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lundi 25 octobre 2021

Zhu Wen, tableau d'une Chine kafkaïenne où tout s'achète

Zhu Wen – Paru en 2010 dans sa version française avec la complicité d'une traduction anglaise qui a ouvert la voie, le recueil "I love dollars" a fait connaître l'écrivain et scénariste chinois Zhu Wei à tout un public francophone. Ses livres sont aujourd'hui difficiles à trouver en Chine, libéralisme exacerbé oblige: les livres défilent sur les étals, inexorablement. 

Mais les longues nouvelles, développées comme des novellas, qui composent ce recueil sont révélatrices du contexte de vie qui prévaut même dans les régions les plus reculées de Chine depuis les événements de la place Tian'anmen. Et où le dieu dollar règne – le titre du recueil est un programme. Il vaut d'ailleurs la peine de s'imprégner du contexte, à tout le moins en parcourant la postface de ce recueil, signée Julia Lovell, traductrice de Zhu Wen vers l'anglais et, à ce titre, passeuse clé.

"I love dollars", c'est le titre de la première nouvelle du recueil. Elle cristallise les thèmes qui marquent l'ensemble du livre: l'argent, le sexe, et aussi les traditions chinoises, que l'auteur fait s'entrechoquer dans un esprit grinçant. Voyons le contexte: un jeune homme, écrivain érotomane, va aux filles avec son père, qui a quand même quelques principes: il ne veut pas faire l'amour avec une fille qui pourrait être sa fille, même moyennant argent. L'auteur décrit avec beaucoup de raffinement les relations entre les personnages, dans une constante cynique: tout est vénal, tout se négocie, tout se vend. Le lecteur appréciera d'ailleurs les digressions lexicographiques de l'auteur sur l'idée du dollar vu comme le "bon yuan".

Les nouvelles "Une nuit à l'hôpital" et "Une croisière en bateau" offrent des convergences qui font qu'on ne peut s'empêcher de les rapprocher dans une lecture suivie. Dans ces deux nouvelles, en effet, l'auteur s'éclate en mettant en scène un narrateur entre deux âges aux prises avec toutes sortes de fâcheux des deux genres. S'il se retrouve à veiller un quasi-inconnu très pénible dans "Une nuit à l'hôpital", par exemple, c'est parce que toute la famille proche du patient a de bonnes excuses. Le voilà réduit à se farcir une chambre d'hôpital où la promiscuité est choquante (pour lui) et hilarante (pour le lecteur, qui ne manque pas d'attendre la prochaine tuile...): personnel infirmier peu affable, envies de pisser périodiques et plus ou moins sérieuses, rien n'est épargné. "Une croisière en bateau" suit le même filon avec un narrateur, le même peut-être, qui se farcit une remontée fluviale et tente de s'accommoder, en vrac, d'une allumeuse qui essaie de lui vendre sa nièce, d'une chambrée grassement hilare ou d'un bonhomme très gentil mais qui ne supporte pas qu'on lui mente.

Les nouvelles de "I love dollars" se déroulent dans la Chine profonde, et l'auteur ne manque aucune occasion de souligner des choses vues qui pourront paraître grotesques au lecteur d'ici. Et plutôt deux fois qu'une: dans les chambrées, il se trouve toujours quelqu'un qui ronfle ou qui pue des pieds. Quant aux complications avec le personnel, elles se résolvent le plus souvent avec... une poignée de yuans. Peu importe la couleur du dollar, hein...!

L'écrivain a aussi le talent rare de tirer des histoires riches, longues et cocasses à partir de situations a priori anodines. "Livres, once et viande" est exemplaire de ce point de vue: un soupçon de paranoïa suffit à se demander si le boucher n'a pas trompé ses clients, c'est-à-dire le narrateur, encore une fois, et sa copine, légèrement soupçonneuse. Cela confine à l'absurde kafkaïen avec "Ah Xiao Xie!", histoire d'un gars qui démissionne de son entreprise... mais y reste coincé pour diverses raisons administratives. Cette dernière nouvelle trouve d'ailleurs place dans une usine électrique – un monde que l'auteur connaît personnellement pour y être passé aussi. Et enfin, "Les roues" est l'occasion d'évoquer les vélos qui roulent en Chine, mais aussi une forme de criminalité, tout en développant une philosophie d'amusante pacotille sur ce que les roues ont apporté à l'humanité. Ou pas.

Le ton de "I love dollars" est grinçant, et la traduction de Catherine Charmant en restitue très bien, par-delà quelques imperfections de plume, le caractère mordant et faussement désinvolte. Il n'y sera guère question de politique, mais les questions de société y sont omniprésentes: on rit beaucoup en lisant "I love dollars", mais on réfléchit aussi face à ce monument qui dit l'absurde d'un monde où tout se négocie et où chacun est invité à s'enrichir, dans un esprit froidement pragmatique, et à se démerder pour améliorer son niveau de vie. Impertinent, glaçant par moments, toujours flamboyant, "I love dollars" est un recueil succulent qui témoigne d'un certain monde avec une remarquable finesse d'observation, porté par un humour de situation impeccablement travaillé.

Zhu Wen, I love dollars, Paris, Albin Michel, 2010. Traduction du chinois par Catherine Charmant, préface de Julia Lovell.

Le site des éditions Albin Michel.


2 commentaires:

  1. Tu me rends très curieuse avec ce titre. je me le note !

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    1. C'est à découvrir en effet! L'auteur décrit un monde complètement dingue. Merci de ton passage et bonne journée!

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