Pages

vendredi 1 juin 2018

Un polar réaliste révélateur des préjugés

1321431_f.jpg
Michel Durand – Ancien chef de brigade désormais à la retraite, Michel Durand est entré en littérature par la voie du polar il y a quelques semaines. Cet homme de police connaît l'institution de l'intérieur. Campé dans les années 1980, "Le Castagneur de pizzerias" se présente donc comme un polar réaliste, relatant une violence d'assez faible intensité: pas de coups de pistolet dans ce roman, mais plutôt une bonne dose de castagne. Et une bonne poignée de personnages en proie à leurs préjugés.


Certes, l'intrigue est policière: l'auteur suit Christian Meier, un jeune Genevois bien propre sur lui. Traumatisé par une violence dont il a été la victime, il va développer un préjugé xénophobe à l'encontre des ressortissants du pays des pizzas. Cela, dans une volonté de vengeance affirmée. Cette soif va se trouver encore confortée par la rencontre de Christian avec De La Marre, un Français spécialiste du close combat qui déteste aussi les Italiens, lui aussi en raison d'un vécu personnel peut-être fantasmé. Le suspens demeure cependant limité, dans la mesure où l'on sait qui est le castagneur des pizzerias, ainsi que les policiers.

Le souci de réalisme traverse tout ce roman policier. On relèvera que l'auteur prend des libertés sur des éléments marginaux, sans impact sur l'histoire, ce qui peut étonner (imprécision sur l'âge de la majorité en 1980, mention d'un film pornographique sous-titré...). Mais peu importe: l'histoire est crédible. L'auteur plonge ses lecteurs dans les milieux des sports de combat et des arts martiaux, avec le souci constant de restituer quelque chose de leur philosophie. Le taekwondo, ce n'est pas le close combat, ni le punching-ball du garage! Passant de l'un à l'autre, Christian Meier évolue dans son avidité de violence.

En contrepoint, l'auteur recrée le monde de la police genevoise. Le tableau est en demi-teinte: l'auteur relève des méthodes révélatrices du sentiment d'impunité des enquêteurs de ce temps, ce qui va à l'encontre d'un vrai souci de justice et de respect des droits des prévenus ("Comment ça, ils ont des droits?", semblent dire certains personnages – un comble dans la Genève des Nations Unies...). Pour l'auteur, c'est aussi un monde encore très masculin, où une femme inspectrice, si douée qu'elle soit, doit régater pour se faire sa place. Et puis, si la technologie fait une entrée timide dans les bureaux sous la forme d'un fax ou d'un ordinateur, la police scientifique n'y a pas encore sa place. On peut certes se demander si le jargon "louchébem", si parisien a priori, était à la mode chez les policiers genevois des années 1980; en revanche, les helvétismes sont assumés: les enquêteurs sont "bien de chez nous", et parlent suisse, allant jusqu'à interpeller, par exemple, un personnage non genevois sur son accent.

C'est que davantage encore que l'intrigue policière, c'est la peinture des préjugés qui distingue "Le castagneur des pizzerias": Christian Meier est présenté de manière iconique comme le lieu où se développe un préjugé xénophobe (plutôt que raciste) qui va jusqu'à la violence. Christian Meier s'est donc fait tabasser par un Italien bourré et bourrin, n'a pas obtenu justice de la part d'une police désemparée. A peu près à la même période, sa copine italienne le plaque. On peut facilement imaginer que dans la tête de Christian Meier, s'il déteste les Italiens, c'est avant tout leur faute. Enfin, cela ne l'empêche pas de fantasmer sur la mère d'un de ses amis, également italienne; l'Italien devient dès lors objet... de désir (de viol?) ou de rejet. Dans un autre registre, on l'a relevé, la police a ses zones d'ombre, entre violences abusives à l'encontre d'un Maghrébin et culture d'entreprise marquée par un sexisme non remis en question.

En clin d'oeil personnel, enfin, je relève que deux personnages cités dans les transcriptions de rapports de police sont nés le 21 mars, soit le jour de mon propre anniversaire... "Le Castagneur des pizzerias" s'avère un roman solide, aux dialogues bien caractérisés. Il tient ses promesses en matière de réalisme et brille avant tout par le soin que l'auteur met à décrire la psychologie de personnages plutôt ordinaires, aux prises avec leurs zones d'ombre.

Michel Durand, Le Castagneur des pizzerias, Sainte-Croix, Mon Village, 2018.

Le site des éditions Mon Village, celui de Michel Durand.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Allez-y, lâchez-vous!