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mercredi 1 mai 2019

"Un jour avant la fin du monde": une petite lucarne sur ce vieux pays qu'est l'Iran

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Sorour Kasmaï – Changer de prénom, face à l'état civil, cela n'a rien d'évident. D'autant moins lorsque la bureaucratie et les traditions religieuses se liguent pour vous compliquer la démarche. Pourtant, quel soulagement ce serait pour Mariam, personnage clé du roman "Un jour avant la fin du monde" de l'écrivaine iranienne et francophone Sorour Kasmaï. Un roman qui trouve son contexte dans le cadre bien précis de la période qui suit immédiatement la révolution islamique de 1979.


Tout commence avec la révélation accidentelle et pour ainsi dire scandaleuse d'un secret de famille: Mariam, jeune fille iranienne, met la main sur le livret de famille où est inscrite sa naissance. Mais aussi, apparemment, celle de sa mort, simultanée. Le début du roman fait dès lors figure d'explication familiale avec Pédar, le père de Mariam aux yeux de la loi. Ce personnage transfère tout cela dans le domaine religieux. Il sera même question de réincarnation...  et d'une Mariam qui ne se sent ni vivante, ni morte.

Cela dit, Mariam, désireuse de changer de prénom afin de n'être plus celle, son homonyme, qui est morte avant elle, incarne dans ce roman le camp de la raison. Une raison mise à mal par une administration ubuesque, gouvernée par les principes arbitraires du système religieux qui sous-tend la révolution iranienne. Dans la deuxième partie du roman, "La Mère supérieure", l'auteure décrit avec une minutie drolatique les dialogues erratiques entre Mariam et les fonctionnaires, rythmés par des dialogues rapides et par le cliquetis des machines à écrire, rappelé régulièrement comme un leitmotiv.

C'est que la question religieuse vient, dans ce roman, fausser une approche totalement rationnelle du monde, qui permettrait d'avancer enfin. Mariam écope en effet d'un statut dont elle se serait bien passée, celui de première ressuscitée de l'Islam, annonciatrice de la fin du monde selon tel hadith. Sur cette base, l'auteure tire avec bonheur le fil du thème religieux, et toute la pelote vient. Troublant le lecteur qui s'intéresse au fait religieux, elle développe les résonances historiques entre l'histoire de la Mariam de 1979 et celle qui vécut aux temps des caravansérails et des débuts de l'islam.

Ces résonances historiques font écho aux résonances contemporaines entre les religions qui sont pratiquées en Iran à la fin des années 1970. L'auteure offre ainsi un regard sur un monde plus diversifié que ce que l'on pourrait croire. Elle convoque ainsi le zoroastrisme et le christianisme, religions minorisées, et même le bouddhisme, par le biais du personnage de Farzami. Et elle excelle à trouver les points de convergence entre ces deux religions et l'islam, sans doute la plus jeune des religions pratiquées dans le pays. Elle revisite ainsi quelques motifs: celui de la croix, bien sûr, souvent immatérielle, mais aussi celui des tchadors noirs des femmes, rapprochés d'une légende où la soie noire joue un rôle particulier, opposé à l'aspiration à la lumière du zoroastrisme.

Noir? On relève que la romancière joue volontiers avec les couleurs et les contrastes, ce noir du vêtement entrant en particulier en contraste maximal avec la neige, blanche bien sûr (ce qui rappelle qu'il y aussi de la neige dans certaines régions d'Iran: on n'y pense pas forcément), qui a tué une partie de la famille de Mariam à l'occasion de l'effondrement de la maison où elle vit. Cela, sans parler bien sûr de leurs symboliques! De ce point de vue, entre autres, le long conte enchâssé "La Caravane noire" est une merveille. Et c'est dans la soie noire que, peut-être, la véritable croix du Christ s'est évanouie.

Le contexte de la révolution iranienne est reconstruit en arrière-plan, avec ses renversements de situation (on pense au personnage de Zinate, dont le statut de servante, pour ne pas dire de poupée, change du tout au tout à la faveur de la chute d'un régime monarchique de plus de 2500 ans) et sa soudaine obsession de l'islam, au nom duquel l'arbitraire juridique va jusqu'à des condamnations à mort – en particulier celle du père de Mariam, qu'elle a elle-même dénoncé pour faire avancer sa cause, sur l'incitation des autorités. Porté par la folie des hommes et des dieux, "Un jour avant la fin du monde" apparaît comme un roman foisonnant qui, pour reprendre les mots de la dédicace, "est une petite lucarne vers ce vieux pays qu'est l'Iran". Un pays à l'histoire riche, on le (re)découvre au fil des pages.

Sorour Kasmaï, Un jour avant la fin du monde, Paris, Robert Laffont, 2015.

Note sympa: j'ai lu ce roman parce que j'ai vu une affiche qui le mentionne dans un restaurant géorgien que je recommande ici, le "Pirosmani", situé 6, rue Boutebrie, 75005 Paris. Sorour Kasmaï est-elle une habituée? En tout cas, ma curiosité a fait le reste... pour mon plus grand plaisir de lecteur.

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