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vendredi 10 février 2017

Jacques Périer: le dieu Pan face à l'Américain

Périer PanLu par Blogres.
Le site de l'éditeur.

Plus d'une semaine après sa lecture, "Le Sourire de Pan" résonne encore. Paru en 2011, ce roman signé de l'écrivain suisse Jacques Périer se distingue par son lyrisme et sa remarquable ouverture. En effet, c'est aussi un univers culturel que son auteur met en scène, en couvrant rien de moins que huit ou neuf siècles. Sans compter qu'en somme, "Le Sourire de Pan" rappelle que les voyages forment la jeunesse... Voyons cela!


"... ferum victorem cepit"

Il est donc question d'un jeune chercheur américain, Georges Safran, qui prépare une thèse de doctorat sur le thème très pointu de la genèse des chants byzantins. Son travail va le mener dans la vieille Europe, en Grèce, où il trouvera, du côté du Mont Athos, de quoi le détourner de son aride projet de thèse... et apprendre mieux que ça: la vie, simplement.

Difficile de ne pas penser au splendide "Ap. J.-C." de Vassilis Alexakis lorsqu'on découvre la vision que l'auteur du "Sourire de Pan" donne du Mont Athos. Certes, l'écrivain Jacques Périer en donne une version où la beauté et la richesse culturelle dominent; mais il n'omet pas les particularités pas toujours roses de ce site européen d'exception, montrant des moines bizarres, pervers ou illuminés. Reste que c'est la passion des ermites qui va permettre à Georges Safran d'avancer.

Et lorsqu'un habitant du Nouveau Monde, de ces Etats-Unis maîtres du monde et qui comptent bien le rester, est ainsi envoûté par ce que l'Ancien Monde, on a envie de dire, comme Horace: "Graecia capta ferum victorem cepit". Après la Rome antique, la Grèce de toujours saura-t-elle montrer sa supériorité aux Etats-Unis d'aujourd'hui?


Mystérieux et moderne manuscrit!

"Le Sourire de Pan" fonctionne sur le dialogue entre le monde moderne, celui dans lequel nous vivons, et celui de Michel Panourianos, aventurier imaginaire qui a choisi d'écrire ses aventures - laissant un manuscrit mystérieux que Georges Safran va découvrir et traduire avec passion. Un dialogue entre les siècles, qui n'est pas sans échos: curieusement (ou pas...), la vie du jeune Georges Safran semble entrer en résonance avec celle de Michel Panourianos.

L'écrivain les retrace de manière crédible pour ce qui concerne les lieux et les événements décrits: Michel Panourianos, esclave chanceux, est un Grec aux mains des Ottomans. Sa destinée est celle des humains, faite d'amitiés et de relations opportunes.

Le lecteur pourra cependant être surpris par le développement, tant du côté de Panourianos que de Safran, d'une approche qui accepte l'impossibilité d'un dieu tolérant la violence et l'injustice. Questionnement camusien peut-être, vraisemblable à notre époque, mais difficile à admettre au temps de Byzance.

De Michel Panourianos, on retiendra plus volontiers le récit d'une destinée aventureuse, pour ainsi dire picaresque avant l'heure: celle d'un bonhomme bon  tout à force d'être bon à rien, ouvert à tous les vents, auquel la vie offre même quelques aventures amoureuses - sans oublier la femme de sa vie.


Lyrique vision du monde

"Le Sourire de Pan" est aussi empreint d'une idée surprenante: le panthéon grec n'est pas mort! Et en particulier, le dieu Pan continue à jouer avec les humains, par exemple en détraquant une sono insupportable pour retrouver le son acoustique ancestral qui émeut. Tenté par le paganisme, se la jouant panthéiste, l'écrivain joue avec les divinités, les présentant comme des figures cachées qui s'amusent avec les humains en fonction de leurs affinités. Le dieu Pan est ainsi vu comme une figure avide d'appétits charnels, jeune, joueuse et verte - ce dieu qui sait danser et pourrait même séduire un certain Friedrich Nietzsche. Le christianisme, et en particulier l'orthodoxie montrée comme le havre culturel de Michel Panourianos, lui donne la réplique, de même que l'islam, observé dans une neutralité bienveillante, vu comme à la fois dominateur et capable de douceur.

Tout cela autorise une écriture ambitieuse et lyrique, avide de beautés. L'auteur ne manque jamais de souligner la beauté de la Grèce, où se passe l'essentiel de son roman - avant des pages au ton plus grave mettant en scène une fin de voyage en Asie du Sud-Est, lieu d'une autre sagesse aux accents bouddhistes.

On l'a compris: Georges Safran sera transformé par un voyage qui le surprendra lui-même et le formera, quitte à remettre en question ses objectifs initiaux. L'auteur sait montrer le vaste monde, charnu et appétissant, pétri d'amours, d'amitiés, de danses et de mystères culturels. Et prouver, mine de rien, que le jeune Georges Safran, fort en thème mais faible en vie, a beaucoup à découvrir. Découverte à laquelle il se prête de bonne grâce, devenant ainsi cet honnête homme, véritable roseau pensant, que doit être un être humain.

Jacques Périer, Le Sourire de Pan, Vevey, L'Aire, 2011.


2 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas mais votre avis suscite mon attention. Je le note, avec grand plaisir! Merci =)

    Satine's books

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  2. Merci pour le commentaire, Pauline!
    C'est un livre d'une certaine ampleur (environ 350 pages bien tassées), qui fait voyager et s'avère très riche. C'était aussi une découverte pour moi.
    Bonne fin de semaine à vous!

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