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jeudi 2 mai 2019

Les trains d'autrefois, pour le pire et le meilleur

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Andrea Gianinazzi – C'est une ambiance des temps jadis, une ambiance presque poussiéreuse, qui se dégage de "L'homme qui vivait dans les trains". Au fil de ce recueil de nouvelles, l'auteur tessinois Andrea Gianinazzi dessine, progressivement, les contours d'un personnage qui a traversé les années du vingtième siècle. Un vagabond? On le découvre peu à peu. Et tout s'éclaire pour finir, alors que le développement semble longtemps décousu.


Le lecteur, en effet, croit lire, au fil des nouvelles, les destins de personnages sans liens entre eux. L'apparence est trompeuse! Pourtant, l'auteur sait donner des indications, au gré d'objets qui, à force de revenir, ne peuvent que mettre la puce à l'oreille. Ces indications prennent la forme d'échos d'une nouvelle à l'autre, d'objets trop régulièrement présents pour être honnêtes. Trop? Non: l'auteur sait se montrer subtil, à telle enseigne que ce n'est qu'à la fin, dans la dernière nouvelle, qu'on comprend à qui l'on a affaire.

En effet, les nouvelles qui constituent "L'homme qui vivait dans les trains" mettent en scène des personnages qui, en apparence, n'ont rien à voir entre eux. Vraiment? Qu'est-ce qui rapproche un gamin aperçu dans un wagon, un cheminot qui inspecte les voies d'un tunnel ferroviaire, un étudiant en logique, un vieillard qui vit dans les trains et les gares ou un camionneur à la veille de sa retraite? Réponse en toute fin de livre, mais aussi dans le titre... ce qui donne finalement à ce recueil de nouvelles une allure de roman.

Le regard porté par l'auteur sur le monde ferroviaire est des plus conservateurs, en phase avec les imageries anciennes. On trouve dans "L'homme qui vivait dans les trains" des allusions à la mythique locomotive "Crocodile" du Saint-Gothard, mais aussi un regard difficile sur les personnes déplacées à bord de wagons ("L'Essaim"). Mettant en scène le ferroutage, "Le dernier voyage" montre le mariage de raison entre le transport ferroviaire et les camions, convoquant de surcroît cette vieille marque de camions suisses qu'est Saurer. Une marque qui pourrait disparaître? Oui, comme le personnage qui conduit un tel type de véhicule, destiné aux musées.

Le lecteur profite par ailleurs d'ambiances de terrain, décrites avec les termes justes pour faire vrai, en mode mineur ou sensible. On trouve ainsi tel personnage en train de sortir des réfugiés d'un tunnel dans "Le Tunnel", habile nouvelle moderne dont le rythme commode comme celui du travail d'un fonctionnaire est soudain brusqué par l'irruption d'une colonne de migrants. Ou ce mécanicien qui manœuvre une locomotive sur les rampes du Saint-Gothard, au temps où le tunnel de base n'existait pas: sable, puissance en montée, freins meurtris à la descente. Et l'église de Wassen pour faire joli, bien sûr – plutôt trois fois qu'une.

"L'homme qui vivait dans les trains", c'est donc le livre du chemin de fer d'autrefois, et aussi celui d'un homme qui en a vécu, humblement, jusqu'aux moments les plus pénibles, les derniers, de sa vie. Un homme aux multiples facettes: d'une nouvelle à l'autre, on ne le reconnaît pas, et les indices n'apparaissent que progressivement, comme par hasard. Mais ce livre, c'est aussi la description nostalgique d'un monde ferroviaire en voie de disparition, tué notamment, aux yeux de l'auteur, par son rapprochement avec le monde froid de l'aviation civile.

Andrea Gianinazzi, L'homme qui vivait dans les trains, Lausanne, Plaisir de lire, 2019. Traduction de l'italien par Walter Rosselli, revue par Isabelle Sbrissa.

Le site des éditions Plaisir de lire.

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