Max Lobe – 39, rue de Berne? Une adresse au cœur des Pâquis, quartier chaud de la ville de Genève. C'est là que se noue pour l'essentiel l'intrigue du roman "39 rue de Berne", signé Max Lobe. Entre roman et témoignage, le lecteur suit au fil de pages marquées par un épatant talent de conteur le destin de quelques Camerounais, à commencer par Mbila, jeune femme camerounaise embarquée malgré elle dans le monde de la prostitution contrainte, où elle a cependant su se faire sa place. Quant à celui qui raconte, c'est son fils, Dipita, alter ego de l'écrivain.
Tout débute au Cameroun, où l'opportunité presque miraculeuse de vivre mieux en Europe s'ouvre pour Mbila. Trop beau pour être vrai, on s'en doute! La jeune femme quitte un monde familial et clanique dominé par l'oncle Démoney (entendez-vous "démon" ou "monnaie"?...), ancien fonctionnaire ramenard bénéficiant (encore que...) d'une retraite très anticipée. Le lecteur verra en lui une figure patriarcale ambivalente, désireuse de faire le bien autour de lui mais peu regardant quant aux moyens – Mbila va en faire la difficile expérience. De la part de l'auteur, le fait de nommer "philanthropes-bienfaiteurs" ceux qui vont poser Mbila sur les trottoirs de Genève constitue une astucieuse antiphrase, dont on pourrait sourire si elle n'était si amère.
Au fil des pages, le lecteur fait aussi connaissance, bien sûr, du narrateur, Dipita: celui-ci va vivre, au fil d'une chronologie parfois un peu bousculée, sa vie d'enfant devenu adolescent puis adulte, se découvrant notamment homosexuel – un motif qui, émergeant assez tard dans le roman, n'en est pas moins prégnant: cette attirance, le narrateur la vit pleinement avec William, jusqu'au meurtre passionnel après une trahison, mais elle résonne aussi avec ce qu'il a pu entendre autour de lui, et qui n'est guère agréable – sans oublier que pour certaines personnes de son entourage, l'homosexualité semble être, pour paraphraser, un truc de Blancs. Ces pensées contradictoires, cette difficulté à s'emparer de cette partie de lui, Dipita les décrit avec précision et sincérité, recourant à des images frappantes en phase avec la description littéraire approfondie d'une quête de son intimité.
C'est que si "39 rue de Berne" relate les destins d'une poignée de personnages qui n'auront pas été épargnés par la vie (outre la prostitution, il sera aussi question de prison, voire de racisme ou de délits de faciès) et qui se retrouvent dans un monde à la fois proche et lointain de ce que la Suisse peut avoir d'opulent, ce roman ne manque jamais une occasion de faire naître la beauté, voire le sourire, par l'écriture. Celle-ci passe par l'envie constante, de la part de l'auteur, de trouver des images qui font naturellement mouche, mais aussi par le choix d'une écriture délibérément colorée de tours de langage camerounais. Il en résulte un premier roman à la voix personnelle, recréée de manière naturelle à force d'avoir été travaillée, à la manière d'un Ramuz – cité soit dit en passant au fil du roman. Ainsi se fait la jointure entre le Cameroun et la Suisse, qui sont les deux pays de l'écrivain.
Max Lobe, 39 rue de Berne, Genève, Zoé, 2013/Zoé Poche, 2017.
Le site des éditions Zoé.
Ils l'ont lu aussi: Francis Richard, Papalagui, Philisine Cave, Zarline.