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mercredi 11 décembre 2019

Héroïne ou travail, regards croisés sur ce qui drogue aujourd'hui

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Guillaume Favre – Héroïne ou travail, quelle est la pire drogue d'aujourd'hui? Sans jamais juger, l'écrivain Guillaume Favre dessine dans "Presque vivants" un parallèle glaçant entre ces deux fléaux humains, l'un mécanique, l'autre plus insidieux mais pas moins implacable. Le parallélisme apparaît comme une évidence, d'autant plus que l'auteur dessine les destins de deux frères, Thierry et Maxime.


Thierry? Il est tombé dans la drogue bêtement, ado, lors d'une fête entre amis. Cette chute, l'auteur en dessine le point de départ avec précision; il va aussi en dessiner les étapes, montrant peu à peu l'emprise de l'héroïne sur un humain qui devient dépendant dès la première piqûre. S'éloignent dès lors les amis, la copine (l'important personnage d'Elsa), la famille même. L'auteur rappelle les effets de la drogue sur le physique de celui qui en prend, représentant celle-ci comme une lumière qui captive une phalène, comme une prison dont la porte se referme peu à peu, implacable.

Pour l'auteur, cette drogue a une époque, qu'il installe clairement: celle de la fin des années 1980, celles du temps du Platzspitz à Zurich, scène ouverte de la drogue, et de la chute du mur de Berlin. Rapprochement paradoxal: alors que des millions d'Allemands de l'Est se libèrent du joug communiste, Thierry, junkie de fond, choisit l'asservissement ultime en se rendant à Zurich, près de la gare, pour s'adonner à son addiction dans des conditions qu'on dit plus confortables. L'auteur ne s'attarde guère à recréer l'ambiance, mais quelques traits descriptifs suffisent à dire le Platzspitz: l'odeur d'héroïne, les trafics de drogue, les petits objets personnels qu'on vend pour s'acheter sa dose. Enfer ou paradis? Si Thierry a fait son choix, l'auteur laisse le lecteur penser ce qu'il veut.

En parallèle, le monde de l'entreprise est-il un enfer ou un paradis? A une génération de distance, le romancier met en scène le fameux Maxime, présenté comme un workaholic cynique, pas très tendre par exemple envers une assistante dont les retards se multiplient depuis qu'elle est mère. A l'envers glaçant de la drogue consommée à fond, répond donc le monde glaçant de l'entreprise – socialement mieux toléré, mais guère plus aimable. On relève que le tableau que l'écrivain dessine du monde de l'entreprise se pose à notre époque, suggérant que l'humanité n'a guère progressé en vingt-cinq ou trente ans.

Reste que les années 2016 offrent pour l'auteur l'occasion de montrer d'autres personnages que l'actualité présente comme des parias. Ainsi, aux camés du Platzspitz, humains à la dérive auxquels on n'a jamais trop su quelle bouée lancer, répondent les migrants que l'Allemagne a accueillis à bras ouverts en 2015 ou 2016, sans trop savoir comment les accueillir. Là encore, exactement descriptif, l'auteur donne à voir cet aéroport berlinois devenu un camp où les migrants s'entassent dans l'attente d'une décision d'accueil. On y trouve Elsa, qui s'abandonne dans le travail comme Maxime l'a fait, toujours au bord du burn-out. Et l'on y rencontre des clodos qui récupèrent des bouteilles consignées dans des caddies. Eux aussi en marge de la société, poursuivant quelques dérisoires centimes, ils font clairement écho aux commerce des drogués de la fin du vingtième siècle.

On l'a compris, l'intrigue, où résonne l'écho de "Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée..." – berlinois pour le coup – est amère; mais l'écriture ne surjoue jamais. Elle opte pour la sobriété pour dire avec force, par contrecoup, quelques malaises sociaux qui ont marqué le tournant du vingt et unième siècle. Cependant, l'auteur sait jouer avec les phrases fortes: il les met en évidence à la manière d'exergue, de punchlines qui guident le lecteur et lui construisent une vigoureuse bande sonore: celle des personnages et de leur temps. Et s'il ne juge jamais l'usage des drogues, de la clope à l'héroïne, c'est bien à celles et ceux qui, à leur manière, luttent contre le fléau qu'il dédie "Presque vivants".

Guillaume Favre, Presque vivants, Genève, Cousu mouche, 2019.

Le site des éditions Cousu Mouche.

4 commentaires:

  1. Une lecture qui m'a l'air complexe pour moi mais, qui a l'air très intéressante.
    Merci pour la découverte !
    Bonne journée, à bientôt !

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    1. Bonjour à toi! C'est vrai que ce roman aborde des questions sociales sensibles.
      Bonne journée et à bientôt!

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  2. bien, bien, je note mais où trouver le temps de tout lire...!

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