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mercredi 3 juillet 2019

Guillaume Tell revisité, à la vie à la mort

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Gaël Grobéty – "La Reine de cœur": voilà un titre qui fait penser à "Alice au pays des merveilles". Mais il n'en est rien, ou si peu: signé Gaël Grobéty, ce roman explore l'univers narratif de Guillaume Tell plutôt que celui de Lewis Carrol. Et si la reine de cœur éponyme ne tue personne, elle s'inscrit plutôt dans le type littéraire de la sorcière, marginale parce que supposée savante – en l'espèce, elle connaît le secret de la circulation sanguine. Et pour tout dire, dans "La Reine de cœur", elle paraît légendaire.


Le monde de Guillaume Tell s'installe d'emblée dans le roman, notamment au travers des prénoms de deux garçons, Walter et Guillaume: Walter est le prénom du gamin qui se trouvait sous la pomme que son père a dû transpercer d'un carreau précis. Carreau? Justement: très vite, le roman est hanté par une arbalète, mais aussi par un bailli nommé Gessler, réputé invincible. L'auteur secoue tous ces ingrédients afin d'en faire quelque chose de personnel. Cela, en y introduisant le personnage féminin d'une jeune mendiante, Alaïs.

Personnage important, structurant même! Voilà bien le procédé porteur de "La Reine de cœur". Rédigé à la troisième personne, "La Reine de cœur" est pourtant un roman à deux voix dont la polyphonie est ciselée à coups d'astuces typographiques: lorsque le lecteur doit adopter le point de vue de Walter et des siens, tout est écrit en une écriture ordinaire; qu'on adopte le point de vue d'Alaïs et la typographie opte pour des caractères gras déclinés en italiques. Attention: si, à la manière de l'exposition d'un thème dans une pièce de musique, cela s'avère facilement lisible en début de roman, la suite joue avec une grande agilité sur cette alternance, quitte à ce qu'elle fonctionne au beau milieu d'une phrase. Belle manière de recréer les fondus enchaînés chers au cinéma!

Dès le "Il était une fois" qui ouvre le récit, l'écrivain assume le côté légendaire de son livre, avec l'ambition de revisiter un mythe sur le ton du roman d'aventures d'hier ou d'aujourd'hui. Au fil des pages, on pense à Winkelried parfois (la barque sur le lac, le brouillard subit), mais aussi à "Mission: Impossible", lorsque Walter essaie, passant par une fenêtre, de voler la cassette d'immortalité de Gessler, endormi dans un bordel – la scène est des plus tendues! Et l'auteur franchit le pas du fantastique: il est permis de se demander qui, de Walter ou d'Alaïs, est vivant. En effet, le roman dit leur mort à tous les deux, et suggère pour chacun d'eux l'envie de faire revivre l'autre, "à la vie à la mort". Cela, dans une dynamique amoureuse...

... qui est dessinée comme un motif récurrent par les pommes rouges, en forme de cœur, vues comme appétissantes mais parfois gardées – on pense, de loin, au jardin des Hespérides. Ces pommes peuvent aussi être porteuses de vies humaines selon l'auteur, ce qui, dans un esprit fantastique, ajoute un supplément de tragique à son propos. C'est que comme il se doit, "La Reine de cœur", fondé sur le mythe de Guillaume Tell, s'achève, à la façon d'une figure imposée, sur le fameux tir à l'arbalète. Père, fils ou tiers connu ou pas: qui en mourra?

Il faut bien concéder que, surtout en début de roman, le lecteur se sent vite largué dans le récit longuement décrit de déambulations sans but déterminé au cœur des forêts de Suisse centrale. Est-ce essentiel? Il faudra le surmonter. Dès lors, la lecture de "La Reine de cœur" laisse essentiellement le souvenir d'un roman porté par une écriture soignée et légèrement archaïque, parfaitement en phase avec un propos aventureux qui, nourri de mythes anciens ou contemporains, se place au temps des légendes anciennes, qu'il revisite résolument.

Gaël Grobéty, La Reine de cœur, Genève, Cousu Mouche, 2019.

Le site des éditions Cousu Mouche.

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