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mardi 16 avril 2024

Jean-Victor Brouchoud: un été marqué du feu des secrets

Jean-Victor Brouchoud – Il y a comme ça dans la jeunesse de certaines personnes un été où toute une vie se joue. C'est un tel été, peut-être inspiré par le vécu de l'auteur lui-même, que Jean-Victor Brouchoud relate dans son premier roman, "L'Heure des taureaux". 

L'histoire se passe dans une Suisse romande villageoise plus vraie que nature tant par les lieux que par les mentalités, mais qui est fictive si l'on s'en tient aux noms des localités mises en scène: Jorens, Saint-Claude. Quant à la temporalité, elle est marquée en particulier par la musique bien datée que les jeunes gens mis en scène écoutent: il sera question des New Kids On The Block comme de Def Leppard. Qui s'en souvient aujourd'hui?

Temps, lieux: l'auteur réussit à recréer cet univers de naguère. Pour ce qui est de la temporalité, cependant, il convient d'ajouter que la vie des gens évoqués dans "L'Heure des taureaux" paraît curieusement semblable à celle que nous vivons, gens du vingt et unième siècle. Sous la plume de l'auteur, il apparaît ainsi parfaitement actuel, jamais daté ou vieillot.

C'est dû aussi à la représentation soignée des relations entre chacun des personnages mis en scène, marquées par des élans de toujours. Le lectorat suit Bruno Roux, un gars de dix-sept ans que son père, un bonhomme autoritaire, envoie travailler à la campagne l'espace d'un été parce qu'il a loupé ses examens. Résultat: de nouvelles expériences, y compris amoureuses, du football de talus à tire-larigot et un rythme de vie rude, que l'écrivain recrée en adoptant un style parfois résolument rocailleux.

Autour de lui, l'auteur dissémine des personnages bien construits, surprenants par-delà leur cohérence: Melody la fille à la vie familiale torturée, La Rogne rongé par l'alcool, Greg le drogué devenu garagiste, pour n'en citer que quelques-uns. L'auteur aurait certes pu faire de certains d'entre eux davantage que des figurants, à l'instar de Dumoulin, qui se résume pour ainsi dire à son chien apeuré. Mais celles et ceux qui comptent vraiment dans le récit ont une indéniable épaisseur.

Structuré autour de la scène capitale de l'incendie d'une ferme qui va émouvoir tout un village et toucher chacun de ses habitants, "L'Heure des taureaux" est construit en deux parties dont la structure diffère: si la première relève d'une narration linéaire autour d'un été 1992 relaté à la troisième personne, la seconde, campée en 2018, joue en virtuose avec les focalisations et alterne narration actuelle, écrite à la première personne, et flash-back distancé à la troisième personne. En effet, c'est l'heure où certains fantômes se réveillent autour d'un Bruno Roux installé (il est architecte en ville, enfin, dans une autre ville!) mais qui doit encore régler, ou pas (l'auteur ne juge pas, accepte de laisser des zones d'ombre parce que la vie n'est pas que lumière), quelques comptes avec "son" été 1992.

Acmé du roman, relaté en deux reprises disposées au début et à la fin, l'incendie peut être vu comme une purification par le feu d'une situation villageoise pétrie de tensions. C'est aussi un moment fondateur, non exempt de secrets et de zones d'ombre: si voraces qu'elles soient, les flammes n'éclairent jamais tout comme on le voudrait. Ainsi, seul le lecteur saura le fin mot des responsabilités liées à cet incendie fondateur et aura vibré à certains coups de théâtre qui lui sont liés. Il gardera par ailleurs le souvenir d'un roman villageois maîtrisé, capable de saisir avec force les mentalités et les interactions qui constituent la destinée humaine.

Jean-Victor Brouchoud, L'Heure des taureaux, Genève, Cousu Mouche, 2023.

Le site des éditions Cousu Mouche.

2 commentaires:

  1. Très bel avis sur un roman qui m'intrigue et dont la double temporalité semble parfaitement maîtrisée.

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    1. Bonsoir Audrey, et merci pour ton avis! En effet, c'est maîtrisé au niveau de la temporalité, techniquement; mais plus encore, c'est réussi pour la recréation d'une ambiance de village moins paisible qu'il n'y paraît, à travers des éléments pas souvent abordés comme le foot de talus – l'éleveur donne d'ailleurs à ses vaches le nom de footballeurs célèbres, ça fait un peu drôle...
      Bonne lecture et bonne fin de semaine à toi!

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