Pages

dimanche 21 février 2021

Deux femmes suisses au Nicaragua, entre sororité et choc des cultures

Danielle Coquoz – Le Rio Coco, vous connaissez? C'est le fleuve qui sépare le Honduras du Nicaragua. Peut-être en connaissez-vous le nom originel, à lui donné par les Amérindiens Miskitos, qui donne son titre au témoignage de Danielle Coquoz: "Rio Wangki". L'auteure y relate les mois qu'elle a passés en Amérique centrale dans le cadre d'une mission un peu folle au chevet des Miskitos, qui sont une population déplacée pendant des années 1980 marquées par la guerre civile. L'idée? Leur faire retrouver leurs terres d'origine. Cela, sous l'égide du CICR.

Le lecteur est vite happé par la musique que l'auteure installe. Cette musique, c'est celle qui installe de l'humour au fil de mots. L'auteure n'hésite pas à rire d'elle-même et de sa propre aventure, presque quarante ans plus tard. Il en résulte un ton résolument familier qui souligne le talent naturel de conteuse de l'auteure. Un talent qui s'exprime tant dans l'anecdote que dans la relation des enjeux d'une mission assez lourde, voire dans les rappels historiques, qui ne sont jamais ennuyeux.

Alors oui: il y a des choses sérieuses dans "Rio Wangki". L'auteure insiste régulièrement sur l'impératif de neutralité auquel le CICR doit rigoureusement se soumettre lorsqu'il intervient en des lieux où la guerre sévit – et en l'espèce, ce témoignage plonge dans les temps où les Contras et les Sandinistes se font face au Nicaragua. Cette neutralité transparaît dans "Rio Wangki", qui refuse de prendre parti pour les uns ou pour les autres. Qui plus est, en relatant une page d'histoire des Miskitos, il observe, avec toute la distance voulue, une communauté autochtone qui, pour des raisons historiques bien expliquées, penche vers ceux qui parlent anglais. Et jamais l'auteure, strictement descriptive, ne condamne ni n'approuve ce parti pris.

"Rio Wangki", c'est une aventure humaine et interculturelle à plus d'un titre, et c'est au fil des anecdotes que l'auteure le révèle. L'auteure se met en scène tantôt face aux Miskitos dont elle découvre les coutumes peu à peu, tantôt face aux latinos qui seront ses collaborateurs, qu'ils soient capitaines de navire, responsables logistiques ou bénévoles humanitaires. Un jour, il faudra virer séance tenante un homme qui utilise la nourriture livrée par le CICR pour monnayer des faveurs sexuelles auprès de femmes contraintes par la misère à cette extrémité. Un autre, l'auteure découvre les noms des Miskitos, pittoresques ou inquiétants. Mais le choc des cultures vécu sous les assauts des moustiques et les déluges démentiels, n'est pas exempt de rires ni de sourires. 

Enfin, en évoquant sa collaboration avec sa collègue Andrée Juvet, l'écrivaine relate une véritable complicité, pour ne pas dire sororité, face à l'adversité d'un monde hostile – tantôt à cause des hommes, tantôt à cause de la nature. On se soutient moralement lorsque le moral flanche, on va jusqu'à se sauver la mise l'une l'autre, dans un esprit d'équipe réellement vécu. Cela va jusqu'aux rituels, par exemple les repas bien arrosés entre copines dans ce bistrot "un rien chicos" de Puerto Cabezas, où des crocodiles nagent dans un aquarium, face aux clients. Et deux femmes en mission, c'est un monde de particularités que l'auteure relate: nécessité d'être ferme lorsque ça menace de sortir des rails, mais aussi possibilité de s'ouvrir des portes sur des choses aussi triviales qu'un besoin pressant sur le territoire du Honduras, en principe interdit d'accostage à la mission.

L'auteure est consciente qu'en tant qu'envoyée du CICR au Nicaragua, elle est le maillon d'une chaîne: d'autres reprendront en main le projet de relation d'une population qu'elle a lancé, de même qu'elle aura peut-être été la continuatrice d'autres projets. Sincère et joyeuse, elle relate avec talent une tranche de vie aux allures parfois folles ou acrobatiques où l'adversité comme les soutiens prennent des formes inattendues.

Danielle Coquoz, Rio Wangki, Lausanne, Plaisir de lire, 2021.

Le site des éditions Plaisir de lire.


5 commentaires:

  1. Très bonne critique qui résume bien l atmosphère de cette tranche de vie mise en pages par ma soeur.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci de votre passage par ici! J'ai apprécié ma lecture, et espère que "Rio Wangki" aura du succès!
      Je vous souhaite une bonne journée.

      Supprimer
  2. Comment te dire,ma si chère compa(nom donné en abrégé à compagnerã) tout ce que ton magnifique témoignage a suscité d'émotions en moi....les larmes ont été fréquentes à la lecture de tous ces souvenirs partagés..le boss,Gianni,disparu depuis,a été présent tout au long de ma lecture,le grand barbu comme je l'avais surnommé,vous deux dont L'Amitié a été indéfectible,et l'est toujours!
    Ton récit,ma si chère compa,est tellement vivant que durant ma lecture,je croyais être à nouveau là-bas,avec toi.
    Deux femmes jusque-boutistes,un rien téméraires,aussi différentes dans nos histoires personnelles,mais là-bas,au fin fond de nulle part,nous étions soeurs dans l'adversité comme dans les moments plus épiques,l'une faisant totale confiance à l'autre,une confiance sans faille.
    Alors quand tu as dû être rapatriée dans un état pitoyable,j'ai vécu un véritable deuil...comment poursuivre sans toi?,recommencer la mission Rio arriba (partie haute du Rio Coco) avec Guy,un type épatant,dont le seul défaut était de ne pas être Toi ma chère compa?
    Nous avons réussi à surmonter cet épisode,je ne l'oublie pas le Guy,que j'ai surnommé la Guytoune,et puis à mon tour de rentrer à Genève plus tard et de t'y retrouver.
    L'Amitié s'est forgée tout au long de cette mission ma chère compa,je te remercie du fond du coeur de ce livre si percutant de réalisme,d'humour et d'authenticité,où tu m'as laissé une belle place,merci Dani. Andrée Juvet






    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci de votre retour émouvant partagé ici, Andrée Juvet! :-)

      Supprimer

Allez-y, lâchez-vous!