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vendredi 5 novembre 2021

Cent millions de francs, quel fromage à partager...

Joël Cerutti – Oubliez le western spaghetti, c'est l'heure du thriller raclette! Ça fond sous la langue, c'est amusant, il y a du fromage à gogo, il y a même un peu de religieuse: avec "Mais des choses pareilles!", l'écrivain et journaliste Joël Cerutti jongle avec les clichés rattachés au Valais pour créer un univers généreux en drôlerie, façon déglinguée et gourmande. Qu'on en juge: les Alpes valaisannes partagent avec l'emmenthal l'appétissant privilège d'être pleins de trous. Mais ceux des montagnes suscitent de sacrées convoitises.

Tout commence avec la présentation de trois jeunes gars en mauvaise posture, menacés par un quatrième larron. Six constats concluent le prologue, l'un d'entre eux, celui des pieds dans le béton et de la fosse à purin, s'avérant plutôt métaphorique. Le lecteur comprend que les personnages sont dans la merde – et hop, il s'interroge: comment en sont-ils arrivés là? Et le voilà ferré.

Un richou, une fine équipe, une vengeance

L'intrigue de "Mais des choses pareilles!" tourne autour d'un casse, perpétré avec zéro mort. C'est vrai quoi, les vivants sont bien plus amusants! Un certain Jean-François Kamerzin, dit JFK2, a en effet cent millions de francs suisses planqués dans un coffre-fort hyper protégé. Ce richissime personnage ne manque pas d'évoquer, caricaturalement, un certain Christian Constantin, mais toute ressemblance est sans doute fortuite. 

Reste que l'auteur fait de ce bonhomme, margoulin enrichi durant la période de boom touristique du Valais dans les années 1970, limite mafieux, s'est fait pas mal d'ennemis. Quatre d'entre eux, des jeunes, joueront le jeu de la revanche. Cent millions, quand même...

Ces quatre jeunes, trois gars et une fille, c'est une fine équipe. L'auteur excelle à la constituer en jouant sur les complémentarités, sans s'embarrasser de questions de genre: c'est Anna Da Silva Coelho Costa Maria qui est l'as de la mécanique dans l'équipe, par exemple. Pour l'écrivain, c'est l'occasion de relater comment s'en sortir quand on est portugaise de deuxième génération et qu'on veut faire un métier de mec dans un canton resté conservateur dans ses mentalités. 

L'équipe, c'est aussi Joerg Kalbermatten, "dadais dégingandé", champion des explosifs et des proverbes improbables. Avec lui, l'auteur exploite à fond le cliché du Haut-Valaisan sauvage qui parle un dialecte alémanique que personne en Suisse ne comprend. Avec Samuel Rinaldi, l'auteur décrit le cerveau de l'opération. Quant à André Bourban, c'est le bonhomme à l'aise en montagne. Encore un stéréotype avec lui: celui du Valais mystique, décrit en d'autres pages comme un "Tibet des Alpes" par Slobodan Despot. En l'occurrence, ça peut jouer dans une intrigue brindezingue, qui se soucie davantage d'humour que de rigueur.

Humour et cinéma

Cet humour s'installe peu à peu au fil du récit, d'abord au travers de comparaisons improbables et de formules astucieusement trouvées: l'auteur ne recule pas devant l'esprit potache. Il y a du San-Antonio dans sa verve, d'autant plus qu'à l'instar de Frédéric Dard, celui qui raconte "Mais des choses pareilles!" n'hésite pas à interpeller son lecteur, en le tutoyant sans ménagement pour installer une connivence, renforcée encore par une écriture constamment familière. 

Il se révèle visuel aussi, cet humour, au gré des situations. Rien d'étonnant: l'écrivain paraît passionné de cinéma et émaille son propos d'allusions astucieuses que les lecteurs repèreront sans peine. Un exemple? Robby le Robot (p. 127) semble sorti du film "Planète interdite" de Fred McLeod Wilson pour venir hanter une discothèque valaisanne avec ses rituels. Un autre truc bête mais qui marche? Lorsque l'auteur lâche "Oubliéé..., digéréé..." (p. 230), difficile de ne pas penser à "Libérée, délivrée" de la Reine des Neiges, même si ça n'a rien à voir, ou si peu – peu importe, trop tard: le lecteur a la chanson dans l'oreille. Enfin, la remontée d'une conduite forcée en Steyr-Puch Haflinger modifié a un côté James Bond, même si l'on ne sait pas dans quel film c'était – je penche pour "Moonraker".

Le thème rare du comique troupier façon romande

Haflinger modifié? Oui: Joël Cerutti s'aventure dans un sentier curieusement peu pratiqué des écrivains suisses romands (si l'on excepte le scandaleux "Saint Georges et le dragon", signé naguère par Mister P et Saint Georges), celui du comique troupier. C'est un paradoxe: tout homme suisse valide est astreint au service militaire, et tout lascar qui a fini son école de recrues a suffisamment de souvenirs pour écrire un roman bien huilé à la graisse de char. 

Or, voilà: "Mais des choses pareilles!" a l'audace de s'aventurer sur ce terrain dans toute sa deuxième partie. Tout y passe, des trucs pour ne pas avoir de cloques lors des marches aux mesures à prendre pour contrer les ronfleurs et les petits sales de la chambrée: une fois que c'est derrière, mieux vaut en rire, et l'écrivain l'a bien compris. Mais au-delà de l'évocation de souvenirs dans un souci de connivence, n'oublions pas le propos. Loin de toute nostalgie gratuite, ce passage par le service militaire s'avère utile pour l'objectif ultime des casseurs: cent millions, putain...

"Mais des choses pareilles!" est, on l'a compris, un thriller alerte et délirant, parfaitement immoral qui plus est, jouant à fond la carte de l'outrance poilante pour avancer, tantôt bien droit, tantôt en titubant, vers son objectif. On y trouve encore un certain Helmut-Olga, présenté comme un personnage surprise, qui rappelle les gnomes à bonnet rouge qui hantent les contes d'antan. L'auteur en fait une sorte de mauvaise conscience narquoise, de négatif savoureux de Jiminy Cricket, utile pour donner un coup de pouce à l'intrigue de temps à autre. C'est que le Valais, terre de tourisme synonyme d'argent facile, est aussi un terroir ancestral gorgé de légendes.

Bon, revenons aux choses sérieuses: y a encore un chouïa de cornalin?

Joël Cerutti, Mais des choses pareilles!, Saint-Imier, Editions du Roc, 2021.

Le site de Joël Cerutti, des Editions du Roc.

Lu par Béatrice Riand, Francis Richard.


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