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samedi 10 juillet 2021

Véronique Olmi, une vie en décalage

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Véronique Olmi – Trouver sa place en jouant au théâtre, ou en retrouvant les cendres d'un amour d'autrefois? Tout cela, au risque de se perdre, de souffrir encore? Tel est le lot de la narratrice de "J'aimais mieux quand c'était toi" de la romancière et dramaturge Véronique Olmi. Une narratrice qui se raconte, occupant toute la place dans ce roman.

Elle s'appelle Nelly Bauchard, la narratrice. Comédienne de théâtre, elle vit constamment en décalé, à commencer par ses horaires de sommeil. Son identité est toujours constamment en décalage à force de vivre les vies des personnages qu'elle incarne sur scène. Cette vie en décalé a quelque chose d'atavique: Nelly est la fille d'un homme homosexuel refoulé par convenance sociale – une forme de théâtre, tiens.

Et puis, le fait de jouer les "Six personnages en quête d'auteur" de Pirandello suggère que son identité, en plus d'être en décalage, a quelque chose d'incomplet, de même qu'un personnage de fiction n'existe pas sans un auteur pour l'animer. En contraste, le "je" de la narratrice est multiple, reflet de ses vies.

Cela aboutit dans cette possibilité de "devenir quelqu'un", portée entre autres par le personnage de Joseph, correspondant aimable. Possibilité qu'on sent déjà un peu flétrie: "J'ai quarante-sept ans et j'attends toujours que ma vie commence", dit Nelly (p. 32). Cela, en dépit d'un accomplissement apparent: après tout, Nelly Bauchard est mère de deux enfants et pratique un métier qui fait rêver.

Qui fait rêver... et que le récit s'attache à démystifier en dévoilant les contraintes techniques qu'il implique, une vie sociale où les souvenirs s'expriment, déformés, lorsque les comédiens sont entre eux. La démystification passe aussi par les activités très ordinaires que vit Nelly: faire des lessives, oublier des choses comme une mère (alors que jouer du théâtre, c'est ne pas oublier son texte).

Le théâtre est-il soluble dans l'amour? La narratrice en fera l'expérience en forme de choc, et l'auteure crée une boucle pour souligner l'importance du sujet: on retrouve en page 71 la Nelly qui attendait toute la nuit sur un quai de gare au tout début de l'ouvrage. Ce qui débouche sur un rapprochement avec Paul, amour d'autrefois, présence bouleversante dans le public.

"J'aimais mieux quand c'était toi" est un portrait littéraire qui plonge dans le monde des sentiments, mais dit aussi le monde du théâtre à la manière d'une femme qui en connaît les rouages et les émotions côté scène et côté coulisses. Pour le dire, la romancière cisèle admirablement ses phrases, dans le souci constant de leur donner un rythme, une scansion qui donne envie de les lire à haute voix, de s'y attarder ou de haleter derrière elles. 

Véronique Olmi, J'aimais mieux quand c'était toi, Paris, Albin Michel, 2015.

Le site des éditions Albin Michel.

Lu également par Achille, CanelkiliCaroline DoudetClarabelCoincés chez nous, Emile Cougut, FleurGéraldine, Léa Touch Book, MicMéloNebel, Sans connivenceSybelLine.

2 commentaires:

  1. Merci pour cette chronique complète qui donne envie de découvrir cette lecture.
    J'ai Bakhita de l'autrice dans ma PAL et j'ai hâte de découvrir sa plume.

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    1. Avec plaisir, merci d'être passée sur mon blog! C'est une bonne lecture en effet - et "Bakhita" m'intéresse aussi. J'essaierai de mettre la main dessus, et je t'en souhaite une bonne découverte!
      Je viens d'ajouter ton blog à ma bloguerolle dynamique, et aurai plaisir à le suivre. Bonne journée!

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