"J'avais seize ans le jour où tu m'es tombé dessus.": voilà un incipit à prendre dans son double sens littéral et métaphorique, riche d'emblée, pour ouvrir "Coups de soleil", roman de l'écrivaine Valérie Morales-Attias, paru chez Casa-Express. Tout commence dans le contexte difficile de l'indépendance algérienne, un 5 juillet 1962. Dès lors, l'écrivaine se met dans la peau de cette femme, pied-noir, qui a fait sa vie d'adulte à Paris avec ce que cela peut compter d'amertume et de désillusions.
Les premiers chapitres s'avèrent difficiles, un peu touffus. Le lecteur en retiendra une force certaine, une dureté indéniable dans le propos, qui donne à voir une narratrice fière, bien qu'elle s'en défende. On se souvient surtout du terrible effet de contraste entre le beau temps implacable de l'été en Afrique du Nord, montré à travers le bleu du ciel, et le rouge du sang versé. Scène originelle importante: elle sera rappelée, transposée plus loin, dans une description des corridas dans les arènes de Nîmes. Sang, soleil et ciel bleu, toujours...
Roman d'une Méditerranéenne, "Coups de soleil" est aussi celui d'une solitude assumée, atavique: "La Méditerranée ne produit pas l'arrogance, mais la solitude." Une solitude symbolisée par les vêtements noirs de la mère de la narratrice, veuve protectrice désireuse de faire le vide autour d'elle et de sa fille, quitte à menacer de tuer. Cette solitude, c'est aussi celle de cette narratrice, qui épouse un homme important en apparence (c'est son patron, un homme qui fait un peu de politique), qui la délaisse au profit de maîtresses que le récit esquisse, et qu'il voit comme une sorte de "plante exotique", peinant à en percevoir toute l'humanité. Citant l'inculture du bonhomme, l'auteure le ramène d'ailleurs à ses vraies dimensions: celles, risibles, d'un Monsieur Homais moderne.
Solitude aussi par le biais de l'histoire d'amour impossible que la narratrice, jamais nommée, vit avec son propre amant - celui qui lui est physiquement tombé dessus, justement, pour lui sauver la vie dans le cadre des violences urbaines. Peut-on croire à une issue favorable pour une telle histoire? L'amour peut-il revivre en des temps et des lieux apparemment plus libres? Certes, les deux personnages lui donnent sa chance, et l'auteure en tire des pages d'un grand lyrisme. Mais à quarante ans, les vies sont installées, elle est mariée, lui aussi. Après un hôtel parisien, les rencontres se font à Nîmes, jusqu'au jour où lui décide de reprendre ses billes. Et de plus, la presse à scandale s'en mêle: s'il est admissible que lui ait des amantes, sans complexe, il paraît hors de question qu'elle aille chercher dans d'autres bras ce qu'elle ne trouve plus dans ceux de son mari légitime. Bien sûr, pour elle, il y a encore le psy...
La narratrice réserve dès lors quelques paroles vénéneuses à la dégénérescence des relations entre Pierre-Henri et elle, osant relever la provocation parfois, à l'instar de cette Rolex trop chic exhibée dans une réception de famille.
Rédigé à la première personne, "Coups de soleil" est un roman de l'introspection, certes. Mais avec l'introduction d'un "tu", l'auteure interpelle: qui est-il, ce "tu"? L'amant? Ou quelqu'un d'autre, le lecteur peut-être? Malgré une écriture parfois rocailleuse, qui n'évite pas l'usage d'images obscures, "Coups de soleil" est un roman d'une grande force, presque envoûtant, retraçant les désillusions successives d'une femme, évoquées et partagées comme des souvenirs au soir d'une vie.
Valérie Morales-Attias, Coups de soleil, Rabat, Casa-Express, 2017.
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