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vendredi 7 février 2020

Pierre-Jean Rémy, un soupçon de Balthus

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Pierre-Jean Rémy – Une confidence pour commencer: nous avions notre anniversaire le même jour, Pierre-Jean Rémy et moi. Il était un peu plus âgé, certes: il est parti pour un monde meilleur en 2010. Dans ce qui me paraît presque une autre vie, j'ai eu le plaisir de lire, de lui, les deux aventureux "Orient-Express", ainsi que "Etat de grâce", chroniqué le 14 avril 2001 pour le journal "La Liberté". J'ai donc vécu ma lecture toute récente de "Le plus grand peintre vivant est mort" comme un retour à un auteur attachant et longtemps délaissé. Cela, avec le souvenir de l'artiste-peintre Balthus, qui a fini ses jours non loin de chez moi, à Rossinière, et dont l'œuvre m'a toujours paru troublante et admirable.


En effet, Mattheus, artiste-peintre et personnage principal de "Le plus grand peintre vivant est mort", s'inspire librement de Balthus. L'écrivain prend soin de décrire les tableaux de Mettheus. Et comme par hasard, ce sont les images des œuvres de Balthus qui viennent à l'esprit du lecteur, mettant en scène des jeunes filles dans des attitudes équivoques: c'est Balthus, ou ça pourrait l'être. Ce qui interroge sur le rôle du modèle et le regard de l'artiste. Les lieux ont aussi quelque chose de transparent: le Chalet Blanc du roman apparaît comme une réplique du Grand Chalet qu'occupait Balthus à Rossinière. Enfin, s'il fallait encore une preuve, la jaquette présente un autoportrait de Balthus. Preuve? Oui, sauf que le narrateur du roman attribue ce tableau à quelqu'un d'autre, une femme... Mattheus, donc Balthus auraient-ils sous-traité leur travail?

Le prologue de "Le plus grand peintre vivant est mort" a quelque chose d'extraordinaire et d'évidemment juste dans son caractère visuel: d'emblée, le lecteur est plongé dans un tableau, celui des funérailles de Mattheus, ce "plus grand peintre vivant". Il est impossible de ne pas penser au tableau de Gustave Courbet et à son "Enterrement à Ornans" en voyant ces funérailles aux airs de dîner de têtes, d'autant moins que Courbet et Ornans sont cités. Oui, une foule s'expose là, d'où des histoires vont émerger. Une note d'onomastique? Mattheus, c'est un Wolkinski, avec un soupçon de noblesse malgré une naissance pour le moins libre. Ce qui rime avec Klossowski de Rola, le nom véritable de Balthus. Mais Wolkinski fait immanquablement penser à Wolinski, et le correcteur lui-même s'y est trompé dans l'édition que j'ai lue. Une allusion à un dessinateur de presse pour rappeler que tout cela ne devrait pas être pris trop au sérieux? Ce serait un chouette trait d'ironie.

Voyons plus avant: le narrateur est un journaliste désireux d'écrire la biographie de Mattheus. Dès lors, les anecdotes affluent, en ordre plus ou moins régulier. Solennel et mondain, le début peut apparaître assez touffu: l'auteur parachute beaucoup de noms, laissant au lecteur l'impression d'être perdu dans la foule d'un cocktail de haut vol. Ce jeu sur les noms, ce name-dropping flamboyant, toutefois, est important: c'est là que se brouille la frontière entre fiction et histoire. En effet, l'auteur prend soin de faire se côtoyer les personnages majeurs de la Belle Epoque et des années folles, quelques figures mineures et méconnues et quelques figures fictives qui sont le moteur du roman autour de Mattheus: un poète allemand, quelques amantes, des protecteurs – et le pénible Michael Kesnar, rival du narrateur puisqu'il projette aussi d'écrire une biographie de Mattheus. Enfin, il y a quelques autres personnages pas toujours finauds qui se retrouvent au bistrot pour échanger des anecdotes sur Mattheus.

Peu à peu cependant, en particulier dans la deuxième partie du roman, la plus ample et la plus directe, le propos se structure et prend la forme d'un récit biographique dense et troublant. Attentif à l'œuvre de Mattheus, l'auteur s'intéresse aussi à ses rapports avec les femmes de son entourage, ainsi qu'aux hommes. Il met aussi en scène le frère du peintre, qui fonctionne différemment et n'aura pas le même succès – mais paraît garder un regard lucide sur Mattheus La vie de Mattheus, dont l'auteur dresse un portrait littéraire précis et pointilliste, s'avère aussi voyageuse, entre autres vers l'Italie et la Chine, cette Chine porteuse d'histoires que Pierre-Jean Rémy, diplomate qui a vu du pays, a évoquée dans "Le Sac du Palais d'été".

Balthus ou Mattheus? On aimerait dire l'un et l'autre, tant l'auteur se plaît à jouer un jeu de masques entre la biographie d'un personnage réel et celle d'un homme de fiction. Allant jusqu'à changer le nom de son modèle, faisant usage d'une langue soignée de haut vol, l'auteur suggère que vue par des tiers, la vie d'un homme pourtant bien réel, artiste ou non, devient toujours une fiction, nourrie par l'accumulation des regards croisés, concordants ou contradictoires jusqu'à constituer un portrait aux amples dimensions.

Pierre-Jean Rémy, Le plus grand peintre vivant est mort, Paris, Seuil, 2007.

Le site des éditions du Seuil.

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