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lundi 30 mai 2022

Laurence Cossé, quand les écrivains s'arrêtent

Laurence Cossé – Voici de quoi conjurer le mauvais sort des plus ou moins jeunes écrivains, celui qui va les pousser à renoncer à leur vocation: signé Laurence Cossé, "Vous n'écrivez plus?" est un recueil de nouvelles qui évoque les destins singuliers de ceux qui ont arrêté. Cela, sur la base d'un constat: les catalogues des grandes maisons d'édition sont pleins d'auteurs oubliés, retournés à l'anonymat après deux ou trois titres. Et là, on parle de ce qui se passe dans le petit monde éditorial parisien, où tout se joue sur le moindre faux pas, la moindre armure fendue pour donner à voir l'humain.

"La standardiste" frappe fort en début de recueil, en visant le petit monde des jurys des grands prix de l'automne. Le lecteur suit la difficile révélation publique d'une auteure qui a publié le roman écrit par sa mère standardiste et qui vient d'être primée. Quant à la nouvelliste, elle balade habilement son regard sur les membres du jury, quelque peu désavoués par ce qui passe pour une mystification. Mais les prix littéraires eux-mêmes, ceux qui font les rois à Saint-Germain-des-Prés, ne sont-ils pas eux aussi une vaste comédie? L'écrivaine va la déconstruire, et c'est là l'une des idées récurrentes de "Vous n'écrivez plus?".

Les questions de famille trouvent aussi leur place dans ce que l'auteure trouve déterminant dans les méandres d'une vie d'écrivain. Cela part du pari suicidaire, coup de tête du narrateur de "Les Carnassiers", suggérant que si un enfant accidenté lors d'une noce bien urf s'en sort, ou pas, il n'écrira plus une seule ligne. Mais il y a aussi des démarches qui viennent de plus loin, par exemple cette envie qu'a un fils de plaire à son père, un prof de lettres peu commode, dans "Le nœud de l'histoire". Cela, sans oublier le virage de carrière du pourtant talentueux Duquesnoy dans "Le plongeur", coupable d'avoir ressorti, pour une nouvelle dans "Le Figaro", une histoire de famille gênante.

Evoquant des écrivaines également, l'auteure glisse la question de ces instants volés au ménage ou au travail pour écrire. Sans dire le mot de "charge mentale", c'est cette question qu'elle soulève. Faut-il se conformer strictement à ses horaires d'écriture ou, comme dans "Moments perdus", partir au secours d'un SDF échoué au bas de son immeuble sur la simple injonction de sa propre fille, qui a un examen à préparer et ne peut donc pas s'en occuper elle-même? Au travers d'une telle nouvelle, la nouvelliste pose la question de la valeur qu'accorde l'entourage d'un écrivain au métier d'écrire.

Au travers des onze nouvelles du recueil, c'est l'idée des jeux de pouvoir qui s'impose comme une constante aux yeux du lecteur. Ces jeux sont protéiformes: un écrivain chevronné qui pourrait recommander une primo-romancière, une journaliste à la merci d'un auteur acariâtre et blasé qui fait sa star, un univers familial hostile tant à l'écrivain qu'à l'écrivaine. L'auteure s'offre le chic de relater le destin des Mémoires d'une vieille dame acariâtre, nommée Danielle (qui a dit "Tatie"?), qui n'intéresseront sans doute personne en cas de publication. Ainsi les manuscrits partent-ils parfois en fumée, avortant les pourtant possibles débuts d'un écrivain.

Flattant la curiosité qui anime chaque lecteur face à l'activité des écrivains, suggérant une république française des lettres bien réelle au travers de faux noms transparents, "Vous n'écrivez plus?" allie le plaisir des mots soigneusement harmonisés à celui de la diversité des contextes: si les intrigues sont constamment marquées par la tension des envies d'écrire contrariées, pour un roman ou pour une œuvre, elles s'installent dans des lieux variés, à la campagne chez un vigneron ("Le coup du lapin", délicieuse nouvelle malgré le petit goût de brûlé qui accompagne sa chute) ou en plein cœur de Paris, dans le souci permanent d'offrir au lecteur des textes gorgés d'un réalisme gourmand.

Laurence Cossé, Vous n'écrivez plus?, Paris, Gallimard, 2006.

Le site des éditions Gallimard.

Lu par Clarabel, Laurence, Les fanas de livres.

2 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas ce livre, mais le titre a tout de suite attiré mon attention. La lecture doit en tout cas être très intéressante, alors je me note le titre et je te remercie pour la découverte !

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    1. Merci pour ta visite et ton commentaire, Mathilde! En effet, c'est un recueil de nouvelles court et attrayant, avec de fines observations d'un certain milieu. De la même écrivaine, également sur le milieu des lettres, il y a aussi "Au bon roman", qui évoque le destin d'une librairie un peu spéciale.
      Bonne journée et bonne découverte à toi!

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