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vendredi 1 février 2019

Quand François Debluë rencontre Henrik Ibsen

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François Debluë – "La Dame de la mer", c'est d'abord une pièce de théâtre du dramaturge norvégien Henrik Ibsen. C'est aussi le titre d'un opéra de poche qui a été conçu sur la base de ce drame. René Falquet s'est occupé de la mise en musique; et c'est le poète François Debluë qui est aux manettes pour le livret. Livret? On se souvient de lui comme l'auteur des "Saisons d'Arlevin", qui ont porté la Fête des Vignerons de Vevey en 1999. Et force est de constater que ce poète s'avère à l'aise dans l'environnement intimiste du drame lyrique d'Ibsen, comme dans l'ambiance grandiose des festivités veveysannes.


Un intimisme assumé: côté orchestre, on dispose de sept musiciens, et la scène sera peut-être petite pour la création: six solistes, pas l'ombre d'un chœur à proprement parler. Il faut serrer! Le librettiste s'attache donc à aller à l'essentiel de la pièce d'Ibsen: le conflit de loyauté qui travaille Ellida, "la dame de la mer", mariée en secondes noces à un veuf, le docteur Wangel, mais qui a fait des promesses à un marin, "L'Etranger", dont le retour n'est jamais impossible – et fait figure de moment de vérité. Si le librettiste évince plus d'un personnage secondaire, cependant, il conserve Ballested, le bonimenteur d'Ibsen, comme commentateur de l'action, à la manière d'un chœur de substitution. Ce commentaire, cette prise de recul est aussi assumée par les deux filles de Wangel, Hilde et Bolette, qui ont leurs aspirations de jeunes filles.

Ce resserrement apparaît aussi indispensable pour donner sa place à la musique, sans compliquer la compréhension du drame qui se joue sous les yeux (et les oreilles) du spectateur. Cela, même si, à lire le livret, on comprend sans peine ce qui sera chanté et ce qui sera récité: l'auteur travaille ses rythmes, et pense les moments musicaux comme des airs classiques. Et si l'on admet que les airs ou les parties chantées requièrent leur temps, les dialogues parlés vont vite. En particulier lorsque Hilde et Bolette interviennent, mettant en évidence de façon directe des choses sous-entendues par ailleurs, telles que le caractère particulier, troublant voire cassant, d'Ellida.

Lente ou animée, recréant à sa manière sobre les sentiments qui surgissent, la musique du compositeur René Falquet porte ce livret. Elle est complétée, curieusement, par des réminiscences symphoniques de Richard Wagner qui ne semblent pas tout à fait dans le ton d'un petit opéra – même lorsqu'il est question du "Vaisseau fantôme", promesse de cet Etranger auquel Ellida a fait une promesse. Reste que ce "Vaisseau fantôme" a son sens: chacun, dans cet opéra, vit avec ses fantômes. Si Ellida attend sans trop y croire cet Etranger auquel elle s'est promise, le fantôme de l'enfant aux yeux bleus perdu par le couple Wangel/Ellida hante aussi le drame. Il apparaît comme suggestif d'une union, d'un mariage qui n'atteint pas totalement sa finalité: donner la vie.

Et telle que repensée par François Debluë, "La Dame de la mer" offre en dernier ressort un choix à Ellida, un choix entre deux hommes qui ont leurs arguments. Un dilemme cornélien dont Ellida se sort d'une façon qui sonne vrai et s'avère évidente: elle choisit ce qui est, morne et solide peut-être, raisonnable pourrait-on dire, plutôt que l'aventure avec un homme qu'elle a, en somme, à peine reconnu.

Dans cette mouture signée par François Debluë et René Falquet, "La Dame de la mer" a été créée à l'Oriental-Vevey en automne 2018. Côté paroles, en revisitant "La Dame de la mer", le librettiste a réussi à retravailler de façon convaincante un drame d'Ibsen, en le ramenant à l'essentiel, mot à mot, pour qu'il résiste à une mise en musique. Rien de simpliste là-dedans: juste un travail de poète qui va à l'essentiel, humble et attentif, utilisant la substantifique moelle d'une œuvre géniale pour en transmettre le message sous une autre forme, sans le brader – dans l'esprit simple et intimiste d'un opéra de poche en cinq actes. 

François Debluë, La dame de la mer, Lausanne, L'Age d'Homme, 2018. 

2 commentaires:

  1. un beau billet! ça m'aurait bien dit… commençons par la pièce d'Ibsen!

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    1. En effet! Un regard croisé sera sans doute instructif.

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