Lu par Francis Richard.
Entrer en littérature, c'est un rituel: c'est ce que l'on a envie de se dire en ouvrant et en parcourant "Lettre de motivation", livre de poésie signé Vincent Yersin, paru aux éditions BSN Press (merci pour l'envoi!). Vincent Yersin est un jeune écrivain fribourgeois, membre du collectif AJAR.
Faut-il une lettre de motivation pour enter en littérature, pour commencer sa vie? L'auteur choisit de répondre par l'affirmative et imagine ce que cela pourrait être, subvertissant - c'est l'enviable rôle du poète - ce genre rebattu et éminemment administratif. Il en résulte un recueil poétique ramassé, travaillé, où le blanc typographique a autant de sens, sinon plus, que les mots éventuellement recherchés jetés sur le papier. Et qui donne envie de rencontrer l'auteur...
Comme il se doit dans une lettre de motivation, on rappelle ce qu'on a fait jusqu'à présent. Ainsi certaines pages rappellent-elles, ou semblent-elles rappeler, le bagage d'un jeune homme. Le poète sait le rendre flamboyant, ce bagage, comme s'il se vendait au lecteur.
L'accumulation suggère le vécu, compensant le jeune âge. Cela débute dès la première séquence, un bloc compact de vie où s'amassent, en un inventaire à la Prévert, tout ce qu'on a pu faire à 32 ans. L'auteur y jongle, joue l'équivoque ("chevauché des Italiennes, des Anglaises, des Allemandes": sont-ce des femmes ou des motos?), s'amuse. Et le lecteur est accroché. Il retrouvera cette sensation des expériences d'hier plus loin, magnifiées par le verbe toujours, de manière plus aérée.
Peut-on parler de poèmes en lisant les mots de "Lettre de motivation"? On a plutôt envie de dire "éclats poétiques", c'est-à-dire des mots jetés, explosés sur la page. Une page peu remplie signale l'évanescence, une autre évoque le lointain. Et un mot seul, isolé sur le blanc du papier en fin de séquence, prend soudain un poids particulier. Cela, jusqu'au mot "cristal" qui conclut le recueil: est-ce à dire que le poète a créé toute la transparence voulue sur sa motivation de jeune écrivain qui a bourlingué?
"j'habite l'espace de la respiration" (p. 15): voilà tout un programme! Si les blancs respirent, ces quelques mots indiquent que l'auteur se montre attentif aussi à la scansion (c'est la moindre des choses pour un poète...), ce qui se traduit par une ponctuation maîtrisée. Gage de rythme, elle crée une atmosphère haletante parfois, quand elle est fréquente, ou privilégie le souffle long si elle est plus rare.
Le poète s'autorise enfin un vocabulaire recherché et exact pour tenir son propos. De quoi parle-t-il? Peu importe au fond: c'est un à voyage autour de lui-même, de son monde, qu'il invite son lecteur. Cela, en lui demandant, mine de rien, de l'adouber, de l'élever au rang de ses écrivains de chevet. Et au vu des techniques mises en oeuvre, de la maîtrise et de la pertinence de l'auteur, gageons qu'un lecteur friand répondra immanquablement par l'affirmative.
Vincent Yersin, Lettre de motivation, Lausanne, BSN Press, 2016.
Un titre intriguant.
RépondreSupprimerEn effet, surtout pour un livre de poésie...
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