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mardi 7 novembre 2023

Entre les pays, entre les langues... entre les humains

Assia Djebar – Après vingt années passées en France, Berkane, devenu quinquagénaire, revient en Algérie  pour y écrire tranquillement dans la maison familiale, dont il a hérité, et revoir la Casbah. Tel est le point de départ du roman "La Disparition de la langue française" de l'écrivaine algérienne Assia Djebar. Un ouvrage complexe et riche qui s'écrit entre les pays, entre les époques, entre les humains... mais aussi entre les langues.

C'est avec virtuosité, en effet, que l'auteure alterne les points de vue et les modes de narration, passant d'un récit réaliste, historique ou actuel, à la lettre ou au journal intime, en de courts chapitres plutôt denses qu'on lit lentement. Adressées à Marise, la comédienne française qu'il a laissée en France, les lettres de Berkane restent empreintes de sensualité, malgré la rupture, et leurs mots sont ceux de l'intime, dits "en arabesques", comme Berkane lui-même le dit.

Par contraste, c'est dans un mode réaliste qui n'occulte aucune violence que l'auteure recrée, par flash-back, l'enfance et la jeunesse de Berkane, marquées par les luttes pour l'indépendance algérienne. Il y a là une forme de crescendo, depuis un conflit de drapeaux à l'école, qui va atteindre la famille aussi, jusqu'à l'emprisonnement de Berkane par les Français. 

L'auteure n'occulte pas les différends entre les mouvements indépendantistes. Et plus tard, elle relève que certains auteurs algériens sont passés de la langue française à l'arabe pour leurs écrits. Ce passage d'une langue à l'autre, ce frottement sur fond d'un passé qui ne passe pas et que l'auteure illustre au fil de certaines péripéties, se fait aussi au niveau individuel chez chacun des personnages – on pense entre autres à Marise qui a fini par prononcer correctement une phrase en arabe. Quant au frère de Berkane, Driss, les mots sont aussi son métier puisqu'il est journaliste. 

Enfin, en évoquant le dramaturge Bernard-Marie Koltès au travers de l'actrice Marise, la romancière semble dessiner un parallèle avec Berkane: nom proche, et surtout disparition à un âge comparable. Mort? L'histoire ne le dit pas. Mais l'une des dernières impressions que "La Disparition de la langue française" laisse, c'est que Berkane continuera bel et bien d'exister sur les planches, chaque fois que Marise y montera.

Assia Djebar, La Disparition de la langue française, Paris, Librairie Générale Française, 2006/Albin Michel, 2003.

Lu par Mes belles lectures, Tipaza.

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