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jeudi 15 avril 2021

Un polar au vert, entre douceur et violence

Charles Aubert – Oui, c'est un roman policier. Oui, il y a de la violence. Mais le romancier Charles Aubert, auteur de "Vert Samba", réussit curieusement à conférer à son intrigue un climat de douceur peu commun dans le genre littéraire dans lequel son livre s'inscrit. Au début, ça surprend, ça donne l'impression d'être un peu mou. Mais laissons l'auteur raconter...

"Vert Samba" s'inscrit dans une saga portée par le personnage de Niels, retiré dans le Hérault où il fabrique des leurres pour les pêcheurs à la mouche, dans un esprit qui vise à réconcilier l'art halieutique avec l'envie de laisser les poissons vivre. Saga? Il y a eu "Bleu Calypso" et "Rouge Tango", il y aura "Rose Madison", les titres de ces romans étant les noms des appâts conçus par Niels – une couleur, une danse. Et l'on sent que "Vert Samba" s'inscrit dans un grand tout: les flash-back font office de rappels, et les éléments que l'intrigue laisse en suspens programment une suite.

En parlant de pêche, on pense à "De Marquette à Veracruz" de Jim Harrison ou, plus proche de nous, au magistral "Ne pousse pas la rivière" de Jacques-Etienne Bovard, deux romans, qui parmi d'autres, ont évoqué la pêche à la mouche. On conçoit que c'est dans cette tradition que "Vert Samba" s'inscrit, sans démériter. L'auteur y introduit la pratique de la pêche no-kill, suggérant, au travers de deux de ses personnages, qu'elle a même des vertus pédagogiques pour les poissons.

Mais c'est une autre pratique aquatique, l'ostréiculture, qui constitue le théâtre de "Vert Samba". C'est en effet chez un ostréiculteur qu'on va trouver deux cadavres. Pas d'huîtres, pensez, non: d'hommes. Tout le monde s'interroge, on mène l'enquête. Les plus ou moins fausses pistes sont l'occasion pour l'auteur de montrer des univers sympathiques mais exclusifs tels qu'un groupe de gitans, suspecté d'emblée. 

L'enquête est même double: certains personnages la mènent pour le journal qu'ils animent en ligne, alors qu'un autre, l'agent de police Malko, ne fait qu'exercer son métier. Tiraillée de façon cornélienne entre le cœur (les amis) et la raison (le métier), sa loyauté est du reste mise à l'épreuve au cours de la résolution de l'énigme posée par les assassinats. Et pour le dur, l'enquête va mener vers un suspect bien marqué à droite, légionnaire costaud, candidat à la mairie de Montpellier traînant un passé sulfureux qui inclut peut-être un viol – c'est un peu convenu, mais ça fonctionne parce que l'auteur lui donne des raisons crédibles d'agir et lui confère, à sa manière simple et fine, un statut de victime.

Amis, ai-je dit? C'est justement de leur côté qu'il faut rechercher la douceur apparente de "Vert Samba". D'entrée de jeu, en effet, le lecteur est plongé dans une équipe d'hommes et de femmes de deux générations qui apprécient les rituels d'une vie douce ponctuée par les apéritifs et les restaurants. Une apparence rassurante, à laquelle on aime se raccrocher comme une référence, mais qui masque quelques tensions portées par des personnages au parcours torturé: un vieil Irlandais nomade qui n'a pas toujours sa tête, une jeune femme qui attend d'un homme ce qu'il ne peut peut-être pas lui offrir, alors que les sentiments sont bien là, un chef cuisinier qui a tout plaqué pour vivre autrement. Concernés par l'intrigue criminelle, ils devront aussi faire face à leurs propres démons.

"Vert Samba" apparaît dès lors comme le lieu où se retrouvent des personnages marqués par la vie, chacun à sa manière, pour le meilleur, pour le pire et pour ce qu'il y a entre deux. Et si l'auteur ne recule pas devant la violence inhérente au genre policier, il sait aussi faire preuve de tendresse face à tous ces personnages, les odieux, les adorables, et tous ceux qui ont le culot de voir le monde à travers un regard différent qui – on pense à Tao et Nathalie – fait d'eux des poètes. 

Charles Aubert, Vert Samba, Genève, Slatkine & Cie, 2021.

Le site des éditions Slatkine & Cie.

Lu par Des livres mon universEmmanuelle Caminade, Evlyne LeraultFloJérôme Vincent, MHF, Ô GrimoireYvonS.

6 commentaires:

  1. Je ne suis pas une grande lectrice de policiers mais c'est fou comme à chacune de tes chroniques tu me fais croire le contraire. Ta façon de mettre en avant cette lecture est superbe !

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    1. Merci Aurélie! :-) Celui-ci a bel et bien une intrigue policière, avec la violence qu'elle peut renfermer, mais elle est contrebalancée par l'ambiance à la fois amicale et complexe qui marque les relations entre les personnages "gentils" du roman - une fine équipe dont c'est le troisième roman. "Un polar doux", dit l'éditeur en quatrième de couverture...

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  2. Si je ne l'avais pas déjà lu, j'aurais envie de le lire ...
    Je conseille de lire les 3 dans l'ordre même si chaque livre est autonome.

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    1. Merci pour le tuyau! Je n'exclus pas de revenir à cet auteur.
      Et merci de votre visite par ici! Je vous souhaite un très bon dimanche.

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  3. Réponses
    1. Très beau titre, en effet, surprenant mais constant dans la construction. L'auteur en joue, avec des idées comme "Bleu Calypso" ou "Rouge Tango". La suite pourrait être "Rose Madison", et il y a de quoi s'en réjouir.

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