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lundi 26 août 2019

Claudine Houriet, des gens comme nous

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Claudine Houriet – Vingt et une nouvelles sur cent soixante pages: paru dans la collection "Hors-d'œuvre" des éditions Plaisir de lire, "Tout au long de nos soifs", de Claudine Houriet, apparaît comme une brassée de mignardises. Celles-ci mettent toujours en scène un petit nombre de personnages, hommes ou femmes, qui sont autant d'êtres aux prises avec la vie d'aujourd'hui.


C'est d'ailleurs ce qui frappe d'emblée le lecteur: l'auteure réussit à dessiner des personnages qu'on dirait ordinaires, anonymes, tout en leur donnant, à chacun, un supplément de caractéristiques qui les rend uniques et suffisamment intéressants pour vivre l'espace de quelques pages. Le lecteur croisera donc au fil des pages quelques enfants, un chef d'entreprise, une handicapée surnommée "La Joconde", plusieurs aînés et aussi quelques personnages peu amènes. Des personnages auxquels on s'attache, et l'auteure y invite son lectorat: "nos soifs", ce sont celles des personnages, mais aussi celles de l'écrivaine et de celle ou celui qui lit. Un "nos" inclusif, en somme!

Les ressorts de ces nouvelles sont divers, et revisitent parfois les formes classiques. Ainsi, le fantastique est revu l'aune du refus typiquement enfantin d'accepter le désenchantement, que ce soit dans "La maison des fées", où Elisa croit dur comme fer à l'homme invisible, ou dans "Les Voix", où un garçon relate un incroyable souvenir de vacances. Incroyable? Pour le coup, l'auteur choisit là de donner une explication rationnelle à ce qui s'est avéré un malentendu, accentué par un personnage d'enseignant inflexible.

Lorsqu'elle met en scène des personnes âgées, l'auteure ne manque pas de le faire avec un soupçon de nostalgie face au temps qui passe et qui change les choses, ou les fait disparaître. On pense à cette grande lectrice qui, dans "Une vieille dame dans son jardin", retrouve un de ses anciens étudiants caché dans un recoin de sa maison, et l'invite à lire pour elle, qui n'en est plus capable. Soit dit en passant, parler de lecture au lecteur, c'est le flatter en le prenant par les sentiments... On se souvient aussi de "La Mort du pré", qui met en scène une dame qui regarde par la fenêtre et voit la nature inexorablement remplacée par des constructions. Et enfin, la nostalgie s'exprime par la perte d'objets chers, en particulier dans "L'Ame des choses". Une perte qui, en l'occurrence, ouvre la porte à des sentiments mêlés de la part du personnage principal, victime de l'ascendant de son mari.

La nature apparaît comme une constante dans "Tout au long de nos soifs": l'auteure lui accorde une attention particulière, choisissant son vocabulaire avec soin, émaillant son texte de termes précis pour la dire. Forêts, prairies: voilà les lieux que hantent certains personnages. Cela, alors que d'autres goûtent les villes, comme Arnaud dans "Le Cadeau de Chardin" – qui met en scène un Arnaud d'abord déphasé par Paris puisqu'il vient de la campagne, mais qui y trouvera le repos de son âme.

Les mondes dépeints par les nouvelles de "Tout au long de nos soifs" sont tantôt délicats, tantôt rudes, si l'on pense à la nouvelle "Le Petit frère". Telles que décrites, les relations humaines et conjugales ne sont pas toujours exemptes de rugosité. Elles sont cependant observées avec précision par l'écrivaine, qui choisit un registre de langage sobre, aisé et fluide, soigné dans une perspective classique.

Claudine Houriet, Tout au long de nos soifs, Lausanne, Plaisir de lire, 2019.

Le site des éditions Plaisir de lire.

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