Chrystel Duchamp – "Le sang des Belasko", c'est l'histoire d'une maison qui vit, qui respire, qui meurt aussi. Et qui héberge, pour son malheur, une famille maudite, violente par tradition. Après plusieurs ouvrages accrocheurs parus du côté de Saint-Etienne, Chrystel Duchamp passe dans la cour des grands en faisant paraître "Le sang des Belasko", qui jouit d'une diffusion française voire internationale. C'est mérité.
Voyons ce qu'il en est: l'auteure orchestre les retrouvailles marquées par le deuil d'une fratrie composée de deux femmes et de trois hommes qu'on devine dans la force de l'âge. Tous ont une face obscure, tous ont quelque chose à reprocher à une personne issue du même sang. A l'heure de connaître les dernières volontés du patriarche défunt, André, tout le monde dans cette fratrie a une bonne raison de tuer son semblable, son frère ou sa sœur – il suffit de suivre les péchés capitaux pour savoir ce qu'il en est. En mots choisis, faisant œuvre d'écrivain post-mortem, le dernier écrit du père exacerbe cette pulsion.
A l'insu de la fratrie, c'est donc bien André Belasko, défunt vigneron taiseux et vecteur malgré lui d'un tas de secrets de famille, qui orchestre sa tentative d'exorcisme familial par-delà la mort. L'auteure installe sans peine une tension lourde et inquiétante entre les personnages, mus de façon sincère par l'envie de connaître une vérité fatale. Leur mère s'est-elle suicidée? En instillant le doute, depuis l'au-delà, le personnage d'André Belasko sème la zizanie auprès de personnages particulièrement réceptifs, pour leur malheur.
L'ambiance est au thriller et au huis clos, certes. Mais la romancière joue aussi sur la corde du genre fantastique, recourant de façon classique à l'alcool pour exacerber les perceptions et fabriquer des fantômes qui ne pourraient être que des lubies. Les a-t-on vraiment vus, ces spectres? Le doute s'installe. Et lorsque la maison paraît respirer, avec ses murs qui bougent tels des poumons, le lecteur s'inquiète franchement, comme dans un roman de Stephen King. Une telle hallucination est-elle la vérité, ou n'est-elle que l'effet d'une substance psychotrope?
Là, il est à noter que de façon astucieuse, l'écrivaine fait de "La Casa" un personnage à part entière, qui va jusqu'à s'exprimer dans le prologue et l'épilogue du roman. Le lecteur intègre ainsi à la famille cette demeure signée Frank Lloyd Wright, et il peut aller jusqu'à lui prêter un rôle actif dans le drame qui se noue dans "Le sang des Belasko". La romancière revisite ainsi, avec adresse, le motif classique de ces maisons qui portent en elles l'histoire de ceux qui l'ont habitée. Quitte à se trouver hantées.
Alors? "Le sang des Belasko", c'est le sang de la terre lorsqu'on pense au vin délicieux cultivé par André Belasko – un chouette côtes-du-Rhône, sans doute. Mais c'est aussi le sang maudit de la famille, versé en luttes fratricides. Certes, la romancière construit de toutes pièces l'hypothèse du "gène pourpre", développée par un imaginaire Edgar Howard. Mais elle avance sur les brisées d'une hypothèse vertigineuse, posée pour de vrai dans le monde scientifique pur et dur: celle du gène de la violence.
Les pages vont vite, les chapitres sont brefs: "Le sang des Belasko" se lit rapidement et a de quoi captiver un lectorat amateur d'histoires fondées sur les secrets de famille les mieux gardés. On y trouve de la tension, des rebonds à la fin de chaque chapitre ou presque. Mais qui tient les ficelles? Comme à son habitude, l'option fantastique laisse la porte ouverte aux incertitudes, jusqu'au bout...
Chrystel Duchamp, Le sang des Belasko, Paris, L'Archipel, 2021.
Lu également par Alex, Alexa, Aude, Aurélie, Bepolar, Cannetille, Cannibale Lecteur, Carnet de lecture, Carobookine, Cassiopée, Catherine Perrin, Eve-Yeshé, Grâce Minlibé, Happy Manda Passions, Ibidouu, Jess Swann, Ju, K79, Ladybooks, La lectrice dyslexique, Laura Heurteloup, Le Monde de Marie, Les rêveries d'Isis, Lettres & Caractères, Light And Smell, Lisou, Litote, L'œil noir, Ma voix au chapitre, Musemania, Myarosa, Nath, Pat0212, Rose, Sam, Sanguine, Sélénya, Sharon, Sur le fil des mots, Valmy Voyou Lit, Vanessa, Yvan.
Les autres titres de Chrystel Duchamp:
- 47° 9' S 126° 43' W, Saint-Etienne, Le Miroir aux nouvelles, 2014. Desins d'Eric Barge.
- Duellistes, Veauche, Eastern Edition, 2014, avec Sébastien Bouchery.
Mon préféré de l'auteure.
RépondreSupprimerUn super moment de lecture pour moi aussi, c'est un huis clos implacable.
SupprimerBonne semaine à toi!