gageons que les dialogues entre les personnages inspirés de la réalité utilisent des tics de langage et des attitudes que l'auteur a parfaitement cernés, que les initiés reconnaîtront sans doute, mais qui échappent à ceux qui ne les connaissent pas personnellement.

Et comme dans "Le bruit de la douche", le succès passe peut-être par une certaine abstinence sexuelle: si, dans le premier roman de l'écrivain, Dominique Strauss-Kahn, promis à la présidence de la France, est invité par sa responsable de la communication, Anne-Sophie Myotte, à mettre ses pulsions sexuelles en veilleuse, c'est aussi ce qui arrive, de manière plus implicite, moins frontale mais à peine moins forte, à Stéphane Letourneur lorsqu'il sollicite l'aide de Pauline. L'aide de Pauline va amener Stéphane Letourneur du côté de Dole et du Jura... où se joue aussi une partie du "Bruit de la douche". Le regard affectueux que l'auteur porte sur cette région, ses clubs de football de talus, sa cuisine roborative, ses campagnes amènes, crée un contrepoint bienvenu aux jeux d'appareil décrits.

L'écrivain a le mérite de la concision, enfin. Plutôt que de s'embarrasser de détails touffus, il offre avec "Dérapage" un roman rapide et accrocheur qui va à l'essentiel. S'il sait jouer avec la forme au besoin (dialogues entre journalistes, voix de Nicolas Sarkozy), il privilégie une écriture fluide qui fait toute la place à l'intrigue nouée. A quelques jours de l'élection présidentielle française, "Dérapage" est un divertissement bien ficelé, qui va vite, sonne juste et recèle un regard en coin sur la politique et le journalisme en France. 

David Desgouilles, Dérapage, Monaco, Editions du Rocher, 2017.

2 commentaires:

  1. Je ne connais pas ces ouvrages ! Merci pour la découverte !

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  2. L'auteur est plus connu comme journaliste (à Causeur et au Figaro), mais pour qui aime suivre l'actualité, ses romans méritent d'être découverts.

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