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samedi 22 janvier 2022

Sortir grandie d'un roman. Sans talons.

Valérie Cohen – Vaut-il la peine de rallumer les cendres d'un amour de jeunesse? Oui et non, voudrait-on dire, en faisant chorus avec le roman "Depuis, mon cœur a un battement de retard" de la romancière belge Valérie Cohen. En effet, si la démarche paraît vouée à la déception, elle ne manque pas de faire grandir la femme qui, guidée par les circonstances, s'y adonne.

Cette femme, c'est Emma, personnage central du roman. Sa caractéristique principale? Elle mesure un mètre cinquante et demi, toute mouillée. Cela ne l'empêche pas de mener une vie qu'on pourrait dire heureuse: elle est cheffe d'entreprise, heureuse en mariage, mère d'un ado. Mais au fil de la quarantaine, un amour d'autrefois refait surface chez cette amatrice de cartes postales anciennes. 

Cet amour de jeunesse marquant, c'est Jean-Philippe. Un personnage qui va fonctionner comme un McGuffin, moteur et leurre du roman: l'essentiel du propos est consacré aux manœuvres d'Emma pour retrouver ce Jean-Philippe qu'elle croit reconnaître dans une annonce sur un site de rencontres pour gens mariés. Mais Emma s'avère louvoyante, et l'auteure dit ses doutes, avec justesse. Heureusement, Emma est entourée d'amis qui l'encouragent à aller au bout. Quitte à faire des cachotteries à son mari. Et le lecteur se retrouve agréablement pris au piège de ce jeu de piste jalonné d'e-mails énigmatiques.

En parlant d'Emma, j'indique qu'elle aura grandi au fil du roman. Le mot a son sens: au travers d'Emma, l'auteure évoque la question du rapport d'une femme à son corps, décidément trop petit puisqu'Emma désespère le personnel des commerces d'habits. Elle se sent obligée de chercher des artifices pour se grandir – des chaussures compensées, en l'occurrence, qu'elle met en arrivant au bureau pour se grandir et jouer un rôle, celui de patronne. Un classique, soit dit en passant, et qui n'a rien de spécifiquement féminin: qu'on pense aux talonnettes d'un certain Nicolas Sarkozy... Ce genre d'artifice paraîtra inutile en fin de roman, lorsqu'enfin, Emma sera en paix avec elle-même. 

Plus largement, la question du rapport au corps féminin est posée au travers de l'entreprise qu'Emma dirige, "Les Pépites", anciennement "Pépita", spécialisée dans la confection féminine. Particularité? Jamais elle ne s'adonne à la création vestimentaire pour les femmes à la morphologie typique. Ainsi, si "Pépita" s'adresse historiquement aux séniors, "Les Pépites", repositionnée à la suite d'une avanie à base de malversations et de coucheries malencontreuses, crée des fringues pour les femmes de petite taille. 

Mais il n'y a pas de rapport sain au corps s'il n'y a pas aussi de rapport franc par rapport à soi-même, à son esprit, sans aliénation. Face à une Emma embarquée dans un métier qui lui permet d'oublier un peu facilement ses secrets de jeunesse, l'écrivaine place le personnage de Blandine, dame pipi fanatique de Cristina Cordula et haute en couleur, qui fait figure de porte-parole du gros bon sens, amical au sens fort. Mais il y aura aussi, autour de la patronne, plusieurs amis qui vont la guider vers une vie plus vraie, impliquant de faire le deuil du passé qui ne reviendra pas – le thème du temps qui ne devrait pas passer affleure d'ailleurs en début de roman, en contrepoint, entre autres au travers des rituels immuables du 12 mars chez la vieille Agnès.

C'est ainsi que "Depuis, mon cœur a un battement de retard", un roman peuplé de personnages attachants et originaux, construits avec une grande et surprenante liberté à l'instar d'Alexandra, patronne d'une entreprise de pompes funèbres (un monde de mec, tiens!), adopte peu à peu une tonalité de roman feel-good. Il est porté par une psychologie foncièrement bienveillante, mais qui n'exclut pas une certaine vigueur lorsqu'il s'agit de placer certains personnages face à eux-mêmes. Et si le début peut paraître lent, force est de relever qu'une fois adopté, le petit monde créé par la romancière, construit autour des rues aux noms sympathiques d'une grande ville imaginaire, ne peut que séduire par son esprit émancipateur, couronné d'un soupçon d'humour.

Valérie Cohen, Depuis, mon cœur a un battement de retard, Paris, Flammarion, 2019.

Merci à Argali pour cette découverte, à la suite d'un concours qu'elle a organisé sur son blog!

Le site de Valérie Cohen, celui des éditions Flammarion

Lu par ArgaliCarnet de lectureEntre deux pagesIvre de Livres, Nath.

4 commentaires:

  1. Je suis ravie que tu es apprécié cette lecture. Et merci beaucoup pour ton retour.

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    1. Encore une fois, merci à toi de m'avoir fait parvenir ce roman, qui m'a valu de bonnes heures de lecture!
      Bonne soirée et bonne semaine à toi.

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  2. Que tu ais apprécié. Quelle horreur !

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