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lundi 24 juin 2019

Sylvanie, du bois pour allumer le feu

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Anna Maria Celli – Elle a tué. Rien de moins que celui avec lequel elle a vécu de nombreuses années, sous la contrainte. Cette contrainte qu'on lit page après page dans "Sylvanie", comme un élément qui ne peut que marquer une vie et rendre fou. Ou folle. De la façon glaçante d'un récit qui ne juge pas, l'écrivaine corse Anna Maria Celli dessine la destinée d'une jeune femme qui essaie de se reconstruire après un homicide qui a tout d'une revanche.


Sylvanie est-elle une morte vivante? Il est permis de se poser la question, tant il est vrai que les allusions à la mort sont présentes dans le roman, par exemple sous la forme de l'idée de la "place du mort" dans une voiture (p. 69). Cette place du mort est-elle celle assignée à Sylvanie dès son enfance? On peut le penser: Sylvanie est orpheline de mère et fille d'un père qui l'a dégagée sans ménagements auprès de l'une de ses sœurs, finalement peu investie. Et en page 81, on lit: "Des hommes comme Max et William ne couchent qu'avec la mort". Max et William: tiens, voilà les deux hommes qui hantent l'existence de Sylvanie.

Deux abuseurs, à leur manière. L'un, Max, constitue le personnage classique qui se livre au détournement de mineures, dans une dynamique de contrainte sexuelle et psychologique. On rapproche de ce personnage cette idée de "brûlure de la robe", image de l'agression sexuelle, du geste inopportun. William, lui, est plus trouble: personnage libre, poète, il la joue copain, voire amant (on est entre adultes, là), tout en rappelant qu'il connaît tout le monde dans le petit univers circonscrit autour du 93 de la rue Jean-Pierre Timbaud (avec le restaurant "Le Cannibale", qui existe vraiment) à Paris, présentée comme cosmopolite. Un lieu où l'on se brûle en buvant son thé vert.

Brûler? "Sylvanie" file la métaphore de la brûlure, oui. Il y a bien sûr cette "brûlure de la robe", centrale. Cette "brûlure de la robe" fait écho au "feu au pantalon", travers que la tante de Sylvanie, misanthrope accomplie (elle à la fois misogyne et misandre), accorde aux hommes. L'image du feu va jusqu'à la scène d'incinération d'un personnage secondaire, rencontré au bistrot, en page 167. Un personnage qui aurait pu être une issue de secours pour Sylvanie. Mais Sylvanie, avec son nom qui rappelle la forêt, a elle aussi de quoi prendre feu... sans remède.

On l'a compris: l'écrivaine sait exploiter jusqu'au bout quelques lignes directrices importantes qui constituent le fondement d'une véritable poésie. Poésie? Celle-ci peut être mensongère, témoin William et les poètes de pacotille mis en scène dans "Sylvanie" – un William qui, on se le dit en lisant les chapitres commençant en pages 119 et 127, s'avère un copié-collé de Max. Cette poésie paraît cependant plus vraie, plus construite au fil des pages que la romancière consacre à ce roman. Reste qu'en dernier ressort, on ne sait plus guère de quel côté de la vérité on se trouve: lorsque Sylvanie avoue enfin son meurtre à une escouade de psychiatres, on la prendra bel et bien pour une folle.

L'écriture est poétique, oui! Elle porte le destin terrible d'une jeune femme qui ne parvient pas à assumer le meurtre d'un homme qui l'a fait souffrir jusqu'aux extrêmes. L'écrivaine alterne les points de vue avec finesse, donnant à voir tantôt, avec un certain recul, la vie qui va, et tantôt les impressions et ressentis de Sylvanie – relatés en italiques. Une Sylvanie placée au centre du roman auquel elle donne son nom et qui, de ce fait, prend les allures d'un portrait littéraire aux accents forts.

Anna Maria Celli, Sylvanie, Genève, Cousu Mouche, 2019.

Le site des éditions Cousu Mouche.

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