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dimanche 15 septembre 2024

Romain Rolland et Helena de Kay: les échos d'une correspondance

Martine Ruchat – On a un peu oublié l'écrivain Romain Rolland, prix Nobel de littérature en 1915. Avec son livre "Sensations océaniques", l'auteure Martine Ruchat le fait revivre, en mettant en avant la relation épistolaire et humaine privilégiée qu'il a eue avec la femme de théâtre américaine Helena de Kay. 

Première découverte pour le lecteur: Romain Rolland était un épistolier généreux, recevant beaucoup de courrier et prenant le temps d'échanger avec de nombreuses personnes, dont Helena de Kay. Ainsi, l'écrivaine se fonde avant tout sur l'abondante correspondance entre les deux personnalités pour développer son propos, une correspondance qu'elle cite abondamment. Cela, tout en faisant œuvre de romancière pour dessiner les contours du lien privilégié qui se construit et évolue entre eux.

Des contours pour le moins sinueux! L'écrivaine met au jour une relation complexe qui oscille entre l'amitié profonde et l'amour, voire la possibilité d'un mariage. Cela, sans oublier d'évoquer la communion entre deux esprits forts, capables d'exposer des points de vue divergents l'un à l'autre et d'en débattre. La sincérité sera le maître mot de ces échanges, même s'ils ne font pas toujours plaisir à l'un ou à l'autre: il y aura quelques rendez-vous manqués, qu'il s'agisse de se marier ou de faire des enfants ensemble.

La relation épistolaire prend parfois des allures de conspiration: pacifiste et européiste, Romain Rolland apparaît comme une figure controversée pendant la Première Guerre Mondiale, période où les positions sont tranchées en fonction d'un nationalisme exacerbé. Les écrits de Romain Rolland font de lui, aux yeux de certains, un traître. Dès lors, il conseille à sa chère épistolière de ne pas faire état d'opinions politiques, ou d'envoyer son courrier à tel ou tel destinataire. Familiale ou institutionnelle, la censure veille!

Quant à Helena de Kay, l'écrivaine en dessine également le portrait, celui d'une femme désireuse d'émancipation, née dans une famille américaine aisée mais conventionnelle. Cette envie d'émancipation semble toutefois se heurter à l'immensité des possibles, donnant au lecteur l'impression qu'Helena de Kay est avant tout une femme qui se cherche, entre organisation de conférences, écriture de pièces de théâtre et travaux de traduction. Cela, sans oublier les soucis d'argent constants, résultant de revenus irréguliers.

"Sensations océaniques" laisse le souvenir d'un ouvrage dense qui se situe résolument entre le documentaire et le roman. Plutôt que de se glisser entièrement dans la peau de ses personnages, l'auteure parle d'eux avec une certaine distance, relatant leur destinée en paragraphes longs et sans dialogues. L'empathie est cependant présente, d'une autre manière: l'écrivaine excelle à recréer, à partir d'une correspondance abondante mais un peu fragmentaire (certaines lettres ont été détruites), toute la profondeur d'une relation exceptionnelle entre deux personnes. Et autour d'elles, à faire revivre tout le monde des lettres et des idées de son temps, un monde dont la planète constitue le terrain de jeux.

Martine Ruchat, Sensations océaniques, Genève, Encre Fraîche, 2024.

Le site des éditions Encre fraîche.

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