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jeudi 16 février 2017

Bill Carter, du cuivre partout

Carter BoomLe site de l'auteur, le site du livre, le site de l'éditeur.

Cuivre, quand tu nous tiens! Le cuivre, élément 29 du tableau périodique de Mendeleiev, est un métal qui fait tourner le monde, et pourtant l'on n'y pense guère. L'écrivain américain Bill Carter a décidé de s'intéresser de près aux enjeux anciens et surtout actuels de ce matériau. De ses recherches, il a tiré un livre intitulé "Boom, Bust, Boom". Celui-ci revêt la tonalité d'un reportage captivant, où les expériences personnelles de l'auteur se mêlent à ce que vivent les différents acteurs liés au cuivre.

Bill Carter intéresse immédiatement son lectorat à son propos, en racontant d'entrée de jeu une anecdote personnelle. Vivant dans l'ancienne cité minière de Bisbee (Arizona), il fait pousser des salades dans son jardin, dans un esprit fièrement biologique. Et hop: il tombe malade, intoxiqué à l'arsenic. C'est ainsi qu'il découvre que le sol de son jardin est contaminé. Son épouse, prudente parce qu'elle est enceinte, n'a pas touché à cette salade; sa fille, gourmande et contestataire, a refusé tout net. Ce qui les a épargnées...

Partant de cette histoire qui aurait pu avoir une issue fatale, l'auteur de "Boom, Bust, Boom" déroule la pelote, en partant du grand trou qu'a laissé l'exploitation d'une mine de cuivre à Bisbee (soit dit en passant, on le voit bien sur Google Maps, si vous voulez vous faire une idée). Au fil des pages, on découvre les enjeux qui entourent ce métal d'apparence anodine, mais qui est parfois aussi recherché que l'or et suscite les passions de la Bourse. "Petite histoire du cuivre", sous-titre du livre, n'est du reste pas la meilleure manière d'énoncer le programme: si la question historique est abordée, c'est surtout de l'actualité du cuivre qu'il est question dans "Boom, Bust, Boom". Bon, rapidement quand même, et juste pour le dire: saviez-vous que l'île de Chypre porte un nom lié au latin "cuprum", qui signifie "cuivre"?

L'actualité du cuivre est toute en tensions, et cela sous-tend tout l'ouvrage: l'extraction du cuivre nécessite de creuser de grandes et profondes mines à ciel ouvert qui défigurent les paysages et peuvent ruiner des territoires où vivent d'ancestrales populations humaines et des animaux menacés; il faut aussi des éléments toxiques pour l'extraire des filons et rochers, et ceux-ci se retrouvent dans les airs, les eaux, les sols. Dégueulasse? Certes. Mais le cuivre est indispensable pour faire tourner des ordinateurs, des téléphones portables, pour acheminer le courant électrique. Bref, à l'avenir, il en faudra de plus en plus... Saloper le monde ou ne plus s'éclairer (sans parler de bloguer...)? Dilemme.

Passionnante, la démarche de l'écrivain est celle d'un journaliste d'investigation qui prend son métier très au sérieux et n'hésite pas à aller sur le terrain. Bien informé dès le départ, il prend son bâton de pèlerin pour aller rendre visite à différents acteurs liés à l'exploration minière. Alternent dès lors les analyses et exposés, les entretiens, les paysages décrits et les impressions personnelles de l'auteur.

C'est que l'auteur a pu approcher de nombreuses personnes liées à l'exploration minière, avec des points de vue différents. Il a pu rencontrer un représentant d'une tribu amérindienne dont les terres sacrées sont menacées par un projet de mine, même si elles sont protégées par une loi remontant à Eisenhower. Il s'est entretenu avec des cadres de grosses entreprises minières, capables de faire la pluie et le beau temps à la Bourse, dont il démystifie le discours bien rodé et son côté automatique, propagandiste, qui cache des pratiques peu scrupuleuses, pour ne pas dire agressives. Il s'est intéressé aux populations concernées, qu'elles soient hostiles à l'installation d'une mine de cuivre près de chez elles (Alaska), ou qu'elles y soient au contraire favorables (Superior, Arizona), et leur a donné la parole: faut-il préserver à tout prix un mode de vie ancien en perte de vitesse mais respectueux de l'environnement, ou accueillir la mine, pourvoyeuse d'emplois?

Avec un regard aigu, l'auteur va jusqu'à s'intéresser à ce que l'industrie du cuivre provoque dans un contexte globalisé, en prenant l'exemple de la mine de Grasberg, en Indonésie. Partisan de démonstrations claires, il invite le lecteur à aller voir ce qu'il en est sur Google Maps... C'est aussi à travers des exemples non-Américains que l'auteur démontre les mécanismes de pollution liés à la production du cuivre. Cela, sans oublier l'exploitation du personnel local, peu sécurisé et payé au lance-pierres.

Le lecteur sort édifié de cette lecture, et ne verra sans doute plus les objets contenant du cuivre de la même manière, qu'il s'agisse de casseroles ou des circuits intégrés de son téléphone portable. Un petit bémol? L'ouvrage publié par les éditions Intervalles en 2017 est une traduction d'un livre remontant à 2012, et qui aurait mérité, sur certaines pages, une petite remise à jour. Cet aspect n'altère cependant guère l'essentiel du propos: si le cuivre est un élément fantastique, les coulisses de son exploitation sont décidément peu reluisantes et c'est bon d'en être conscient. Et en se mettant personnellement en scène, ainsi que sa famille, l'auteur souligne, en interrogeant sans condamner à l'avance, que chacune et chacun est concerné.

Bill Carter, Boom, Bust, Boom, Paris, Intervalles, 2017, traduction de l'anglais par Marie Poix-Têtu.

4 commentaires:

  1. Un bel essai qui m'a troublé, beaucoup plus qu'aurait pu le faire un reportage télévisé par exemple... le pouvoir des mots sûrement et des images qu'ils déclenchent.

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    1. Vraiment insoupçonné, en effet. Et le format livre permet à l'auteur de dire les choses bien en détail. Troublant, saisissant en effet! On apprend beaucoup de choses avec "Boom, Bust, Boom".

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  2. Je note, le sujet m'intéresse beaucoup. Merci. (Fantasio)

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    1. C'est un livre très recommandable, sur un sujet dont on parle peu alors qu'il est omniprésent... Donc fonce! Et bonne lecture!

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