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mercredi 10 janvier 2018

Jacques Guyonnet et l'érotisme mystique d'une fondue moitié-moitié

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Jacques Guyonnet – Un homme âgé veut partager une fondue moitié-moitié avec une femme jeune mais qui a du caractère. Peu de chose? C'est suffisant, pourtant, pour que le romancier et musicien suisse Jacques Guyonnet en fasse tout un roman. Comme il est d'usage avec cet écrivain, le lecteur se trouve, avec "Mabelle, la mort et la fondue moitié-moitié", en présence d'un livre foisonnant et inventif, qui n'hésite pas à partir dans tous les sens, y compris les plus loufoques.

Le narrateur de ce roman, qui pourrait être Jacques Guyonnet lui-même, montre l'approche d'une femme comme s'il s'agissait de la découverte d'une nouvelle planète. Dès lors, l'écrivain consacre plus d'un chapitre à sa manière de voir les femmes, "la Femme". C'est une vision paradoxale: d'un côté, ce narrateur s'avère très sûr de lui, et n'hésite pas à se mettre en scène dans des situations où il est adulé sans limites (par exemple cette incroyable représentation d'une conférence au Mexique, face à un public  essentiellement féminin en délire); de l'autre, il reconnaît à la femme une infinie supériorité par rapport à l'homme. Cela, quitte à agacer: Mabelle n'est pas en sucre, pas plus que n'importe quelle autre femme...

J'évoquais une conférence donnée au Mexique... scène importante s'il en est, dans la mesure où elle illustre idéalement la vacuité de certains discours. C'est l'aboutissement d'un ou deux éléments présents dans ce roman. D'une part, il y a la caricature des discours officiels, exercice auquel Jacques Guyonnet a dû lui-même se plier dans sa carrière, qui l'a mené dans les hautes instances de l'Unesco. D'autre part, c'est une caricature jubilatoire des discours qu'on peut commettre sur la musique, pour peu qu'on soit philosophe: pour l'écrivain, les philosophes, ça complique tout. Au contraire des compositeurs de chansons de variété...

... c'est qu'en bon musicien, l'écrivain place dans "Mabelle, la mort et la fondue moitié-moitié", quelques réflexions sur l'art de la chanson, opposé à celui de l'opéra. Il loue ainsi avec justesse la concision extrême de toute chanson, qui se contraint à créer une histoire, un univers, en moins de trois minutes, alors qu'un opéra peut se payer le luxe d'être long. Le débat est lancé, et mérite nuance: l'auteur omet d'indiquer que face à leurs librettistes, certains compositeurs d'opéras avaient une exigence de concision (en la matière, Giuseppe Verdi donnait même des leçons au poète Temistocle Solera avant de lui préférer Francesca Maria Piave) – et d'autres, dans d'autres genres, s'amusaient même, à partir d'un texte bref, à tirer d'interminables airs, à la manière d'un Jean-Sébastien Bach écrivant plusieurs minutes de musique sublime à partir d'un quatrain ses cantates. Enfin et surtout, dans ces pages sur la musique, l'écrivain assume le fait de placer sur un pied d'égalité Gilbert Bécaud et Ludwig van Beethoven.

Et bien sûr, il y a toute cette métaphysique de la fondue, érotique comme il se doit. De façon presque attendue, l'auteur relève le mélange de vacherin et de gruyère de rigueur, assignant chacun de ces fromages à l'un et à l'autre sexe. Naturellement, ils fusionnent... métaphore de l'union la plus intime, voire dépassement de celle-ci: le narrateur couche avec Mabelle, mais la fondue restera inaccessible, comme s'il s'agissait d'un extrême summum des relations intimes. La fondue est-elle une expérience post-sexuelle, proposée d'ailleurs par un auteur autrefois friand de croûtes au fromage concoctées pour ses copines (voir à ce sujet "Une semaine bien remplie")? Hmmm...!

Cette fusion des fromages pour créer un goût nouveau fait écho à la recherche de nouvelles saveurs verbales de l'écrivain. Cette recherche, on la connaît depuis ses précédents livres. Et ici, il ne s'arrête pas. Certains mots inventés semblent présents juste parce que leur sonorité est belle, et appellent une lecture à haute voix, comme au théâtre. Côté mots, on relève aussi l'astuce des notes de bas de page, au nombre de 333 – un chiffre qui joue un rôle symbolique dans "Mabelle, la mort et la fondue moitié-moitié". Enfin, l'écrivain place un lexique des mots qu'il utilise dans tous ses romans, qui paraîtra dispensable, pour ne pas dire rebattu, à ses lecteurs habitués, mais sera utile à ceux qui découvrent l'œuvre de Jacques Guyonnet: se réclamant de San-Antonio, il ne recule devant aucun néologisme, et ose le métissage avec l'espagnol pour créer les mots de son "franpagnol".

L'histoire d'une rencontre entre un homme et une femme qui s'assument comme tels, la musique que cela peut faire résonner: tel est le squelette de "Mabelle, la mort et la fondue moitié-moitié". L'auteur ajoute à cette ossature des considérations ayant trait à la musique et à sa vision du monde et des mots, sans oublier des images, quitte à paraître un peu long ou répétitif par moments. C'est cependant ainsi qu'il crée tout un univers à partir d'un sentiment ressenti à l'égard d'une femme vue comme une déesse: "Patuit Dea", dit-il – faisant écho, dit-il, à Jean d'Ormesson. C'est que, et l'auteur le confirme en fin de récit, l'amour est le moteur de ce livre...

Jacques Guyonnet, Mabelle, la mort et la fondue moitié-moitié, Genève, Margelle/La femme c'est la mort, 2017.

2 commentaires:

  1. oh la laaa, mais qu'est-ce que ça? :) Pas pour moi, je crois!

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    1. C'est un livre pour le moins particulier, en effet! :-)

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