Pages

lundi 26 juillet 2021

Intellectuels et idées choc, l'enquête d'Eugénie Bastié

Mon image

Eugénie Bastié – Bonne nouvelle, si l'on en croit Eugénie Bastié: le choc des idées a repris en France, avec vivacité, et les intellectuels ne manquent pas de faire part de leurs considérations. Mais y a-t-il débat? Voilà une réalité actuelle que chacun perçoit s'il se met à l'écoute du fracas du monde, et que l'essayiste et journaliste détaille de façon raisonnée, argumentée, dans "La guerre des idées". Un ouvrage qu'il est possible d'aborder seul, bien sûr, mais qui vient aussi augmenter l'essai plus ancien "Pouvoir intellectuel" d'Emmanuel Lemieux (2003).

La figure de l'intellectuel est donc toujours présente. L'auteure dessine d'abord sa généalogie, partant de l'affaire Dreyfus et évoquant cette idée de Jean-Paul Sartre qui dit que l'intellectuel est "celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas". Depuis Sartre, cependant, l'auteure identifie une évolution des profils, allant d'intellectuels universels à des intellectuels sectoriels, intervenant spécifiquement sur telle ou telle question. Bien entendu, elle questionne aussi la notion d'engagement de l'intellectuel, voire le mélange des genres, par exemple à l'université.

La question de l'intellectuel forcément de gauche hante aussi les pages de "La guerre des idées", avec une tentative de contrepied: les réacs ont-ils gagné la bataille des idées? L'auteure apporte une réponse intermédiaire, nuancée, suggérant que des personnalités cataloguées à droite telles qu'Eric Zemmour ou Philippe de Villiers sont certes de bons clients, qu'ils ont peut-être remporté la bataille du réel. Mais elle évoque également le retour d'une certaine gauche, éclatée et assumant son sectarisme. 

En particulier, elle offre une analyse critique, bien étayée, des rapports entre Edouard Louis, Geoffroy de Lagasnerie et Didier Eribon, ainsi que de leur positionnement. Par la voie du portrait, elle révèle certaines personnalités qui pourraient, à l'instar de Michel Onfray, se rattacher à une forme de populisme. Enfin, à partir d'exemples de l'actualité des dernières années, l'essayiste fait le constat d'un éclatement du monde des idées, d'"archipellisation" pour reprendre le mot de Jérôme Fourquet, avec des personnes qui refusent de parler avec d'autres ou les censurent, et du retour de médias polarisés et qui s'assument tels.

Pour terminer, l'auteure approfondit quelques thématiques de fond telles que la question du roman national et de la narration de l'Histoire, qu'elle considère comme typiquement française. Elle déconstruit aussi certains questionnements liés au féminisme actuel et à la théorie du genre, ainsi que le retour des questions de race à l'université. Cela, sans oublier un réquisitoire vigoureux contre une sociologie victime d'un constructivisme outrancier, héritière d'un Pierre Bourdieu caricaturé.

Le relativisme finit-il par n'être que la vérité de l'un contre celle de l'autre? Finit-il par dissoudre le corps social au gré d'aspirations corporatistes voire individuelles? Les libéraux de la fin du vingtième siècle peinent à exister aujourd'hui, relève l'essayiste, et l'universalisme apparaît remis en question, aussi par les jeunes générations. Empruntée au philosophe britannique Roger Scruton, la conclusion de cet essai documenté, entre ombres et lumières, nourri d'entretiens aussi, est que la mission de l'intellectuel du vingt et unième siècle sera de "restaurer les fils de cette conversation brisée" – celle qui doit exister entre penseurs frottant leur cervelle à celle d'autrui plutôt que de privilégier l'anathème et la censure. Ambitieux!

Eugénie Bastié, La guerre des idées, Paris, Robert Laffont, 2021.

Lu par AnnsteinGilles Pudlowski, Raoul de BourgesThierry GodefridiWodka.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Allez-y, lâchez-vous!