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mardi 7 mars 2017

"De toute mon âme", fonctionnement d'un diptyque avec Marilyn Stellini

Stellini LucyLu par Laura Darcy, Titou.
Le site de l'éditeur, celui de l'auteure.

Sonnez cornemuses, Lucy Hadley est de retour! Comme prévu, l'écrivaine Marilyn Stellini boucle son diptyque "Le Coeur de Lucy" avec une romance historique intitulée "De toute mon âme". Paru au printemps 2016, ce second ouvrage fait suite à "Au-delà de la raison". Et entre contrastes et continuité, il le complète aussi, même s'il peut, à quelques détails près, fonctionner de manière indépendante.

La romancière prend soin de rendre son personnage, la fameuse Lucy Hadley, disponible pour de nouvelles aventures. Celle-ci a perdu son mari, et les héritiers l'ont courtoisement mais fermement chassée de chez elle avec une rente minimale: juste de quoi vivre dans l'Ecosse du milieu du dix-neuvième siècle, où éclate la révolution industrielle. Veuve, seule et disponible, dotée du revenu vital, les yeux dessillés ensuite par rapport à son ancien amant Jack de Nerval, voici Lucy prête pour de nouvelles aventures. Vierge en somme, ou presque.

Emile Zola en point de mire
Après un "Au-delà de la raison" centré sur un monde rural, l'écrivaine installe son récit en ville d'Edimbourg. L'auteure évoque la difficulté d'une femme à prendre un emploi de comptable en ce temps-là, conférant un trait de caractère féministe avant la lettre à une Lucy désireuse (et le demandant, ce qui lui suffit à l'obtenir!) d'avoir un salaire égal à celui d'un homme, à fonction égale.

L'auteure ne s'appesantit guère sur le coeur de métier de l'employeur de Lucy (c'est le monde peu glamour de l'industrie de la vapeur, vu qui plus est du côté administratif), et la représentation de la vie urbaine n'est pas forcément spectaculaire: s'il y a des descriptions de scènes de bal sources d'intrigues, on reste en province. Cela dit, elle sait adopter une grande précision pour décrire certains aspects apparemment annexes tels que la description d'une jambe de cheval. Le choix exact du vocabulaire fait penser à Emile Zola; du point de vue du lecteur, l'impression est celle d'un zoom avant saisissant. Et naturellement, l'acide acétylsalicylique demeure un précieux auxiliaire contre la gueule de bois. Entre autres.

Mentionnée plus haut, la question des salaires suggère que les aspects de société ne sont pas absents de "De toute mon âme". Il est permis de se demander, cependant, si une femme qui a vécu dans la campagne britannique du dix-neuvième siècle, même instruite, peut vraiment avoir les états d'âme peu amènes de Lucy envers la pratique de la chasse, au nom du bien-être des animaux. A cette réserve près, les mentalités sont reconstruites de manière crédible: les industriels sont désireux de s'imposer dans un monde fait pour les hommes (même si les femmes y ont leur place, leur pouvoir s'exerçant en coulisse), et les nobles, sûrs d'eux, se montrent peu désireux de revoir leur mode de vie pour cette pièce rapportée qu'est Lucy.

Echos et continuité
Quitte à ce que le lecteur ait l'impression d'une redite, l'auteure exploite à fond les résonances qui peuvent se faire jour à partir de "Au-delà de la raison". Cela, avant tout du côté de ce qui fait le sel de la romance: l'homme à conquérir. Le personnage de Carl présente plus d'une ressemblance avec son prédécesseur, le défunt mari de Lucy Hadley: c'est un beau gosse bien établi (il est ingénieur) de 38 ans, qui s'avère un coup en or au lit. Petit souci: il est marié et père... Dès lors, comme c'est la règle dans une romance, tout consiste à faire franchir successivement les obstacles à l'union légitime entre deux êtres que la passion dévore. Force est de constater que la romancière guide Lucy et Carl à merveille, en force ou en finesse.

Pour renforcer l'effet de continuité entre le premier et le second tomes du diptyque, la romancière recourt à quelques procédés similaires, le plus voyant étant celui de l'échange de correspondance, avec des lettres transcrites in extenso. Les sentiments s'y expriment avec violence, qu'il s'agisse d'une froideur calculée ou d'une passion qui ne peut plus se retenir.

Passion? On retrouve dans "De toute mon âme" les scènes torrides qui parsemaient "Au-delà de la raison". Explicites, elles sont assez longues, quitte à lasser un peu... et c'est dommage, même si l'auteure ne manque pas d'exprimer avec justesse le ressenti de Lucy Hadley. En somme, le lecteur goûtera davantage les instants où la passion bouillonne que les moments où elle s'exprime de manière charnelle.

Enfin, le thème important des compétences médicales de Lucy est repris, dans un esprit qui opte résolument pour le rationalisme: en ville, personne ne considérera Lucy Hadley comme une sorcière ou une chamane. Et ses interventions médicales, si miraculeuses qu'elles puissent paraître aux yeux des autres personnages, sont décrites de façon réaliste.

Bien ancré dans une époque écartelée entre la révolution industrielle synonyme de changements et le conservatisme jaloux de la noblesse rurale, "De toute mon âme" décrit, d'une manière accrocheuse, l'évolution de sentiments extrêmes, jusqu'à un dernier "je t'aime". Ce roman conclut fort bien un diptyque bien pensé comme tel, et donc empreint d'unité, entre contrastes et continuité. Rédigé dans un style efficace, il donne envie de lire un nouvel ouvrage de la romancière. Il paraît qu'il y sera question de football... on se réjouit!

Marilyn Stellini, De toute mon âme, Paris, Bragelonne - Milady, 2016.

4 commentaires:

  1. Un livre qui se trouve dans ma pal et que j'espère découvrir très bientôt ! Très bel avis qui donne réellement envie. Merci :)

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  2. Je t'encourage à foncer! C'est un roman solidement construit, agréable à lire et plein de sentiments... Bonne journée! :-)

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  3. Je ne le connaissais pas, mais il me tente bien maintenant ! ;)

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    1. Merci pour ce commentaire!
      En effet, c'est un bon roman dans son genre! Je vous (te?) conseille de commencer par le tome 1 de ce diptyque, pour avoir tous les repères, même si "De toute mon âme" est tout à fait lisible indépendamment. Les ambiances des deux livres, en particulier, sont bien complémentaires.

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